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Faculté des anciens versus vacuité des modernes ? Propos légers à l'occasion de l'anniversaire d'une faculté de droit tunisienne
Publié dans Leaders le 19 - 12 - 2017

La Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis fête, cette année, ses trente années d'existence (1987-2017). En trois décennies, la FSJPST, comme il plait à ceux qui l'avaient fréquentée d'abréger son nom, a réussi à asseoir sa réputation d'une des meilleures facultés de droit du pays. Plusieurs générations d'excellents étudiants y ont fait leurs études. Ils sont devenus avocats, juges, professeurs de droit, entre autres. Le fait que de nombreux professeurs de la FSJPST aient occupé des postes de responsabilité politique, notamment après la révolution, ou dans des instances internationales, ne peut que renforcer l'image de la FSJPST comme un pôle d'excellence dans le pays et contribuer à faire d'elle une véritable pépinière de leaders, une véritable Institution qui a écrit quelques unes des plus belles pages de l'histoire de l'Université tunisienne.
On n'est pas donc étonné de voir que les « anciens » de la FSJPST se remémorent avec une grande émotion leurs années à la faculté. Rien de plus normal, car comme le disait Jacques Lanzmann: « même les mauvais souvenirs finissent par devenir de bon souvenirs » ! (il suffit de songer aux interminables nuits de révision et au stress précédant la proclamation des résultats). Mais, on les suit moins quand ils essaient de nous convaincre que ce « bon vieux temps » était l'âge d'or à jamais révolu et que la décadence qui a suivi leur passage (car personne ne vous dira que, quand il était arrivé, la décadence était déjà là !) à la faculté est irréversible. En effet, cette assertion (l'âge d'or est à jamais révolu) mérite d'être doublement relativisée: 1- l' « âge d'or » recelait déjà les germes de la régression, 2- la régression (car ce serait exagéré de parler de décadence) n'est pas irréversible. Les remarques que nous allons présenter dans les lignes qui suivent sont à notre avis transposables à toutes les facultés et universités tunisiennes, d'où l'intérêt de les méditer sans préjugés ni rejet, le propos ne visant nullement à gâcher l'ambiance festive de l'anniversaire de la FSJPST mais plutôt à tirer quelques enseignements et à proposer quelques pistes de réforme.
Le fantasme de l' « âge d'or » de la Faculté (et de l'université tunisienne tout court)
Les nostalgiques de l' « âge d'or » avancent à l'appui de la thèse du déclin actuel de la faculté plusieurs arguments : Aujourd'hui, selon eux « la qualité de l'enseignement a nettement chuté » (en réalité, c'est un euphémisme qui leur sert à éviter de dire que le niveau des enseignants a baissé). Par ailleurs, la Faculté pouvait fixer, avant, un score élevé lui permettant de sélectionner les meilleurs étudiants de toutes les régions du pays et qui étaient de manière générale très sérieux et « bosseurs » ! Enfin, on nous parle de cette ambiance réellement universitaire qui régnait avant et qui a disparu. Une ambiance presque « glamour » faite de romances qui transcendaient les promotions, les âges et même les statuts et qui est, nous dit-on, partie intégrante des charmes de la vie universitaire et de la formation même de la personnalité des jeunes étudiants.
A ce monde un peu enchanté (on aurait dit totalement enchanté si on n'était pas en train de parler des juristes qui sont le symbole même de la rigueur et de l'austérité), on oppose une faculté où il n' y a presque plus de grands professeurs (certains sont décédés ou partis à la retraite, d'autres sont partis à l'étranger améliorer leur situation matérielle et certains ont fait le choix d'occuper des postes politiques). Les grands noms qui restent ne font qu'accroitre le sentiment d'amertume face à la décadence générale. On n'a plus de professeurs de la trempe du très regretté Abdelfattah Amor, du doyen Sadok Belaid, de Yadh Ben Achour, de Mohammed Charfi ou de Farouk Mechri (pour ne citer que ceux-là). Ce n'est pas seulement le « bagage » scientifique qui est en cause mais également la pédagogie, la maitrise de la méthodologie juridique et même le rapport avec l'étudiant c'est-à-dire l'aptitude à l'inspirer et à lui transmettre une vision du monde et des choses (car c'est bien ça l'objet du droit finalement) !
Le niveau des étudiants, de son côté, s'est gravement détérioré (la formation durant l'enseignement secondaire laisse à désirer et le système LMD mal adapté et mal engagé n'a pas arrangé les choses). De plus, les publications scientifiques se font plus rares et certaines revues se sont tout simplement arrêtées de paraitre (même si cela s'explique par des considérations qui dépassent le cadre d'une seule Faculté). Enfin, l'esprit universitaire a laissé la place, au meilleur des cas, à un esprit scolaire et, au pire, à une débandade générale. Ce portrait dans son ensemble fait dire aux nostalgiques que la Faculté des Anciens a cédé la place à la « vacuité » des modernes !
Cependant, il est de notre devoir de jeter un regard moins subjectif sur la réalité de la FSJPST, aujourd'hui, et de rappeler la nécessité de ne pas confondre ses propres états d'âme avec la réalité : Car, admettons-le, souvent, les jugements portés sur la Faculté aujourd'hui ne sont que l'expression de la nostalgie des anciens pour une époque à jamais révolue, Pour eux (ça s'entend) : la preuve c'est qu'ils n'ont plus aucun lien avec la Faculté, depuis plusieurs années. Par conséquent, ils ne sont pas en position de porter un jugement éclairé sur sa situation. Notre regard sera plus objectif. Il consistera à chercher les causes de la régression, pour conclure que les germes de la régression existaient déjà à l'époque du prétendu « âge d'or » et à décrire de manière moins « sentimentale » la situation actuelle, pour dire que tout n'est pas perdu et que la Faculté peut, non seulement se relever, mais aussi rayonner plus qu'elle ne l'avait jamais fait.
Les germes de la régression
La régression vient, d'abord, de la politique publique menée par l'Etat dans le domaine de l'enseignement en général et de l'enseignement supérieur en particulier. Cette politique s'est essoufflée à partir des années 1980 : tous les professeurs qui nous ont marqué ont été formés avant cette date. L'Etat tunisien n'avait pas à la fin des années 80 et au début des années 90 de vision stratégique pour l'amélioration ou la réforme du système d'enseignement et de recherche. La société changeait, le système politique changeait, l'économie et le marché changeaient mais l'Université et les méthodes et programmes d'enseignement ne suivaient pas. A la fin des années 1990, le système n'était plus adapté et l' « output » perdait inexorablement en qualité ce qui a enclenché le cercle vicieux connu et compris de tout le monde et qui n'appelle pas davantage d'explications.
Ensuite, il y a, évidemment, les moyens financiers et humains mis à la disposition des Universités et qui étaient dérisoires. Les subventions étatiques à la recherche étaient plus qu'insuffisantes et les gouvernements successifs n'avaient pas cherché à impliquer le secteur privé convenablement dans le financement de la recherche et le développement. Le statut des professeurs d'université présentait tellement peu d'incitatifs que les meilleurs éléments se détournaient de l'enseignement et de la recherche et préféraient s'orienter vers des carrières qui assurent un plus grand confort matériel. Par ailleurs, on assiste depuis la révolution à un phénomène nouveau: les enseignants font de plus en plus du conseil/expertise auprès d'ONG aux dépens de la recherche scientifique fondamentale (il est vrai que cela leur permet d'arrondir leurs fins de mois) sans parler de ceux qui continuent d'exercer, légalement ou illégalement, la profession d'avocat. D'où la rareté des publications à caractère scientifique à l'heure même où le pays connait de grands bouleversements politiques et des mutations juridiques historiques qui méritent d'être étudiés. Il y a eu certainement un grand nombre de tables rondes et d'ateliers au cours des dernières années mais la publication n'a pas suivi. Ce qui fait que la plupart des analyses resteront des « paroles et paroles » !
Enfin, un élément souvent passé sous silence parce que dérangeant ou tout simplement ignoré, est la participation des professeurs eux-mêmes de manière directe ou indirecte à la crise de la relève en recherche : ils ont, certes, dispensé un excellent enseignement mais nombreux sont ceux qui n'ont pas œuvré à créer des traditions de recherche en constituant des groupes de réflexion et des unités de recherche (il a fallu attendre 1994 pour que la première unité de recherche voit le jour à la FSJPST). Par ailleurs, la plupart des professeurs préféraient la recherche et la publication « en solo » et évitaient d'associer les jeunes chercheurs à leurs projets ou travaux (soit qu'ils ne les jugeaient pas à la hauteur ou qu'ils voulaient avoir l'exclusivité de la paternité des nouvelles théories qu'ils construisaient et qui allaient marquer l'histoire universelle du droit !). Ce faisant, ils se sont imposés comme d'éminents professeurs, mais sur le plan structurel l'Université et la recherche n'y ont pas trouvé leur compte. Le vide dont souffrent les facultés de droit aujourd'hui (pas en nombre d'enseignants cela s'entend !) est en partie une résultante de ce choix.
Il ressort de ces quelques éléments que la crise germait déjà depuis la fin des années 90 (si ce n'est avant). La dictature n'a pas résolu les problèmes, elle les a juste ignorés ou dissimulés. Lorsque la révolution est venue, elle a littéralement ébranlé le monde universitaire comme le pays tout entier. Cela s'est naturellement traduit par un climat délétère surtout durant les premières années. La révolution n'a pas engendré les problèmes de l'enseignement supérieur, elle n'a pas crée la crise de l'Université et sa déliquescence ; elle les a juste dévoilés et mis sous la grande lumière du soleil. Aujourd'hui que l'onde de choc commence à refluer et que les choses commencent à revenir, petit à petit, à la normale, peut-on voir la situation autrement ? Y a-t-il lieu d'espérer ?
Des raisons d'espérer
Nous pensons que la révolution qui a ébranlé le monde universitaire l'a, par la même occasion, libéré. Elle a libéré, d'abord, les professeurs. Désormais, ils jouissent d'une liberté de parole et d'enseignement qui étaient inconcevables avant la révolution et qui d'autant plus sont reconnues et garanties par la constitution (article 33, qui, par ailleurs, dispose que « l'Etat fournit les moyens nécessaires au développement de la recherche scientifique et technologique » mais on verra si l'Etat concrétisera cet article ou si ce dernier continuera de résonner comme un vœu pieu). La révolution a libéré, ensuite, l'enseignement et la recherche eux-mêmes. Aujourd'hui, de nombreux colloques sur des sujets qui étaient considérés, autrefois, comme fâcheux pour le régime se tiennent et servent à diffuser les connaissances, de nombreux partenariats avec des ONG et des fondations pour l'organisation de colloques et autres activités sont établis, le nombre et le rythme de soutenances de thèses s'est accéléré grâce notamment à la prise de conscience des professeurs de l'urgence de former ceux qui devront prendre la relève. Enfin, et surtout, la révolution a libéré les étudiants. Elle a libéré leur parole (« qui délivre le mot délivre la pensée » disait Victor Hugo) mais aussi leur action. Ce qui fait qu'on assiste aujourd'hui à l'ascension d'une génération de jeunes étudiants qui sont en train d'accomplir ce que les anciens ne pouvaient pas rêver de faire même dans leurs rêves les plus fous : découvrir l'univers du droit à travers les cours mais aussi y vivre réellement à travers des formations et des stages dans des institutions et organismes étatiques, des associations et même des ONG internationales qui leur permettaient de pratiquer, de manière concomitante avec leurs études, les connaissances théoriques qu'ils ont acquises. C'est une véritable rupture avec les méthodes classiques qui avaient cours dans nos facultés durant des décennies et qui, en se contentant d'une approche purement théorique, produisaient des juristes déconnectés de la réalité du droit.
Quoiqu'en disent les anciens, et avec tout le respect qu'on leur doit, jamais la Faculté n'a été le théâtre de tant d'initiatives émanant des étudiants qu'aujourd'hui : une multitude de clubs juridiques et autres, des plaidoiries, des simulations de tribunaux, d'organisations et de conférences internationales et même l'organisation d'un colloque étudiant en 2017 où tous les intervenants étaient des étudiants des cycles supérieurs venant de quatre facultés de droit tunisiennes. Il faut, bien sûr, éviter les comparaisons stériles entre générations d'étudiants, car la faculté s'inscrit dans un continum ; chacun apporte sa pierre à l'édifice. Force est, cependant, de reconnaitre que l'effervescence scientifique et culturelle que connait la FSJPST aujourd'hui est inédite et qu'elle n'a jamais été aussi rayonnante en Tunisie et ailleurs comme elle l'est aujourd'hui.
Par ailleurs, tout en reconnaissant que la jeune génération d'enseignants n'a pas encore égalé celle des grands maitres, il faut rappeler qu'elle n'est encore qu'au début de son chemin. Les éléments prometteurs existent et sont légion malgré les difficultés et obstacles engendrés par le système.
Rendre à la faculté et à l'Université leurs lettres de noblesse n'est pas impossible, si les pouvoirs publics se mettent à mieux écouter les doléances du corps professoral et son diagnostic de la situation des facultés de droit et des Universités de manière générale en Tunisie. Il va sans dire qu'il faut améliorer le statut des enseignants mais il faut aussi instaurer un système basé sur le mérite, seul à même de garantir la qualité de l'enseignement et de la formation et de promouvoir la recherche scientifique.
Enfin, l'étudiant doit être au centre de la vie universitaire, l'alpha et l'oméga du système d'enseignement. Les aspects scientifiques, pédagogiques et économiques doivent être pris en compte dans toute initiative de réforme mais également les dimensions sociale, culturelle et citoyenne de la formation des étudiants. Car ne l'oublions pas, le rôle d'une faculté de droit, comme toutes les autres facultés, par ailleurs, ce n'est pas seulement de former des juristes avisés mais aussi des citoyens éclairés.
Nidhal Mekki
Doctorant, Université Laval, Canada


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