L'ARP s'adresse au Tribunal administratif et à l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois leur demandant de lui trouver une astuce concernant le 26 avril 2015, jour que prévoit la Constitution pour la création du Conseil supérieur de la magistrature. Kaïs Saïed considère que les deux institutions ne sont pas habilitées à répondre à la requête du Parlement Les Tunisiens se rappellent encore les polémiques créées par Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC défunte, quand il menaçait de ne pas prendre en compte les avis du Tribunal administratif chaque fois que les constituants opposés à ses décisions introduisaient des recours auprès de ce tribunal en vue de déclarer nul ce que Ben Jaâfar a décidé Tout le monde se rappelle aussi que Mustapha Ben Jaâfar finissait toujours par céder et appliquer les ordonnances du Tribunal administratif à la lettre. Aujourd'hui, la donne a changé et l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) présidée par Mohamed Ennaceur s'est trouvée dans l'obligation de s'adresser aussi bien au Tribunal administratif qu'à l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois pour lui conseiller si les députés peuvent dépasser la date butoir du 26 avril relative à la création du Conseil supérieur de la magistrature. En d'autres termes, l'ARP peut-elle faire reculer la date d'adoption de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature au-delà du 26 courant sans être accusée de violer la constitution ? Au début de la semaine en cours, Khaled Chaouket, député nidaiste et assistant du président de l'ARP chargé de la communication, a annoncé que le bureau de l'Assemblée a envoyé deux demandes de consultation, l'une au Tribunal administratif et l'autre à l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois afin que lui soit fourni un avis tranchant sur la computation des délais constitutionnels à propos de la création du Conseil supérieur de la magistrature. Le député a, par la même occasion, reconnu qu'il est devenu difficile, voire impossible, que la loi en question soit adoptée avant le 26 avril 2015. Les deux institutions sont incompétentes Reste à savoir comment vont procéder le Tribunal administratif et l'Instance pour répondre à la requête de l'ARP. Et avant qu'ils ne rendent leurs avis, ne faut-il pas se demander s'ils sont compétents en la matière et se poser la question suivante : est-ce que la constitution leur permet de réceptionner la requête et de lui donner suite sous la forme d'un avis que l'ARP sera obligée de suivre ? Le constitutionnaliste Kaïs Saïed précise : «Ni le Tribunal administratif ni l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois ne sont habilités, de par les attributions qui leur sont conférées, à trancher sur cette question. La raison est claire. Le Tribunal administratif peut être consulté par le gouvernement et non par le Parlement. Quant à l'Instance, elle statue sur la constitutionnalité des lois avant leur promulgation au Journal officiel de la République tunisienne (Jort) et ce, après leur adoption par les députés. En aucune manière, le TA ou l'Instance ne peuvent intervenir en matière d'interprétation de l'un des articles de la Constitution. Il s'agit, en effet, d'un désaccord sur l'interprétation de l'article 148 de la Constitution. Cet article dispose que le Conseil supérieur de la magistrature doit être créé six mois après les résultats des élections. Et si on fait les comptes, on va découvrir que les élections (législatives, cela s'entend) ont eu lieu le 26 octobre 2014 et la création du Conseil supérieur de la magistrature se doit d'intervenir impérativement au plus tard le 25 avril 2015, de telle sorte que le 26 avril, la magistrature doit disposer de son conseil supérieur». Kaïs Saïed ajoute : «Ceux qui se tiennent à cette lecture oublient que le Code électoral prévoit l'annulation des résultats dans certaines circonscriptions si des irrégularités sont établies ou même dans l'ensemble du pays. Ainsi, le jour du vote (le 26 octobre) n'est pas à considérer comme celui de la clôture de l'opération électorale et il faut attendre que l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie) proclame les résultats définitifs après avoir statué sur les recours introduits par les candidats s'estimant lésés. Donc, la logique veut que c'est la journée du 20 mai 2015 qui doit être considérée comme la date butoir à propos de la création du Conseil supérieur de la magistrature et non le 26 courant. L'interprétation précédente ne doit en aucune manière provenir du Tribunal administratif ou de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois. C'est l'affaire des députés qui doivent assumer les responsabilités que leur confère leur statut de représentants de la nation». Pour conclure, le Pr Saïed revient à la requête de l'ARP et se demande : «Au cas où le Tribunal administratif et l'Instance rendraient deux avis différents, quel est celui que va retenir le parlement ?».