Le foisonnement que connaît depuis la révolution le paysage médiatique tunisien, le rôle des réseaux sociaux et l'absence de contrôle de l'Etat ont donné lieu à une guerre dépourvue de tout principe Double meurtre à Tunis. A Bhar Lazrag, une femme a tué sa mère adoptive et son enfant de 11 ans avec une arme blanche. A l'Ariana, un jeune égorge son père durant son sommeil. D'autres crimes odieux ont été perpétrés sur des agents de la Garde nationale au sud du pays et la liste est encore longue. Ces faits divers de plus en plus courants sont devenus le lot quotidien ces derniers temps en Tunisie. Serait-ce le symptôme d'une société qui a perdu ses repères ? D'un malaise profond qui ronge la société ? En tout cas, on ne peut pas se voiler la face, la violence est en hausse constante d'année en année. Certains comportements ultraviolents, qui se soldent par des meurtres, ébranlent nos certitudes et donnent froid au dos. Comment expliquer cette violence ? Violence intolérable dans notre société qui n'a cessé de croître depuis la révolution. Les faits divers abominables relayés par les médias ne peuvent que susciter inquiétude et interrogation. C'est un signe des temps qui atteint toutes les classes sociales et même politiques compte tenu des discours violents auxquels nous assistons quotidiennement dans les médias, notamment à la télévision. L'exemple le plus frappant est celui de la menace d'assassinat de la chroniqueuse Maya Ksouri sur Facebook. Son intervention télévisée a provoqué l'ire d'un détraqué qui l'a menacée arme au point de l'achever, et ce, au vu et au su de tous. C'est à travers le prisme de tels événements extrêmes que l'opinion publique perçoit la violence. Phénomène endogène La détérioration du climat social y est pour beaucoup et ce sont surtout les quartiers populaires qui paient le plus lourd tribut. La violence fait rage dans le milieu familial. On dénombre environ 50% de femmes battues, mais la violence atteint aussi le milieu scolaire. Parfois pour un oui ou un non, l'élève peut agresser physiquement son professeur et les cas sont nombreux. Les élèves subissent eux aussi à leur tour des agressions de la part de leurs pairs. Des cas dramatiques ont été largement médiatisés. Le caractère répétitif de cette violence entre enseignants et élèves, élèves et élèves ou élèves et bandits ne relevant pas de l'établissement scolaire soulève des inquiétudes et menace l'establishment. La violence est donc un phénomène endogène qui est le résultat d'un processus de dégradation du climat social et économique du pays, ce qui se répercute sur la qualité des relations entre les individus. Les sentiments d'injustice et de précarité endommagent les rapports et peuvent mener à la violence verbale ou physique. Selon Abdessatar Sahbani, président de l'Association tunisienne de sociologie, «le flou sur le plan économique condamne le social à l'incertitude, à la peur et au manque de confiance, principaux vecteurs de la violence, de la déconfiture et du désenchantement». Sami Braham, chercheur en civilisation islamique, explique au cours d'une intervention dans un colloque que «toutes les phases transitoires sont marquées par la faiblesse de l'Etat. Les partis luttent pour préserver leur positionnement sur l'échiquier politique et non pour l'intérêt général». Selon lui, «l'exclusion est la pire forme de violence. Aux référentiels idéologiques et religieux, la violence de l'exclusion est souvent exercée à dessein de délégitimer l'adversaire politique». L'expert tient l'élite, en partie, responsable de la propagation de la violence dans le pays. «Au lieu d'engager la réflexion sur les solutions à ce fléau, l'élite a choisi de se ranger aux côtés des partis politiques». Les médias pointés du doigt Les médias publics et privés sont-ils responsables des conflits qui dégénèrent en des formes de violence politique ? Au cours d'un débat public, Besma Khalfaoui, présidente de la Fondation Chokri-Belaïd contre la violence, tient les médias pour responsables de la violence politique, dans la mesure où certains établissements de presse ne respectent pas la déontologie journalistique, précise-t-elle. Selon elle, les journaux électroniques et papiers, les télévisions, les radios et les pages Facebook officielles sont tous responsables de la montée de la violence, indiquant cependant que «les invités des médias sont les principaux acteurs de ces cas de violence». Certains sociologues expliquent que «le foisonnement que connaît depuis la révolution le paysage médiatique tunisien, le rôle des réseaux sociaux et l'absence de contrôle de l'Etat ont donné lieu à une guerre dépourvue de tout principe. Les interventions de participants dans certains débats, notamment télévisés, sont d'une telle agressivité verbale et symbolique qu'il s'avère urgent de prendre des mesures claires pour stopper l'appareil de la violence et en limiter les dégâts car cela risque de créer un phénomène de contagion chez la population».