Squatté par des SDF, le jardin du Passage a perdu de sa splendeur d'antan, faute de surveillance et de maintenance. Ce n'est pas par hasard que le nom de la Tunisie s'était accouplée, depuis des siècles, avec «la verte», un signe révélateur de ce que notre pays était, jusqu'à un passé récent : un havre de verdure et un bouquet de jardins multicolores, où se cotoyaient, en une harmonieuse symphonie de couleurs et de suaves senteurs, les jasmins, les œillets, les roses et le géranium, un peu partout où l'on se rendait dans la verdoyante Tunisie. Aux deux premières décennies de l'Indépendance, la Tunisie a conservé son collier fleuri et l'a serti par l'aménagement de nombreux jardins publics et la plantation de milliers d'arbres annuellement, dans le cadre de la fête de l'Arbre. Une heureuse tradition instaurée par le gouvernement de l'Indépendance. Mais qu'en est-il aujourd'hui? Que reste-t-il de cette belle Tunisie «la verte» et de sa mosaïque de jardins fleuris? Presque rien, après un règne dégradant et polluant de plus de deux décennies qui avaient défiguré notre pays, qui était la destination privilégiée d'illustres écrivains, poètes et peintres. Ils venaient se ressourcer dans sa lumière éclatante, dans ses effluves chatoyants et dans la chaleur caressante de son soleil, que le ciel grisâtre et morose de l'Europe ne leur offrait pas. Klee, Macke et Moilliet, ces peintres qui avaient marqué un tournant dans l'histoire de la peinture moderne, de passage en Tunisie, il y a un siècle, avaient été éblouis par les cascades de lumière qui baignaient le ciel tunisien et le manteau de verdure qui enveloppait ce beau pays. Ce choc émotionnel a permis à ces pèlerins de la peinture moderne, de réaliser leurs plus belles œuvres. Ils ne sont ni les premiers, ni les derniers, à avoir succombé au chant des sirènes de l'éternelle Carthage ! Qu'avons-nous fait de notre éblouissante nature et dans quel triste délabrement avons-nous livré nos beaux et accueillants jardins publics ? Visitez le jardin du Passage, ce fleuron des premières années de l'Indépendance qui faisait le contrepoids au parc du Belvédère, en offrant aux nombreuses familles du centre-ville de sublimes moments de détente, de farniente et d'épanouissement. Les jeunes écoliers des établissements limitrophes venaient s'époumoner et réviser leurs cours, en pleine nature. Ce jardin a été voué, depuis de nombreuses années, à une criminelle dégradation, faute de surveillance, de maintenance et d'entretien; pour se muer en un mini-terrain de football ou des stations de rencontre pour les dealers, les proxénètes et autres prostituées et délinquants de tout acabit... Voilà le triste sort de ce beau jardin public! Malheureusement, il n'est pas la seule victime de la nonchalance et de l'insouciante carence et irresponsabilité des autorités municipales. Qu'en est-il du jardin de la place Jeanne-d'Arc, de la place Barcelone ou d'El Gorjani et tant d'autres qui offraient à notre cher Tunis ses plus beaux atours et ses curatives bouffées d'oxygène... Nous avons dénudé notre cité, nous l'avons dépouillée de tout ce qu'elle avait de beau, tout ce qui la caractérisait et l'érigeait depuis des siècles comme une destination pour les poètes et tous les rêveurs amoureux de la nature et cherchant quelques moments d'évasion et de chaleur conviviale...! Qu'allons-nous laisser à nos enfants? Une ville mastodonte, délabrée, étouffante, qui a perdu son âme, ses couleurs efflorescentes et ses effluves qui donnaient à l'âme une agréable sensation d'être.