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Les années folles arabes
Publié dans Leaders le 27 - 10 - 2015

Quiconque parcourt le catalogue de P. O.-L., Paul Otchakovsky-Laurens, est aussitôt saisi par la haute exigence de l'éditeur parisien. En effet, les auteurs actuels comme Marie Ndiaye, Martin Winckler, Marie Darrieussecq, Emmanuel Carrère, Mathieu Lindon, … y côtoient les désormais classiques Michel Leiris,Georges Perec,Marguerite Duras, Patrick Modiano et bien d'autres.
Cependant cette exigence n'exclut ni l'innovation ni l'audace, P. O.-L.vient d'enrichir son prestigieux catalogue d'un livre qui ne ressemble à aucun de ceux qu'il a publiés jusques là. Un livre-tableaux, un livre d'art. Cet objet hybride puisqu'il s'agit d'un roman graphique est l'œuvre de l'illustratrice libanaise Lamia Ziadé. Il est intitulé «Ô Nuit, Ô mes yeux», une tentative pour rendre l'intraduisible «Ya Lil, Ya 3in». «Principales sinon uniques paroles des ‘layali', spécialité musicale qui consiste en des improvisations, variations et modulations vocales sur ces quatre mêmes mots»(98)
En 574 pages et plus de 400 gouaches, l'artiste couvre la période allant de 1917 à 1979 en une magnifique fresque où les dessins dont les couleurs font penser à Matisse et à Andy Warhol s'entremêlent harmonieusement avec des textes aux mots justes … et leurs épousailles semblent si parfaites… à se demander qui illustre qui!
Née en 1968 et donc trop jeune pour avoir connu cette période, l'artiste a eu recours à des photos et surtout à des arrêts sur images de films de l'époque afin de ressusciter la vie artistique et culturelle des Capitales du Moyen-Orient: Beyrouth, Damas, Jérusalem et bien sûr la Métropoledu Levant, le cœur battant de tout le monde arabe, le Caire. Cette mégapole cosmopolite attirait tous les talents, tous les créateurs et artistes, tous ceux qui recherchaient la reconnaissance, la célébrité ou tout simplement une vie exaltante: les écrivains, les intellectuels, les musiciens, les poètes, les cinéastes, les acteurs et les chanteurs. Et surtout les actrices et les chanteuses dont l'omniprésence de deux d'entre elles éclipse toutes les autres et irradie tout le livre: Asmahan, la scandaleuse star druze et sa rivale, la pieuseégyptienne, pour ne pas dire bigote, Oum Kalthoum. D'ailleurs, le livre s'ouvre sur 1917, l'année de naissance (au bord d'un bateau !) de la chanteuse libanaise et il se ferme quatre années après la disparition de «l'astre de l'Orient» et la dernière illustration de l'ouvrage vient confirmer la véritable éclipse de cet astre en montrant l'immeuble hideux qui se dresse en lieu et place de la légendaire villa d'Oum Kalthoum.
C'est un livre-monde, un livre total. A la fois:
* Un livre d'histoire qui brosse la toile de fond politique et sociale : la chute de l'Empire ottoman, les luttes pour l'indépendance, la guerre de Palestine, les Officiers libres, les premières manifestations féministes, la nationalisation du Canal de Suez, la guerre de 1967, la mort de Nasser…
* Un album photo : le lecteur voit défiler devant ses yeux les portraits de Taheya Carioca, Samia Gamal, Leila Mourad, Nour el Hoda, Sabah, Fayrouz, FatenHamama…mais aussi Abdelwahab, Farid el Atrache, Abdelhalim, Omar Sharif…et bien d'autres.
* Un livre-arche de Noé : un mélange de musée, de maison de poupées, d'herbier, de carnet de notes-études d'un peintre-écrivain où tout se côtoie pêle-mêle dans une joyeuse cohabitation. En effet, l'artiste dresse avec avidité un inventaire gourmand et infini de tout ce qu'elle veut sauver et se lance, comme le font les enfants, dans une énumération ininterrompue : et puis, et puis, et puis: «il y a les cabarets du Caire, les studios, villas, casinos du Caire, les maris, les amants, l'alcool, les somnifères, l'argent, les suicides, les brownings, les scandales, les palaces, et même le chant, la musique, la voix, les ovations, les triomphes, la gloire. Il y a l'audace, le génie, l'aventure, la tragédie. Il y a des poètes et des émirs, des danseuses, des banquiers, des officiers, des imams, des cheikhs, des actrices, des khawagates, des musiciens, des vamps, des noctambules, des révoltés, des sultans, des pachas, des beys, des espionnes, des prodiges, des rois d'Egypte et la cour.» (4ème de couverture)
L'illustratrice beyrouthine dessine avec frénésie tout ce qu'elle veut sauver de ce monde dont la disparition se profile à l'horizon de cette année 1979, année, faut-il le rappeler, de la Révolution iranienne. Et comme si rien n'avait changé, déjà à l'époque ce qui advient en Iran provoque des ondes de choc dans les pays du Golfe: «Dans les années quatre-vingts, au Caire, sous l'impulsion des pays du Golfe, plusieurs chanteuses, actrices et danseuses prennent le voile. Elles se voient remettre des mallettes de centaines de milliers de dollars si elles acceptent de ‘montrer l'exemple'» (p.560)
Bien après al-Andalous, beaucoup plus proche de nous que la période chérie par les Salafistes, presqu'hier pour certains, un âge d'or arabe a été possible. Il y a à peine trente-cinq ans dans le monde arabe régnait une rage de vivre, une rage de créer dans tous les domaines, une rage enfin de se libérer individuellement et collectivement.
Et face à la rage éprouvée aujourd'hui devant l'état du monde arabe, il faut espoir garder car ce qui a été il y a si peu reste possible. Cela ne dépend que de la volonté collective.
Lamia Ziadé Ô nuit Ô mes yeux Le Caire/ Beyrouth/ Dama/ Jérusalem, P.O.L, 574pp., 39,90€.
Si vous souhaitez écouter et voir s'animer les personnages mythiques de ce livre:
www.onuitomesyeux.com


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