Notre professionnalisme est une vraie chimère Vingt ans sont déjà passés depuis l'adoption du professionnalisme, avec une période de transition dite de semi-professionnalisme, question de donner du temps aux clubs aux moyens limités de rattraper un tant soit peu leur retard par rapport à ceux qui en avaient et qui étaient peu nombreux. La performance, estimait-on, exigeait que l'on se mette au diapason des pays ayant déjà fait ce choix et dont les clubs et les sélections avaient pris une grande avance par rapport au reste du monde. L'argument des initiateurs de cette mutation, qui ne manquait pas d'attrait, a suscité l'intérêt des sportifs, en dépit de quelques réticences, notamment de la part des dirigeants d'associations ayant déjà du mal à pourvoir aux besoins de leurs clubs encore amateurs. Moult acrobaties furent trouvées pour enfin entraîner tous ceux qui s'y opposaient dans un mouvement qui allait, par la suite, conduire à des situations desquelles il est presque impossible de se sortir. L'ardoise de certains clubs, qui se monte à des milliards, est là pour attester de l'incohérence des choix faits et leur accord avec la réalité des moyens du pays. Tête en avant, on avait presque imposé à tous un mode de fonctionnement de gestion et des dépenses auxquelles la majorité de nos clubs n'était pas préparée pour ne pas dire tous, dans la mesure où cela devait commencer par les dirigeants en premier lieu pour ensuite voir ces derniers mettre les jalons fondateurs d'une telle entreprise qui, faut-il le souligner, ne se décrète pas. Le professionnalisme est, tout d'abord, un état d'esprit et une mentalité qui préparent à sa concrétisation et mise en pratique. Etat d'esprit, mentalité En Tunisie, c'est le contraire qui s'est vérifié. On a en quelque sorte mis la charrue devant les bœufs, parce qu'on voulait tout faire et vite, les ratés étaient innombrables et les conséquences sont devenues insurmontables pour les clubs. Dirigés par des amateurs et souvent par des personnes n'ayant aucun rapport avec le sport, d'une manière générale et le football en particulier, ces derniers peinent à s'identifier avec le statut qu'on leur avait collé. Les structures sont loin de répondre aux exigences de ce statut de clubs professionnels. Il y a tout d'abord le volet matériel qui pèse de tout son poids sur la gestion, mais aussi et surtout cet état d'esprit qu'on retrouve chez les dirigeants, surtout les premiers d'entre eux qui n'admettent ni délégation, ni non plus partage de leurs pouvoirs. Rares sont nos clubs «professionnels qui disposent d'une intendance digne de ce nom, où les rôles sont définis et les frontières entre les intervenants bien tracées. Le président du club, omniprésent. Il joue le pourvoyeur de fonds, le responsable administratif, le recruteur des joueurs, c'est lui qui choisit les techniciens, et les renvoie quand bon lui semble. Il intervient auprès des entraîneurs dans leurs choix techniques et même dans la formation à aligner sur le terrain. La plupart des présidents le font même s'ils affirment le contraire. Et cela se comprend, car en cas d'échec c'est à l'entraîneur qu'on fera endosser la responsabilité. Amateurs, les dirigeants le sont et le resteront tant qu'ils ne sauront se départir de cette sorte d'ego qui les bloque et les pousse à ne rien céder de leurs prérogatives qui ne sont plus les leurs avec le passage de l'amateurisme au professionnalisme. Cela pose aussi la question des structures. Celles-ci, faute de moyens, mais aussi faute d'y avoir songé à temps et avant de changer de statut, n'existent pas. Elles représentent un handicap majeur pour presque tous les clubs dits professionnels. Le ministère de tutelle aurait, à notre avis avant l'entame de l'expérience — et il n'est jamais trop tard de le faire — bien fait d'accompagner les clubs dans leur mue en formant et pourquoi pas payer pendant un certain temps des permanents qui auront la charge de veiller et diriger le processus. Les clubs aux moyens limités en ont le plus besoin et cela leur permettra une sorte de mise à niveau les autorisant à rattraper le temps perdu. Cela dit, on ne peut, au vu de ce qui se passe de nos jours, passer sous silence la réglementation qui régit les rapports des clubs avec leurs associés et les techniciens qui y exercent. Aujourd'hui, il y a un déséquilibre entre les devoirs et les droits; pour les joueurs, il n'y que ces derniers qui prévalent. Profitant, il est vrai d'un manque parfois cruel de règlements, les agents de joueurs en profitent pour souvent arnaquer les clubs légalement pour ensuite les mettre sous pression et les traîner devant les instances sportives locales et internationales. Combien de clubs ont dû payer des sommes d'argent pour des joueurs qui avaient pourtant failli à leurs devoirs et qui n'avaient pas honoré les clauses du contrat qui les lie à leur employeur. Cela nous renvoie une fois de plus à l'amateurisme des dirigeants de nos clubs et au déficit d'organisation qui est leur caractéristique la mieux partagée entre eux. L'amateurisme a la vie dure par l'erreur commise dès le départ qui n'a pas tenu compte d'une certaine réalité qui aurait dû faire réfléchir les initiateurs du projet afin de préparer les assises et les conditions qu'exige une telle mutation devenue avec le recul une aventure dont le résultat est loin d'être celui qu'on avait escompté avec un niveau de football loin de générer la performance à laquelle on aspirait tant au niveau des clubs qu'à celui de nos sélections nationales. Nous avons perdu vingt ans sans que cela nous avance à grand-chose et nous avons aussi dilapidé des dizaine, voire des centaines de milliards pour voir au bout du compte la montagne accoucher d'une souris. Ayons le courage de faire le bilan et de dire que le chemin suivi n'était pas le meilleur, pour rectifier le tir et redresser la barre. Continuer sur la même voie, c'est faire preuve de cécité et d'entêtement qui ne feront que précipiter la fin d'un football moribond.