L'analyse des textes relatifs à la justice transitionnelle et celles réglementant la question des archives publiques permet d'affirmer que la saisie des archives présidentielles était illégale. L'affaire dite de la tentative de saisie des archives de la présidence de la République par l'Instance vérité et dignité (I.V.D), créée par la loi organique du 24 décembre 2013 relative à la justice transitionnelle, a suscité un débat intense et fait couler beaucoup d'encre. Entre ceux qui défendent le droit absolu de ladite instance de se saisir des archives de l'institution présidentielle pour mener à bien sa mission et ceux qui lui dénient ce droit qu'ils jugent exorbitant et dangereux, le débat s'est enlisé et perdu dans les méandres du juridique et du politique, sans qu'on sache à quoi s'en tenir dans cette affaire où pour les uns le juridique n'est qu'un faux et fallacieux alibi d'un acte hautement politique, alors que pour les autres le politique n'est que l'explication partisane et partiale d'un acte purement et parfaitement juridique. Alors, pour démêler cet imbroglio juridico-politique, il n'est d'autres chemins que celui de l'analyse des textes qui fondent la tentative de saisie des archives de la présidence de la République. Et la question à laquelle tous les protagonistes ont essayé de répondre avec beaucoup d'approximations est : juridiquement, c'est-à-dire légalement, l'I.V.D était-elle en droit de dessaisir la présidence de la République, même avec son consentement, de ses archives et de se les approprier ? La réponse se trouve nécessairement dans la loi organique du 24 décembre 2013 qui a instauré la justice transitionnelle et qui a fondé l'Instance vérité et dignité lui impartissant des missions définies dans l'article 39 et lui octroyant, pour leur accomplissement, des attributions ou des prérogatives énumérées limitativement dans l'article 40 qui en dénombre onze. Cependant, la réponse ne se trouve pas exclusivement dans la loi organique du 24 décembre 2013. Elle se trouve aussi dans la loi n° 88 du 02 août 1988 relative aux archives qui définit des termes juridiques clés pour la compréhension des attributions de l'I.V.D et de leurs étendues et que la loi organique en a fait l'usage sans juger utile de les définir. Selon l'article 40 de la loi organique du 24 décembre 2013, l'I.V.D peut : - « accéder aux archives publiques et privées » sans tenir compte des interdictions prévues par la législation en cours (article 40, premier tiret) - mettre « en œuvre des opérations de perquisitions et de saisies de documents, de meubles et d'instruments utilisés ayant un lien avec les violations instruites par l'instance ». En dehors de ces attributions relatives à l'accès aux archives et à la saisie de documents, l'I.V.D bénéficie d'une sorte d'obligation de dénonciation portée à la charge de toute personne publique, qu'elle soit physique ou morale (administrations, organismes publics, fonctionnaires...), de « fournir... des déclarations » comportant « les faits », « les informations et les données » recueillis dans l'exercice de ses fonctions et qui « relèvent des attributions de l'instance ». Ce devoir de dénonciation est donc matérialisé par une déclaration à l'initiative de la personne publique. Si cette déclaration n'a pas été remise par l'organisme dénonciateur à l'instance, celle-ci peut la demander « le cas échéant » (article 51). Cette même obligation de dénonciation est portée à la charge de « toute personne physique ou morale » sous-entendue privée (article 52). L'I.V.D, lors de sa demande d'obtention des « informations » et des « données », ne peut se voir opposer le secret professionnel, et les dépositaires desdites informations et données ne peuvent être sanctionnés pour « les avoir divulguées à l'instance » (article 54). Enfin, en cas d'urgence caractérisée par la crainte de la destruction d'un document lors de sa découverte, le président de l'instance peut « ordonner des mesures préventives nécessaires pour la conservation desdits documents » Le domaine relatif aux différentes actions que peut entreprendre l'I.V.D étant délimité, il convient de distinguer ces actions en fonction du support sur lequel elles se portent. Toute la confusion qui a régné, même parmi les dirigeants de l'I.V.D, est due à cet oubli de distinction entre les différents supports documentaires et leur corrélation avec les différentes actions à mettre en œuvre. Par actions, j'entends les différents mécanismes prévus par la loi organique du 24 décembre 2013 et mis à la disposition de l'I.V.D pour pouvoir connaître, dans le cadre de ses attributions, du contenu d'un quelconque support documentaire. Elle en a défini cinq formes : l'accès (article 40, tiret 1), la perquisition et la saisie (article 40, tiret 10), la réception (article 51, paragraphe 1), la demande (article 51, paragraphe 2) et enfin l'ordonnance des mesures préventives (article 55). Par supports documentaires, je me réfère aux différents termes utilisés par la loi organique pour désigner un ou un ensemble de documents. Cette loi dénombre trois supports documentaires, à savoir : les archives (article 40, tiret 1) ; les déclarations contenant des faits, des informations ou des données (article 51 paragraphe 1) ; les documents (article 52, article 54, article 55 paragraphe 1 et 2). La loi organique du 24 décembre 2013 a institué une corrélation entre les différentes actions mises à la disposition de l'I.V.D et les supports documentaires sur lesquels ces actions se portent. Ainsi, l'action d'accès, prévue par l'article 40 tiret 1, est réservée aux archives. En d'autres termes, l'I.V.D ne peut, en principe, consulter les archives qu'à travers la technique de l'accès. Cette technique, bien que non définie par la loi organique, est détaillée dans son contenu dans la loi n° 88 du 02 août 1988 relative aux archives qui a réservé toute la section 3 aux différentes formes de communication desdites archives. Ainsi l'accès peut se matérialiser par la consultation ; l'établissement d'une reproduction, d'une copie ou d'un extrait. Il n'est nulle part mentionné qu'un accès peut se confondre ou s'assimiler à une appropriation pure et simple. Il est d'autant plus exclu qu'il puisse y avoir, au nom d'un simple accès, une appropriation des archives puisque l'article 4 de la loi de 1988 stipule expressément que « les archives publiques font partie du domaine public. Elles sont inaliénables et imprescriptibles ». Donc, un accès aux archives ne peut, en aucun cas, s'assimiler à leur appropriation au profit de l'I.V.D, d'autant plus que cette appropriation est formellement interdite par l'article 4 sus-cité. La loi organique relative à la justice transitionnelle, bien qu'elle soit une loi spéciale, dérogatoire, de ce fait, au droit commun qu'est la loi de 1988 relative aux archives, n'apporte aucune exception quant au principe d'inaliénabilité des archives publiques. Ce principe reste, donc, applicable en la matière. Reste que les tenants de la légalité de la saisie soutiennent que la loi organique relative à la justice transitionnelle permet à l'I.V.D l'appropriation des archives à travers les mécanismes de la perquisition et de la saisie (article 40, tiret 10), de la réception (article 51, paragraphe 1), de la demande (article 51, paragraphe 2) et enfin de l'ordonnance des mesures préventives (article 55). D'ailleurs, même les membres de l'I.V.D qui se sont attelés à défendre cette position oublient sciemment l'article 40, tiret 1 relatif à l'accès aux archives pour se prévaloir de ceux relatifs à la saisie et notamment à l'article 40, tiret 10. Cette position souffre d'un fâcheux défaut de confusion et d'absence de corrélation entre les actions mises à la disposition de l'I.V.D et les différents supports documentaires que cette même I.V.D peut consulter, tels que nous les avons détaillés plus haut. En effet, la loi organique relative à la justice transitionnelle distingue clairement les archives citées à l'article 40, tiret 1 des déclarations contenant des faits, des informations ou des données citées dans l'article 51 paragraphe 1, et enfin des documents cités aux articles 52, 54 et 55. Encore une fois, cette loi organique n'a pas jugé opportun de définir le sens juridique de ces différents supports documentaires. D'où cette argumentation développée par les tenants de la légalité de saisie des archives qui confond les archives avec les simples documents ou déclarations, pour leur appliquer indifféremment l'action de saisie. La loi organique relative à la justice transitionnelle étant muette quant à la définition des termes juridiques désignant les différents supports documentaires, il convient alors de revenir au droit commun pour y dégager un sens juridique. C'est la loi n° 88 du 02 août 1988 qui définit dans son titre premier les archives. Elle dispose, dans son article 1er que « les archives sont... l'ensemble des documents quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé, dans l'exercice de leur activité ». De prime à bord, il est évident que ce qui distingue les archives des documents ou des déclarations c'est le principe de globalité. Les archives, ce sont « l'ensemble » des documents produits ou reçus par toute personne publique morale (Etat, collectivités, établissements, entreprises publiques) ou physique (officiers publics) dans le cadre de l'exercice de ses fonctions. Ainsi, les archives, dans leur acception légale, ne peuvent nullement se confondre avec les documents ou les déclarations. Ceux-ci sont une partie intégrante des archives s'ils sont produits ou reçus dans le cadre de l'exercice des activités de la personne morale. Et la loi organique du 24 décembre 2013 distingue bien les archives prévues à l'article 40 tiret 1 des autres supports documentaires. La question qui se pose alors, pourquoi le législateur avait-il distingué les différents supports documentaires dans différents articles si ce n'est pour leur réserver des actions différentes ? C'est le principe de corrélation qui est institué par la loi organique : à chaque support documentaire différent une action spécifique est ouverte au profit de l'I.V.D. L'article 40, tiret 1 prévoit la mesure de l'accès pour les archives. Quant aux documents, l'article 40, tiret 10 leur réserve les procédures de perquisition et de saisie et toute procédure de mesure préventive dans les cas extrêmes. Et pour ces documents susceptibles d'être saisis ou d'être sous le coup d'une mesure préventive, le législateur n'a pas omis de les entourer de quelques précautions. Ainsi, toute saisie n'est possible qu'au cas où le document sur lequel elle porte a « un lien avec les violations instruites » par l'I.V.D, ce qui suppose que tout document saisi doit être dans le cadre d'une instruction déjà entamée. On se rend bien compte que saisir les archives de l'institution présidentielle ne peut être justifié ni au regard de l'article 40 tiret 1 qui permet seulement l'accès à leur contenu, ni au regard de l'article 40 tiret 10 qui ne concerne nullement les archives mais seulement les documents et qui exige que leur saisie soit dans le cadre d'une instruction déjà entamée. Autre action, mais portée à la charge de toute personne publique, est celle de « fournir au président de l'instance des déclarations comportant tous les faits...les informations et les données » dont elle peut avoir eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Cette action est prévue par l'article 51. Il s'agit d'une obligation de dénonciation spontanée. L'I.V.D ne peut prendre l'initiative en la matière qu'en cas de carence de la personne publique dénonciatrice. Dans ce cas, elle peut formuler une « demande » de présentation des déclarations. Cette obligation de fourniture ou ce droit reconnu à l'I.V.D de demander ces déclarations est aussi soumis à des précautions dont le but est de prévenir toute forme d'abus de pouvoir : il faut que le contenu des déclarations faites par l'organisme public relève des attributions de l'I.V.D. Là aussi, il est évident que saisir toutes les archives de la présidence de la République ne peut pas être justifié ou cautionné par les dispositions de l'article 51 qui sont relatives non aux archives mais à des déclarations faites spontanément par les personnes publiques et dont le contenu doit relever des attributions de l'I.V.D. Il va sans dire que même si on fait abstraction de la distinction voulue expressément par le législateur entre déclarations et archives, celles-ci ne peuvent en aucun cas relever dans leur totalité des attributions de l'instance. Encore une fois, l'action de saisie des archives butte sur le rocher de la logique juridique implacable qui ne peut souffrir ni de confusions ni d'approximations. Enfin, la dernière action mise à la disposition de l'I.V.D est l'ordonnance des « mesures préventives », prévue par l'article 55, «pour la conservation des... documents » « dont on craint la destruction ». La corrélation est tellement évidente entre les mesures préventives que peut prendre le président de l'I.V.D et le support documentaire sur lequel s'exercent ces mesures qu'il ne peut en aucun cas s'agir des archives. L'article 55 réserve cette procédure aux « documents dont on craint la destruction » au moment de leur découverte. La corrélation est encore là pour empêcher toute confusion qui puisse justifier l'application indifférente de toutes les actions possibles aux archives. Les archives ne peuvent faire l'objet que d'une mesure d'accès. Les tenants de la légalité de la saisie des archives ne s'avouent pas vaincus et agitent l'accord donné par le président de la République à l'I.V.D pour la saisie des archives de la présidence, en oubliant, en passant, un principe plus de bon sens commun que juridique et qui stipule que nul ne peut accorder plus de droit qu'il n'en a. Le président de la République avait-il alors le droit de se dessaisir des archives présidentielles au profit de l'I.V.D ? Non, puisque ces archives font partie du domaine public et sont par conséquent inaliénables comme le stipule l'article 4 de la loi du 02 août 1988 relative aux archives. L'analyse des textes relatifs à la justice transitionnelle et celles réglementant la question des archives publiques permet d'affirmer que la saisie des archives présidentielles était illégale. Les auteurs de cette tentative de saisie ont manqué de lucidité et de discernement. Quant à l'aspect politique de l'affaire, il a été amplement traité. Les développements qui ont précédé ont une finalité accessoire qu'est celle de confirmer qu'il s'agissait bien d'une action éminemment politique.