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Noureddine Dougui: La République en procès
Publié dans Leaders le 18 - 03 - 2018

A l'orée de la célébration du soixante-deuxième anniversaire de l'Indépendance, l'Etat qui en est issu a essuyé, une fois de plus, les feux nourris de l'Instance Vérité et Dignité (IVD).
La mise en cause de l'Etat a démarré par une déclaration fracassante de sa présidente,Sihem Ben Sedrine, accusant, à travers des formulations alambiquées, les dirigeants de la République d'avoir attribué à la France, par des accords léonins, l'exclusivité de l'exploitation de toutes les richesses sous-terraine.
Dans la foulée,la présidente de l'IVD met en avant le « scoop documentaire » de ses services qui, affirme-t-elle, ont réussi, là où l'Etat a échoué, à transférer en Tunisie des archives secrètes conservées en France, concernant la base aéronavale de Bizerte, qui était, soutient-elle,un sanctuaire atomique français (sic), (entendez une base de lancement de fusées nucléaires)impliqué dans la guerre froide.Relayant ces déclarations, l'IVD a publié sur son site officiel deux mises au point historiques. Le premier concerne la base de Bizerte, et le second les « forfaitures » des dirigeants de l'Etat depuis 1955, soulignant avec moult détails les « compromissions »du régime bourguibien avec l'ex-puissance coloniale.
Disséquant la rhétorique éristique de l'IVD, on en est venu à croire que cette Instance a trouvé son pain béni en ressortant d'une manière intermittente un dossier « sensible ». Qu'à cela ne tienne, nous ne contestons pas les prérogatives mémorielles de cette Instance. Que l'IVD s'intéresse à la guerre de Bizerte, ou qu'elle attache un prix aux conditions de concession des ressources naturelles nationales, n'est pas de nature à émouvoir quiconque. Mais qu'elle s'érige en tribunal jugeant en dernier ressort des actes et intentions des services de l'Etat, cela constitue, de l'avis de nombreux observateurs, une entorse aux règles déontologiques qui sous-tendent sa mission.
Pour s'en faire une idée,examinons la rhétorique argumentative de l'IVD. A la base de son discours se trouve une idée fixe qui revient comme un leitmotiv : l'Etat tunisien, soumis au diktat de l'ex-puissance coloniale,a failli, depuis la conclusion des conventions de l'autonomie interne en 1955, à sa mission de défense des intérêts nationaux. Le protocole de l'Indépendance de 1956 n'ayant pas abrogé les avantages léonins attribués à la France, celle-ci continuerait à peser sur les choix nationaux en matière d'exploitation minière et énergétique. Ces allégations, dénuées de tout fondement, ne peuvent pas passer sous silence.
Sans vouloir verser dans une polémique stérile et inutile, les observations qui suivent, se référant à des faits historiques intangibles, s'inscrivent en faux contre l'argumentaire de l'IVD. A cet effet, nousreprendrons point par point le contenu de son discours historique :
1) Soulignons de prime abord que « l'exclusivité documentaire » dont se prévaut l'IVD, qui a, d'ailleurs, soulevé il y a une année une levée de boucliers dans le monde académique,relève tout bonnement de la fabulation ;parce qu'il n'existe pas d'archives françaises communicables,concernant la Tunisie, qui ne soient pas connues des historiens tunisiens ;
2) Concernant les accusations proférées par l'IVD contre l'Etat de l'Indépendance, nous ne reviendrons pas sur la question de « Bizerte sanctuaire nucléaire français ». Ce postulat, simpliste et saugrenu,ne mérite pas qu'on s'y attarde. Nous nous en tiendrons donc à la problématique du « bradage des richesses nationales » ;
3) l'IVD en est arrivé à cette conclusion en interprétant, à sa manière, les conventions de l'autonomie interne du 3 juin 1955, et notamment la convention économique et financière qui stipule (article 33) que : «le Gouvernement tunisien s'engage à donner, à conditions égales, la préférence à des entreprises françaises ou tunisiennes pour l'obtention des permis de recherche et d'exploitation.»
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que cette clause n'institue aucune exclusivité, et ne dénie pas le droit de la Tunisie de faire appel à la concurrence internationale pour la prospection et l'exploitation de ses richesses ; la préférence n'étant accordée aux entreprises françaises qu'à conditions égales à celles offertes par les tiers.Ceci posé, le postulat selon lequel la France dispose du droit exclusif d'exploiter les richesses naturelles tunisiennes devient sans objet ;
4) Quand bien même ces conventions ne seraient pas particulièrement avantageuses pour la Tunisie, tout un chacun sait qu'à peine publiées elles sont tombées en désuétude ;
5) Revenons aux entreprises minières françaises de Tunisie, l'IVD se méprend une fois de plus sur les faits, la chronologie et le contenu des conventions qui les lient à l'Etat tunisien. Elle semble croire que tout a démarré en 1949, après la publication du décret beylical du 13 décembre 1948 instituant des dispositions spéciales pour faciliter l'exploration des minerais par les entreprises françaises ;
S'agissant de chronologie, les choses ont besoin d'être remises au point. La législation minière tunisienne ne remonte pas à1948 mais à1893, celle-ci a été complétée par le décret du 15 janvier 1896 qui a affirmé les droit du Domaine sur toutes les terres mortes ; (montagnes incultes, mais aussi salines et terrains à phosphate),et par le décret du 29 décembre 1913 sur les mines.
Le décret du13 décembre 1948 ne crée donc pas une situation plus avantageuse pour les entreprises existantes ou à créer, mais il institue des dispositions spéciales pour faciliter la recherche et l'exploitation des substances minérales du second groupe.
Mais ce qui importe de souligner, c'est que ce décret est devenu quasi-obsolète après l'indépendance, puisque il a été remanié dans le sens d'une meilleure prise en compte des intérêts nationaux ; d'abord par la loi du 15 mars 1958 qui a imposé aux sociétés pétrolières « une redevance proportionnelle qui ne doit pas être inférieure, en ce qui concerne les hydrocarbures, à 15% de la valeur du pétrole brut exploité » et « une redevance supplémentaire égale à la moitié des bénéfices réalisés sur le produit des exploitations en Tunisie des sociétés pétrolières. »
Une deuxième modification est apportée par le décret-loi du 14 Septembre 1985 qui introduit des dispositions fiscales assurant à l'Etat une rente plus importante (redevance comprise entre 10 et 20% et impôt sur les bénéfices de 50 à 75%). La dernière modification est introduite par la loi du 17 août 1999 portant promulgation du code des hydrocarbures qui a institué le principe de partage de production entre les entreprises concessionnaires d'hydrocarbure et l'entreprise nationale d'activité pétrolière. Ceci posé, les récriminations de l'IVD deviennent encore une fois sans objet.
6) S'agissant toujours de pétrole, on comprend mal pourquoi l'IVD a cherché àinclure dans son réquisitoire contre l'Etat tunisien l'affaire de la sortie du pétrole d'Ain Aminas par le port tunisien de Skhira. Ce gisement, situé à 260 km de la frontière tunisienne, a été découvert dans le Sahara algérien en 1955 par une entreprise française, à une date où l'Algérie est encore administrée par la France. L'Etat tunisien ne peut, de ce fait, prétendre à un quelconque droit de regard sur les conditions de son exploitation et encore moins choisir la nationalité de l'entreprise – en l'occurrence la TRAPSA- chargée de son évacuation.Tout au plus a-t-il négocié en 1958, au mieux des intérêts du pays, le montant de la redevance de passage de ce pétrole par son territoire.Quand bien même ce montant n'a pas augmenté entre 1960 et 1971, comme c'est d'ailleurs le cas partout au Moyen-Orient, cela ne peut en aucun cas être considéré comme une « forfaiture » comme le soutient l'IVD.
7) Pour en finir avec les concessions pétrolières,signalons que ce ne sont pas les entreprises françaises qui ont bénéficié, en l'occurrence, d'un quelconque droit de préférence, tel qu'allégué par l'IVD. Il est, en effet, de notoriété publique que c'est l'entreprise italienne,ENI, qui a été, à partir de 1960,pionnière dans le domaine des activités pétrolières en Tunisie. La convention qui lie cette société à la Tunisie aboutit à la création, en 1961, de la Société italo-tunisienne d'exploitation pétrolière (SITEP), à participation paritaire avec l'Etat Tunisien (50% - 50%). Celle-ci entreprend la même année les premières activités d'exploration. En 1964, elle découvre le gisement El Borma, qui sera mis en production en 1966 et qui restera le principal gisement du pays jusqu'à 1971, date à laquelle le gisement offshore d'Ashtart est découvert dans le golfe de Gabès et mis en exploitation en 1974 par Elf-Aquitaine.
Entretemps,la typologie des exploitants du pétrole tunisien s'est enrichie notablement. En 2012, la Tunisie compte 49 permis de recherche et 54 concessions d'exploitation accordées à différentes sociétés (Shell, British Gas, Elf Aquitaine, Pétrofac, ENI, MerthonOil et d'autres encore) l'Etap, société nationale, détient à elle seule 23 permis de recherche.Nous voilà bien loin de « l'exclusivisme de l'ex-puissance coloniale » tant décrié par l'IVD ;
8) Reste la question des entreprises minières, celle-ci concentrent avant 1956 environ 42% du total des capitaux investis en Tunisie. Au sein de ce secteur, les entreprises exploitant les phosphates et le fer occupent une place de choix. La plupart d'entre elles bénéficient degaranties juridiques et financières excessives qui rendent leur nationalisation très coûteuse.
Défi crucial, s'il en est, pour le jeune Etat issu de l'indépendance, déjà en butte à un mouvement général de désinvestissement, aggravé par la fuite des capitaux. D'essence coloniale, les entreprises minières françaises, dont les centres d'exploitation sont limitrophes de l'Algérie, ralentissent considérablement leur investissement, au vu de la montée du mouvement syndical et de l'insécurité ambiante générée par l'éclatement de la révolution algérienne, ce qui se traduit par une crise sociale aiguë.
Au lendemain de l'indépendance, il apparaît bien que l'héritage de ces entreprises ne peut pas être reçu tel quel par une Tunisie qui cherche à promouvoir son économie. La plus importante des entreprises minières françaises de Tunisie : la Compagnie des phosphates et du chemin de Gafsa est tunisifiée en 1960. La décision est prise en 1957, mais sa mise en œuvre donne lieu à un processus,long et pénible, de négociations qui aboutit à la prise de participation de l'Etat tunisien au capital de l'entreprise, à hauteur de 51%. Cette « nationalisation » en douceur entraîne le changement de nationalité de la société, le transfert de son siège socialde Paris à Tunis, la nomination de Ezeddine Abassi, président directeur général et Ahmed Tlili, vice-président et l'attribution à l'Etat tunisien de la moitié des sièges du conseil d'administration.
Les autres entreprises minières emboîteront le pas de la Compagnie de Gafsa à des dates ultérieures.
L'exposé de ces faits ne prétend pas à l'exhaustivité, son objectif est de fournir quelques éléments de lecture à même de favoriser une approche moins passionnée et plus transparente de l'histoire économique du pays.
Il est regrettable que,voulant faire valoir une version tendancieuse des faits historiques, l'IVD en est venue à travestir la réalité et à fabriquer un mythe. Dérogeant aux règles élémentaires du récit historique,l'IVD a construit un discours historique biaisé souffrant d'un manque patent de cohérence entre les prémisses et les conclusions. D'où ses nombreuses confusions et des mystifications malencontreuses.
A l'origine de cette « contre-histoire » se trouve une exaspération contre le régime de Bourguiba. L'IVD ne sait peut-être pas qu'on affaiblit toujours tout ce qu'on exagère, car comme disait Talleyrand « Tout ce qui est excessif est insignifiant ».
Noureddine Dougui


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