La défaillance de la cellule familiale et du système scolaire qui ne jouent plus convenablement leur rôle doit conduire à une redéfinition de leur mission et à l'adoption d'une approche globale et multidimensionnelle de la question de l'enfance en Tunisie Derrière le suicide d'un enfant se cachent des causes bien plus profondes et bien plus complexes que la simple raison qui semble avoir déclenché cet acte (peur d'être réprimandé pour une mauvaise note obtenue, souffre-douleur à l'école...). C'est un ensemble de facteurs intrinsèques et extrinsèques qui sont à l'origine de la tendance suicidaire qu'on retrouve chez certains enfants et adolescents qui sont plus vulnérables que les autres. En 2014, 18 enfants se sont suicidés, dont quatorze filles. Comment expliquer que les réactions soient différentes lorsqu'on confronte des enfants à la même situation stressante et contraignante ? En effet, certains arrivent à gérer cette situation, à temporiser, à prendre du recul et à garder leur sang-froid, alors que d'autres cèdent à une profonde panique qui les pousse, parfois, à faire une tentative de suicide. C'est le milieu familial qui est le premier responsable indirectement de la tendance suicidaire observée chez certains enfants. En effet, la propre histoire de chaque enfant, le cumul des expériences depuis la petite enfance, la place occupée au sein de la cellule familiale vont forger sa personnalité et conditionner son comportement. Son degré de vulnérabilité et sa capacité d'adaptation face à une ou des situations stressantes vont dépendre de la nature de la relation qu'il a établie avec ses parents et des valeurs et des messages véhiculés par ces derniers. L'attitude des membres de la cellule familiale à l'égard des enfants, dès la prime enfance, est grandement déterminante dans le comportement de l'enfant. La cellule familiale responsable du comportement de l'enfant Si les parents arrivent dès le début à instaurer une relation sécurisante basée sur l'amour, la confiance et l'estime réciproque, sans trop se montrer protecteurs et à responsabiliser l'enfant en lui apprenant, à chaque fois, quelle attitude appropriée adopter dans certaines situations, il se dotera progressivement des mécanismes émotionnels et psychologiques lui permettant de gérer certaines de ces situations. Des parents y arrivent, d'autres pas. Le geste désespéré d'un enfant qui cherche à se suicider est généralement révélateur d'une cellule familiale qui n'a pas su se montrer suffisamment aimante et sécurisante et qui n'a pas su le doter de ces mécanismes lui permettant de se protéger et de gérer des situations génératrices d'angoisse, de stress et de tension. « C'est la famille qui est en premier responsable du comportement de l'enfant », a observé Moufida Abassi, psychologue, lors du séminaire organisé par l'Unft sur ce thème. «Il y a des familles qui sont compréhensives, affectueuses, qui savent pardonner, lorsqu'il le faut, les erreurs de leurs enfants, qui les responsabilisent et les aident à trouver des solutions lorsqu'ils se retrouvent dans des situations contraignantes et angoissantes. Nous avons le contraire, c'est-à-dire des familles qui mettent trop la pression ». « L'enfant est le produit de la famille, note, à son tour, Habib Louhichi, psychologue également. Il a des besoins d'affection et de sécurité. Il a besoin de sentir qu'il occupe une place importante au sein de sa famille et qu'il est aimé par ses parents. C'est important pour son estime de soi. Or, nous assistons à une crise des valeurs, à une crise sociale. Le rôle de l'école doit s'inscrire dans la continuité du rôle de la cellule familiale. Les éducateurs, à l'instar des parents, doivent sécuriser les enfants, leur véhiculer des valeurs, nourrir leur estime de soi ... L'école s'est montrée défaillante dans ce rôle ». Conséquence : fragilisés, certains enfants n'ont pas intériorisé les mécanismes qui leur permettent de gérer leurs frustrations et de s'adapter aux situations contraignantes, ce qui expliquerait les tentatives de suicide chez certains. Adoption d'une approche multidimensionnelle Aujourd'hui, la défaillance de la cellule familiale et du système scolaire qui ne jouent plus convenablement leur rôle doit conduire à une redéfinition de leur mission et à l'adoption d'une approche globale et multidimensionnelle de la question de l'enfance en Tunisie, selon Moez Cherif, président de l'Association tunisienne pour la défense des droits de l'enfant. « Quel projet avons-nous pour les générations futures ? », s'interroge le participant, qui déplore l'absence de participation des enfants aux questions qui les concernent. La défaillance de la famille et celle de l'école ne sont pas les seules responsables des tentatives de suicide chez les enfants. L'effet de contagion serait également impliqué dans la série de suicides et des tentatives de suicide enregistrées en 2014. Au cours d'une conférence de presse qui s'est tenue au Capjc sur la médiatisation du suicide des enfants, plusieurs recommandations ont été émises dont celle de ne pas mettre en exergue une histoire liée au suicide d'un enfant et de ne pas utiliser des termes donnant une connotation positive à l'acte.