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«Le sacré peut incarner une menace pour la liberté d'expression»
Entretien avec Larbi Chouikha, auteur de l'ouvrage : «La difficile transformation des médias»
Publié dans La Presse de Tunisie le 03 - 04 - 2015

Larbi Chouikha est professeur à l'Institut de presse et des sciences de l'information.
Auteur du livre qui vient de paraître, «La difficile transformation des médias» (*), il continue à réfléchir dans cet ouvrage sur le journalisme tunisien et ses rapports avec le pouvoir. Un champ de recherche sur lequel il écrit et travaille avec beaucoup de rigueur depuis trente ans. Il a par ailleurs publié en 2014 «Le ramadan télévisuel à Tunis entre 1992 et 2000» et a coécrit avec le politologue Eric Gobe l'ouvrage «Histoire de la Tunisie depuis l'indépendance», qui sortira bientôt à Paris aux éditions La Découverte. Professeur Chouikha revient dans cette interview sur les moments clés qui ont fait vaciller un espace médiatique pourtant plus que verrouillé par 60 ans de dictature.
A l'indépendance du pays, on décréta que « les médias se devaient d'accompagner la construction de l'Etat-nation », l'écrivez-vous dans votre livre? Les journalistes tunisiens n'ont-ils donc jamais été autonomes pendant les règnes de Bourguiba et de Ben Ali?
Les journalistes ont été instrumentalisés par Bourguiba pour servir les objectifs de l'Etat-nation. Dans ce sens, on trouve beaucoup de déclarations de Bourguiba où il dit en gros que « la liberté d'expression est un luxe pour nous». Il est clair par ailleurs qu'il y a eu depuis les années 60 de la part de cet Etat patrimonial des tentatives de «décompression autoritaire», selon la formule de Jean-François Bayart, caractérisées par des ouvertures politiques. Particulièrement au moment où il affrontait des menaces et des crises socioéconomiques, par exemple en 1970 à la fin de l'expérience de la collectivisation des terres, en 1977 avec les tensions qui émergent entre le pouvoir et la Centrale syndicale, en 1981 après le coup d'Etat de Gafsa et l'avènement du mutipartisme politique et bien sûr en 1987 après la déposition de l'ex-président Bourguiba par Ben Ali. A chaque fois, ces « éclaircies» sont accompagnées par l'irruption d'un journalisme professionnel et d'une nouvelle liberté de ton, la réhabilitation soudaine des genres journalistiques, la floraison des journaux de l'opposition. Mais ces périodes d'ouverture ne durent que le temps pour que le pouvoir retrouve ses réflexes d'avant. Dans les situations de fermeture, le champ journalistique prendra la configuration d'un «appareil» où toutes les formes de résistance seront annihilées au nom de «l'intérêt général» et de la « contrainte nécessaire».
Le développement de l'usage d'Internet en Tunisie à la seconde moitié des années 2000 a-t-il représenté une brèche dans un paysage médiatique plus que verrouillé par le régime autoritaire de Ben Ali?
Absolument. A côté de ces éclaircies politico-médiatiques, l'avènement des stations radio et télé privées, entre autres Nessma et Mosaïque, et l'apparition des premières chaînes satellitaires animées par des opposants à Ben Ali, telles que Al Moustaquilla et Al Hiwar Attounsi, la percée de cet espace verrouillé survient à travers la mobilisation des nouveaux acteurs politiques, à savoir les cyber dissidents, qui n'agissent qu'a travers la Toile.
Leur objectif : s'attaquer directement à Ben Ali, sa famille et à la corruption ambiante. Leur discours est radical, il se démarque de la rhétorique lénifiante de l'opposition classique contre le régime de l'ex-président. Parmi les figures marquantes de la cyberdissidence, je citerai feu Zouhair Yahiaoui, premier internaute tunisien et dans le monde à avoir été condamné et incarcéré en juin 2002. Les cyberdissidents ont ouvert une brèche importante mais n'ont pas été à mon sens les acteurs des évènements du 14 janvier, ils les ont plutôt relayés et accompagnés. Car les révolutions sont portées en général par des soubassements économiques et sociaux.
Militant des droits de l'Homme et auteur d'articles critiques sur les médias tunisiens et sur le pouvoir, vous êtes vous-même victime du système
Vous évoquez dans votre livre comment en 2000, vous affrontez à l'Institut de presse et des sciences de l'information un «jury» qui va vous refuser l'habilitation à diriger des recherches. Que gardez-vous de cette épreuve ?
L'Institut de presse est un cas à part. Contrairement à d'autres institutions universitaires, il était géré directement par la présidence et ses directeurs désignés par cette institution. Lors de l'épisode que vous évoquez, mon erreur fut de n'avoir aucunement pressenti qu'un débat scientifique pouvait se muer en procès politique. Grande fut ma surprise de me trouver pendant cette soutenance pris sous les projecteurs d'une caméra qui filmait mes moindres gestes. J'avais été poussé dans un traquenard ! Je n'obtins bien sûr pas mon habilitation à ce moment et fus poussé au départ pour soutenir en 2003 à l'Université Louis Lumière à Lyon mon diplôme d'habilitation à diriger des recherches en sciences de l'information et de la communication sur le thème «Ramadan télévisuel » à Tunis.
A la faveur de la révolution, les changements dans le champ médiatique sont survenus cette fois-ci par le bas. Est-ce un fait inédit en Tunisie?
En effet, c'est vraiment la première fois dans l'histoire de la Tunisie que nous vivons dans un régime caractérisé par l'affaiblissement de l'autorité centrale. En quelques minutes après le départ de Ben Ali, nous sommes passés d'un Etat fort incarné par un chef à une situation de déstructuration de l'Etat. Du coup, le ministère de la Communication disparaît et le Code de la presse est abrogé. Parallèlement, les journalistes se sont trouvés livrés à eux-mêmes, dans l'obligation d'évoluer et de fonctionner dans un espace de liberté totale alors que leur capital professionnel, éthique et culturel était plutôt faible.
Au cours de ces années de transition, nous avons connu trois moments forts qui vont peser sur l'évolution du champ médiatique. Tout d'abord, un moment fondateur où se déploient des instances promotrices des réformes des médias, telles que l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication (Inric) et le comité d'experts de l'Instance Ben Achour. La seconde phase coïncide avec le gouvernement de la Troïka pendant lequel on assistera à une tension qui divisera les journalistes et le pouvoir en place et au sabordage de l'Inric. Enfin, la troisième période démarre en janvier 2014, je la qualifie de retour à l'accalmie. Mais ce climat ne favorise pourtant pas la réalisation des réformes et le retour de la confiance.
Pourquoi dites-vous dans votre ouvrage que le secteur des médias reste toujours vulnérable malgré la liberté acquise à la faveur de la révolution?
C'est parce qu'il ne repose encore pas sur des structures démocratiques. Y-a-t-il aujourd'hui une vie rédactionnelle dans les salles de rédaction? Des conseils de rédaction? Des débats ? Des lignes éditoriales définies et claires? Le journaliste se sent-il en confiance lorsqu'il traite tel ou tel thème? L'absence de structures rédactionnelles reste le maillon faible de plusieurs médias. C'est ce qui fait le jeu des forces politiques et économiques, des patrons particulièrement, et incite les journalistes à agir à leur guise, sans véritable encadrement. On le voit surtout dans le secteur de l'audiovisuel. Avant le 14 Janvier, les balises étaient imposées par l'Etat. Aujourd'hui, il revient aux journalistes de se référer à leurs règles déontologiques et professionnelles. Autre urgence : il faudrait s'occuper sérieusement de la formation. Et s'interroger : de quel type de formation a-t-on besoin aujourd'hui en cette période transitionnelle? Quelle stratégie et quels objectifs précis pour cette phase particulière? On s'est uniquement occupé jusqu'ici du cadre juridique. Il faudrait inverser le processus et s'intéresser aux salles de rédaction et à la valorisation de la profession à travers la réhabilitation des salaires des journalistes. D'autre part, les réformes ne peuvent pas aboutir si elles ne sont pas accompagnées par une vraie volonté politique pour les appliquer. Jusqu'à quand des stations radio continuent-elles à diffuser un discours archaïque et haineux sans que le gouvernement n'intervienne? Il s'agit de menaces contre l'Etat et par conséquent contre nous tous!
Pensez-vous qu'un retour en arrière quant à la liberté d'expression soit toujours possible malgré une transition plus ou moins réussie et surtout l'adoption d'une constitution qui garantit les libertés publiques et politiques?
Je pars du principe que rien n'est irréversible, y compris le texte constitutionnel, qui a représenté l'objet d'une tension interne entre une tendance conservatrice et religieuse et une autre que je qualifierai de moderniste. Je redoute l'interprétation et l'application des différents articles de la loi fondamentale, qui dépendront du rapport de force politique et des mentalités ambiantes. Comment par exemple interpréter l'article 6, qui aborde à la fois la liberté de conscience et la protection par l'Etat du sacré? Le «sacré», une notion très floue, ne risque-t-il pas de menacer la liberté d'expression? C'est pour cela que je dis avec beaucoup de doute : ne sommes-nous pas en train de vivre une autre éclaircie? D'autant plus que nous voyons actuellement partout, à l'Ipsi compris, la cohabitation de deux univers, le premier constitué par les anciens du système Ben Ali et le second formé par ceux qui ont lutté contre le régime ou ont quelque part été ses victimes.
Vous citez à l'introduction de votre livre François René de Chateaubriand qui dit : «Plus vous prétendez comprimer la presse, plus l'explosion sera forte. Il faut vous résoudre à vivre avec elle». La presse est-elle donc une contrainte? Ne représente-t-elle pas un des piliers de la démocratie?
Bien évidemment qu'elle est l'un des fondements de la démocratie. D'ailleurs, dans tous les pays du monde, les transformations démocratiques sont souvent impulsées par les journalistes et par l'usage de la liberté d'expression. On l'a vu en Afrique du Sud, dans les pays de l'Est et ailleurs. Or, on a également constaté que les premiers signes de l'échec d'un processus démocratique survenaient aussi de ce côté là, soit par un soudain verrouillage politique ou à la suite d'un usage dévoyé de la liberté par les journalistes, c'est-à-dire par une pratique du métier démunie de professionnalisme et de déontologie.
(*) Larbi Chouikha : «La difficile transformation des médias. Des séquelles de l'étatisation aux aléas de la transition», Tunis, 2015, 115 pages. Ouvrage publié avec le concours de la Coalition civile pour la défense de la liberté d'expression et l'International média support.


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