Encore une fois, on s'emmêle les pinceaux. L'affaire de la séquestration de dizaines, voire de centaines de Tunisiens en Libye étale d'une manière on ne peut plus navrante le cafouillage des dirigeants politiques tunisiens. Et l'inconsistance de la communication gouvernementale. Tout d'abord, les faits. Et ceux-ci sont sacrés, ou supposés être comme tels. A l'heure qu'il est, on n'a pas encore une version gouvernementale sur le nombre exact des personnes arrêtées, les auteurs du rapt collectif, les interconnexions du forfait...La version unique fait encore défaut. Tout au plus des approximations, sinon des contrevérités assénées en toute impunité. Le ministre des Affaires étrangères donne une version, un de ses proches collaborateurs en donne une autre. Le chef du gouvernement les contredit tous les deux ! Et, dans tous les cas de figure, un souci manifeste d'arrondir les angles, de chercher un alibi à l'amateurisme ambiant. Ainsi, ne parle-t-on plus de séquestration, mais de «simple affaire de contrôle routinier». La libération des personnes prises en otage serait également, et indéfiniment, «une question de quelques heures». Quant au consul général tunisien à Tripoli, après avoir annoncé l'affaire le week-end dernier, il se tait depuis plusieurs jours. Tout simplement. Côté procédure, aucune information judiciaire n'a encore été annoncée sur cette séquestration collective de Tunisiens. Pourtant, la loi tunisienne l'autorise. Le commande même. Le président de la République s'est rendu en toute quiétude à Washington. On s'attendait à ce qu'il annonce au moins l'éventualité du report de la visite officielle aux States en raison du rapt de centaines, ou ne fût-ce que de dizaines, de Tunisiens en Libye. Il n'en est rien. En toile de fond, l'impuissance tunisienne officielle manifeste envers l'épineuse donne libyenne. Depuis les gouvernements de la Troïka, il est permis aux factions et coteries libyennes d'en faire à leur guise sous nos cieux. Terroristes, réseaux, trafiquants libyens de tout poil, entrent en Tunisie et en ressortent comme dans un moulin. En toute impunité. Voire moyennant des complicités évidentes et criardes à plusieurs niveaux, politiques, administratifs, partisans... Le message est clair et ne souffre point d'ambages. Faites-en selon votre bon vouloir, nous ferons comme si de rien n'était. Ni vu ni connu, en bonne et due forme. Et l'on se souvient toujours de la manière outrageante en vertu de laquelle Baghdadi Mahmoudi, ex-Premier ministre libyen, a été livré par les autorités tunisiennes aux milices de Tripoli sans égards aux obligations légales et au droit humanitaire. Le gouvernement de Habib Essid maintient ce cap ténébreux et déroutant. La présidence de la République n'est guère en reste. L'instance judiciaire demeure amorphe en la matière. Le principe même de l'opportunité des poursuites est bafoué, superbement. Les instances partisanes prennent le relais. On a l'impression que les centaines de Tunisiens séquestrés en Libye importent peu, s'ils ne deviennent gênants pour certains. La gestion des crises — et la communication de crise — n'est visiblement pas le fort de nos gouvernants. Ils semblent toujours sous les effets choc et stupeur. Ils bafouillent, posent des mines hagardes, font du surplace, emberlificotent les choses. Cela donne le plus souvent des discours vagues, oiseux ou inconsistants. Les diplomates campent le devoir de réserve pour légitimer l'injustifiable. Les politiques feignent d'être dans les secrets des dieux. Ce qui, à leurs yeux, autorise leurs exercices contorsionnistes. Et les mauvais plis génèrent les effets anesthésiants de la routine et du train-train pervers. Souvenons-nous, dans les premières heures et les premiers jours qui ont suivi l'enlèvement en Libye des journalistes tunisiens Sofiane Chourabi et Nedhir Ktari, rien n'a été fait. Strictement rien. Point de contacts officiels, d'information judiciaire ou de commission rogatoire. Et le sort de nos deux confrères demeure incertain depuis septembre 2014. Les observateurs avertis sont consternés. A en croire qu'il va falloir, sous nos cieux, réinventer la roue, en bonne et due forme. Le plein jeu des institutions n'est plus de mise. Le profil fantasque des responsables gouvernementaux déborde sur l'efficience des structures gouvernementales. Tout est sens dessus-dessous. Entretemps, des Tunisiens se font tuer, violer, séquestrer. Ils en voient de toutes les couleurs, en Libye et ailleurs. Ignorantia non est argument il (l'ignorance n'est pas un argument) instruit le proverbe latin. L'incompétence aussi.