Où en est le projet d'amélioration de la justice juvénile ?A la demande du gouvernement et sur la base d'un diagnostic profond et d'enquêtes scientifiques, un large programme de réforme de la justice est en marche depuis 2012. L'affaire du centre de Gammarth, présentée comme un scandale politico-social, suscite l'étonnement et diverses interrogations Mercredi 24 décembre 2014, le ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah, et la secrétaire d'Etat chargée de la Femme et de la Famille, Neïla Chaâbane, ont effectué une visite «inopinée» au centre de rééducation des mineurs délinquants de Gammarth. La visite a déclenché l'indignation générale, outre la compassion des citoyens. Les conditions de détention des jeunes «pensionnaires» enfreignent les droits humains les plus élémentaires et la dignité humaine. L'indignation est doublée d'interrogations : pourquoi s'en est-on aperçu maintenant ? Pourquoi en parler maintenant ? Les trente-sept jeunes détenus du centre de rééducation des mineurs délinquants de Gammarth ont été déplacés, provisoirement, à partir de lundi 29 décembre 2014. Ils ont été répartis entre le centre d'observation des mineurs de La Manouba, seule structure d'observation du genre dans le pays pour les 13-15 ans, et le centre de rééducation d'El Mourouj, une des sept « prisons » pour les enfants d'âge légal entre 15 et 18 ans. Constat alarmant Le transfert des jeunes détenus fait suite à une décision du ministre de la Justice, des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, prise lors d'une réunion d'urgence tenue le lendemain, jeudi 25 décembre 2014, et à laquelle ont participé la secrétaire d'Etat chargée de la Femme et de la Famille, le directeur général des institutions pénitentiaires et des cadres des différents ministères concernés par l'enfance. Motif de la décision : conditions indécentes de détention des 37 jeunes détenus du centre de Gammarth et non-respect de leurs droits les plus élémentaires portant atteinte à la dignité humaine. L'amer constat fait par les deux ministres a étonné et choqué plus d'un, pour maintes raisons. Si la décision de fermeture a été justifiée par le souci de rénover et remettre à niveau, dans les plus brefs délais, le centre de correction et d'améliorer la qualité de la prise en charge des jeunes détenus en son sein, personne ne comprend la surprise et l'indignation des deux ministres lors de cette visite dite inopinée du centre de Gammarth. N'ont-ils jamais été informés de la situation de ces jeunes détenus ? Dans le cas échéant, qui les a alertés et pourquoi maintenant ? Qu'est-ce qui explique le silence des structures de tutelle et de contrôle pendant toutes ces années ? Un fonds de l'Union européenne pour les travaux de rénovation Sur les ondes de Shems FM, vendredi 26 décembre, Kamel Eddine Belhassan, chargé de mission au cabinet du ministre de la Justice, des institutions pénitentiaires en l'occurrence, a donné des éléments de réponse. Il a expliqué que « l'état de délabrement avancé de ce centre, très ancien, était connu du ministère de tutelle (Justice) et qu'un financement accordé par l'Union européenne, dans le cadre de la coopération internationale, était déjà réservé pour les importants travaux de rénovation et de maintenance du centre de Gammarth ». Des travaux qui, pour des raisons de procédures administratives et autres, n'ont pu être réalisés jusqu'à ce jour. Sur la base de ces propos, il y a lieu de s'interroger : si le ministre de la Justice savait, pourquoi était-il surpris par l'état des lieux et pourquoi cette visite maintenant ? A qui profite cette révélation gênante qui éclate au dernier quart d'heure du gouvernement Jomaâ ? « Le suivi en détail et au quotidien ne peut pas être assuré par le ministre de la Justice lui-même, quant à la délimitation des responsabilités elle sera définie par l'enquête qui a été ordonnée », explique encore Kamel Eddine Belhassan. Nombreuses interrogations interpellent responsables, spécialistes, analystes et médias et attendent des réponses convaincantes. Car, l'affaire du centre de Gammarth, qui a pris l'allure d'un scandale politico-social, vient au moment où le ministère de la Justice est engagé avec d'autres ministères (Affaires sociales, Intérieur...), depuis 2012, dans une profonde réforme du système judiciaire. Projet d'amélioration de la justice destinée aux enfants (2013-2016) La réforme de la justice a été lancée avec le Programme d'appui à la réforme de la justice (Parj), qui a fait l'objet d'une convention de coopération signée le 2 octobre 2012, entre le gouvernement tunisien et l'Union européenne, en tant que bailleur de fonds. Ce large programme comporte, à juste titre, une composante spécifique à la justice juvénile. Celle-ci se décline sous la forme d'un projet d'amélioration de la justice destinée aux enfants en conflit avec la loi dont l'appui technique a été attribué à l'Unicef en raison de sa grande expérience et de son expertise dans le domaine des droits de l'enfant. Et à ce titre, une convention a été signée en mars 2013 entre l'Union européenne et l'Unicef, en présence du ministre de la Justice. Ce projet d'amélioration de la justice juvénile, financé par l'UE à hauteur de 1,8 million d'euros et couvrant la période 2013–2016, vise à garantir aux enfants un système de justice plus respectueux de leurs droits et plus efficace en répondant à quatre besoins essentiels de la justice tunisienne : le renforcement des capacités des intervenants dans la chaîne pénale — de la garde à vue jusqu'à la condamnation, la détention et la réinsertion sociale (forces de l'ordre, juges, avocats, conseillers sociaux, personnel pénitencier) —, l'usage plus fréquent des mesures alternatives à la détention des mineurs (liberté surveillée, médiation), l'amélioration de la prise en charge et du suivi de l'enfant de la détention jusqu'à sa réintégration sociale et la dynamisation de la coordination entre les divers intervenants. Tous ces efforts devront à terme pouvoir réduire l'écart existant et constaté entre les textes de lois en vigueur, très avancés, et leur application à toutes les étapes de la chaîne pénale. 1.400 enfants passent chaque année par les centres de rééducation et d'observation Améliorer le système judiciaire, qu'il soit pour les mineurs ou les adultes, est un travail de longue haleine qui exige une volonté politique, des moyens humains et financiers et la détermination de la part de tous les intervenants et de tous les partenaires, dont la société civile et la coopération internationale. Le projet d'amélioration de la justice juvénile est en cours de concrétisation, il donnera certainement des résultats, au fur et à mesure, dans les prochaines années, mais l'opinion publique est en droit de s'interroger sur les véritables raisons qui ont fait que les conditions de détention dans le centre de Gammarth soient arrivées à ce stade de dégradation. On compte en Tunisie sept centres de rééducation pour mineurs délinquants âgés de 15 à 18 ans, dont un pour filles à El Mghira, et un seul centre d'observation pour les 13–15 ans à La Manouba. Chaque année, 1.400 enfants passent par ces institutions privatives de liberté sur un total annuel de 13.000 mineurs en conflit avec la loi.