• Des témoignages vivants rompent le silence Hier, 25 novembre, fut la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette année, le contexte de la révolution a introduit un aspect nouveau dans la célébration de cette journée : la liberté de témoigner, de dénoncer et de rompre le mur du silence loin des discours démagogiques. L'association Femmes et Leadership a profité du contexte pour placer l'événement dans le cadre de la transition post-révolutionnaire. Elle a, à ce titre, convié des femmes de différentes catégories sociales et professionnelles à venir témoigner devant des représentants de médias et une assistance principalement féminine appartenant à la société civile, pour dévoiler au grand jour, dans le cadre d'une conférence, ce que les femmes elles-mêmes préfèrent souvent cacher. Raja, jeune maman de deux enfants, coiffeuse, dénonce la violence verbale qu'elle subit de la part de son époux, ainsi que sa démission totale de sa responsabilité familiale en tant que père. Kaouther, étudiante, et sa jeune sœur sont battues par leur frère alcoolique qui terrorise toute la famille, y compris les parents. Azza, après 25 ans de service à Nouvelair, est licenciée de son travail, lésée dans ses droits sociaux les plus élémentaires. Amna, avocate, mère, entre autres enfants, d'une fille adoptive de 17 ans, brillante élève dans une grande école en France. Amna est triste pour sa fille blessée par les propos attribués à Souad Abderrahim à propos des mères célibataires. « Les parents biologiques de ma fille adoptive sont connus, mais elle estime avoir été humiliée et a décidé de ne plus revenir en Tunisie». Leïla, enseignante universitaire à l'école des Beaux-Arts de Kairouan, a été agressée, avec une de ses collègues, par des étudiants. Les deux femmes ont été empêchées de faire leur travail sous prétexte que l'enseignement des arts est blasphématoire et que Michel Ange est étranger à la culture arabo-musulmane. Il y a eu aussi le témoignage de Mme Ikbal Gharbi, directrice de la Radio coranique Ezzitouna, qui a été expulsée de son lieu de travail par des individus opposés à la nomination d'une femme à la tête d'une telle structure et se présentant comme les garants du bon comportement et des bonnes mœurs. Déviation sociale et arme de guerre Ce ne sont là que quelques exemples de violences faites aux femmes qui démontrent en premier lieu la diversité et la multitude des formes de violences exercées à l'encontre de la femme au sein de la famille, sur le lieu de travail et dans l'espace public. Il y en a qui sont anciennes et d'autres plus récentes en rapport avec la modernité et le nouveau mode de vie des femmes, certaines sont d'ordre social, d'autres économique, culturel ou idéologique. La liste des «violences de genre», comme les appelle Mme Jaouida Guiga, est longue et les faits parfois plus dramatiques. Les juristes et militantes dans le domaine des droits des femmes invitées à animer la rencontre évoqueront dans leurs interventions les viols, le harcèlement sexuel, l'inégalité des salaires et la discrimination à l'égard des femmes en ce qui concerne l'accès aux postes de responsabilité et de décision et, surtout, les postes politiques. Egalement cités, les crimes d'honneur et l'excision dans certains pays arabes. Mme Hafidha Chekir qualifie ces violences de «déviation sociale qui puise ses racines dans les traditions culturelles» et déplore le fait que les dénonciations de ces violences à l'échelle internationale soient restées au stade de simples textes de déclarations. Pour la magistrate, Mme Monia Ammar, spécialiste en droit international humain, la femme est victime de violences en temps de paix comme en temps de guerre. Elle est la cible de violences spécifiques, tels que les viols, notamment collectifs, utilisés dans les conflits armés pour humilier l'adversaire, ou la condition de femme réfugiée abandonnée à son sort, à la pauvreté, à la précarité, aux maladies, à la mort. «La mise en place par la communauté internationale du droit international humanitaire n'a pas l'ambition d'éradiquer ces violences mais nourrit au moins l'espoir de réduire la force et la cruauté de ces violences et de ces crimes, d'autant qu'aucun pays n'est à l'abri de la guerre», explique Mme M. Ammar. Elle précisera encore par les chiffres que 90% des victimes des guerres sont des civils, dont 90% sont des femmes et des enfants. C'est dire toute la vulnérabilité de la femme en tout temps et en tout lieu et la nécessité pour les hommes de se mobiliser en premier afin de garantir sa protection et le respect de ses droits. La révolution et son lot de violences En se référant au contexte actuel, de nouvelles formes de violence sont apparues avec la révolution. Les unes se présentent comme des persécutions verbales et/ou physiques autour du hijab ou du niquab notamment, les autres sous forme de rejet de la femme, en l'occurrence de l'espace public ou du lieu de travail. Mme Amel Grami, psychologue, estime que ces nouvelles formes de violence faites aux femmes sont apparues au cours des révolutions arabes et après : «C'est, d'une part, une violence politique qui a presque exclu la femme du paysage politique, et, d'autre part, une violence encore sans nom qui consiste à imposer le port du hijab ou du niquab aux petites filles». Pour la psychologue, tout cela se passe dans un silence médiatique suspect, sinon complice, quand des journaux publient sans commenter des propos portant atteinte à la dignité de la femme, à sa liberté et à ses droits. Il est ainsi aisé de comprendre les inquiétudes et les craintes de bon nombre de femmes tunisiennes qui pensent qu'aujourd'hui leurs droits sont menacés de disparition et la société peut-être vouée à un retour en arrière. Y a-t-il un moyen d'éviter cela? «En intégrant le respect des droits des femmes et le Code du statut personnel dans la nouvelle Constitution», soutiennent les conférencières, qui estiment que c'est là le moyen le plus radical pour contrecarrer les tentatives, répétées, d'étouffer les voix féminines qui s'élèvent pour dénoncer ces violences, «accusées de faire de la contre-révolution». Pour la psychologue, «la dictature commence quand la société prend la couleur politique du parti le plus puissant». Y aurait-il péril en la demeure de la femme tunisienne après l'arrivée d'Ennahdha au pouvoir? La question se pose.