Dans la foulée du débat suscité par la décision de la sécurité présidentielle de refuser à l'Instance vérité et dignité de s'emparer des archives du palais de Carthage, se pose la problématique de la possible dissolution de l'Instance elle-même. En attendant que le Parlement en décide, l'Instance perdrait sa capacité de décision au cas où six membres de son conseil de direction la quitteraient définitivement La polémique juridico-politique enclenchée, vendredi, à la suite du revers essuyé par l'Instance vérité et dignité dont la présidente, Sihem Ben Sedrine, a été empêchée par la sécurité présidentielle de prendre possession des archives du palais de Carthage et de les transférer vers un «endroit sécurisé» continue à enfler, au point que certains soutiennent déjà que l'Instance va être dissoute dans les prochains jours au vu du mouvement de démissions qui l'a déjà traversée et qui pourrait s'accélérer dans les jours à venir. D'autres parties n'ont pas hésité à souligner que le président de la République a le droit d'annoncer la dissolution de l'Instance ou d'appeler à la recomposition de son conseil de direction. Dans l'objectif d'éclairer l'opinion publique, La Presse a posé à une source juridique les deux questions suivantes : qui a le droit de dissoudre l'Instance vérité et dignité et combien faut-il de démissions pour que son conseil de direction soit déclaré inopérant, sachant que pour le moment, deux membres ont démissionné et n'ont pas été remplacés (Noura Borsali et Azouz Chaouali), alors que le troisième membre démissionnaire, Khemeïs Chamari, a été remplacé par Lilia Bouguerra. Le dernier mot revient au parlement Notre source précise d'emblée : «L'Instance vérité et dignité est une instance constitutionnelle indépendante. Elle n'est sous la tutelle ou la supervision d'aucune structure gouvernementale ou présidentielle. Seule l'Assemblée des représentants du peuple est en mesure d'adopter une loi pour dissoudre l'Instance. La loi doit être votée par les deux tiers des membres du parlement, soit 154 députés (et non les deux tiers des votants). En attendant, l'Assemblée des représentants du peuple est dans l'obligation de remplacer (par voie d'élection) tout membre qui démissionne de la direction de l'Instance. Seulement, l'ARP n'est pas tenue de respecter un délai déterminé pour trouver un remplaçant à chaque démissionnaire. En d'autres termes, l'ARP peut combler une vacance quelconque en une semaine ou en une année. C'est un vide institutionnel que plusieurs parties ont dénoncé à temps. Malheureusement, les membres de l'ANC défunte ne lui ont pas accordé l'importance qu'il mérite». Qu'en est-il du conseil de direction actuel et quand peut-il perdre son statut de structure de décision ? «L'article 59 de la loi organique portant création de l'Instance stipule clairement que le quorum requis pour la régularité des réunions de l'IVD est aux deux tiers des membres, soit dix membres sur quinze. Ainsi, pour que le conseil de direction soit obligé de suspendre ses fonctions, il faut que six membres annoncent leur démission, ce qui revient à dire que pour arriver à une telle situation, on a besoin de quatre autres démissions qui s'ajouteront aux deux autres enregistrées depuis quelques mois et à condition aussi que le Parlement s'empêche de les remplacer. Au cas où ne resteraient que neuf membres assumant les fonctions pour lesquelles ils ont été élus, l'Instance se trouvera dans l'obligation de suspendre ses travaux. Elle préservera sa légitimité, ainsi que sa légalité, mais n'aura plus le droit de prendre de décisions. Toutefois, elle a le droit de veiller au suivi des décisions qu'elle a déjà prises et de réceptionner les requêtes qui lui sont soumises par les victimes. A titre d'exemple, si l'Instance prend la décision de dédommager matériellement une victime quelconque avant la suspension de ses activités, l'Etat est obligé d'accorder le dédommagement en question à son bénéficiaire», conclut notre source. Toutes les archives sont à transmettre au CDN Du côté des associations de la société civile spécialisées dans le suivi de l'action menée par l'Instance vérité et dignité, on penche plutôt vers la recherche de solutions à caractère consensuel. «Notre but est de dissiper les craintes des uns et des autres, révèle à La Presse le Dr Kamel Gharbi, président du Réseau tunisien pour la justice transitionnelle (Rtjt). C'est la raison pour laquelle nous proposons que toutes les archives publiques (celles du Palais présidentiel ainsi que celles se retrouvant dans les ministères, en premier ceux de l'Intérieur et de la Justice) soient transférées au Centre de documentation national (CDN) et que l'IVD soit autorisée à y accéder librement. Pour ce qui est des documents qui vont être transmis pas les victimes à l'Instance, elle peut les garder». Le président du Rtjt appelle également «l'Instance vérité et dignité à collaborer avec les associations de la société civile en vue de la mise au point d'une stratégie de partenariat effective avec ces associations. Pour nous, la justice transitionnelle n'est pas l'apanage exclusif de l'Instance vérité et dignité. Elle est plutôt l'affaire de tout le monde».