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Houcine Jaïdi: Le populisme, un élément structurel de la démocratie, depuis … 25 siècles
Publié dans Leaders le 19 - 10 - 2019

«Dans les assemblées, vous vous délectez à vous entendre flatter par des discours qui ne visent qu'à vous plaire, mais ensuite, quand les évènements s'accomplissent, votre salut même est en danger ». Cette phrase fait partie d'un discours politique intitulé « La Troisième Philippique » prononcé, en 341 avant Jésus-Christ, par Démosthène, homme d'État athénien qui fut le plus grand orateur de l'Antiquité. Son auteur jouait, alors, un rôle politique de premier ordre dans sa patrie où la démocratie vivait son crépuscule à cause de la grande menace que faisait peser sur elle le roi de Macédoine Philippe II, le père d'Alexandre le Grand. Le constat réaliste et amer de l'orateur athénien montre combien les populistes pouvaient, en démocratie, avoir un succès politique certain qui ne tarde pas à se révéler dévastateur pour ceux-là même qui les ont portés au pouvoir.
Avant, pendant et après les dernières élections législatives et présidentielles, de nombreux Tunisiens ont, à tort ou à raison, mais plus que jamais, mis en garde contre le populisme qui, à leurs yeux, menace leur démocratie naissante. Ce faisant, ils ont, le plus souvent, présenté le populisme comme une déviation dont l'essence est étrangère à la vraie démocratie, naturellement parfaite et l'ont considéré comme un élément exogène qui s'y attaque cruellement, par surprise, prenant tous les vrais démocrates au dépourvu.
Cependant, la longue histoire de la démocratie prouve le contraire et nous rappelle que le populisme est un ver installé dans le fruit depuis l'avènement de ce régime politique qui consacre la souveraineté du peuple. Si le mal n'est pas toujours visible, c'est qu'il peut avoir des visages multiples, une virulence variable et des phases d'hibernation imposées par des antidotes efficaces. Dans l'histoire contemporaine, les exemples les plus saillants du populisme dans le monde occidental sont d'abord ceux du nazisme et du fascisme relayés, quelques décennies plus tard, par des partis d'extrême droite ou néo-conservateurs qui ont joué, dans des contextes différents, sur les fibres de la supériorité raciale, la préférence nationale, la xénophobie et le bellicisme ravageur.
La démocratie athénienne, la plus accomplie des démocraties de l'Antiquité, a aussi la particularité d'être la mieux connue grâce à une grande variété de sources qui nous permettent de comprendre son fonctionnement de manière détaillée. Elle était certes bien différente des démocraties contemporaines ne serait-ce que parce qu'elle était esclavagiste et qu'elle excluait les femmes de toute participation à la vie politique. Mais elle a légué à la postérité plusieurs concepts que nous utilisons encore et à la tête desquels figurent les deux fondements principaux de toute démocratie : la liberté (juridique et politique) encadrée par la loi et l'égalité (politique, par la loi) et devant la justice (devant la loi). Les enseignements qu'elle nous a laissés à propos du populisme méritent d'être rappelés.
Aux origines du populisme, la démagogie en démocratie grecque
Fondée sur la liberté et l'égalité qui ont ouvert la voie à la souveraineté du peuple, la démocratie athénienne n'en était pas moins un régime où les charges les plus importantes ont été, presque toujours, confiées à l'élite sociale d'origine aristocratique. Quelques années seulement après sa naissance, en 508 avant Jésus-Christ, le nouveau régime athénien a fait des dix stratèges (commandants de l'armée), élus annuellement, les magistrats qui détenaient l'essentiel du pouvoir exécutif. Le stratège qui s'imposait à ses neuf collègues devenait, de fait, le « « Chef de l'Etat ». Périclès, figure la plus emblématique de la démocratie athénienne, l'a été de 461 avant Jésus-Christ jusqu'à sa mort, en 429 avant Jésus-Christ, grâce à sa réélection, chaque année.
Jusqu'à la fin de la période pendant laquelle Périclès a dominé la scène politique athénienne, tout dirigeant politique démocrate qui prenait, des mesures favorables au peuple (démos), c'est-à-dire à la majorité des citoyens, se trouvait désigné par le terme ‘'démagogue'' qui signifie ‘'celui qui conduit le peuple''. La « conduite » du peuple échoyait donc à un dirigeant politique élu par ses concitoyens. Cette élection lui offrait l'occasion de briller tout en servant les intérêts du peuple qui s'en souvenait pour le réélire. Le qualificatif de « démagogue » utilisé pour désigner l'élu « qui conduit le peuple » n'avait au début, rien de péjoratif. Platon l'a appliqué à Périclès, glorifié par plus d'un prédécesseur du philosophe, à commencer par Thucydide, comme la figure idéale du dirigeant démocrate.
Le terme « démagogue » a connu une évolution sémantique avec le passage du sens neutre au sens péjoratif, que nous lui connaissons aujourd'hui, immédiatement après la disparition de Périclès et l'élection de Cléon en tant que stratège ‘'principal'', c'est-àdire ‘'Chef de l'Etat''. Cléon a été décrit par ses adversaires comme un dirigeant qui flattait le peuple pour réaliser ses desseins politiques, à l'opposé des chefs politiques démocrates depuis les origines de la démocratie jusqu'à Périclès qui défendaient les intérêts du peuple. Le terme ‘'démagogue'' appliqué à Cléon prit, alors, la forte connotation péjorative précitée. Cette évolution sémantique a coïncidé avec l'apparition, à la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ, d'hommes politiques nouveaux, peu fortunés ou riches mais d'origine non aristocratique.
Considérée dans ses deux significations, la démagogie a donc désigné, chez les Grecs, depuis le Ve siècle avant Jésus-Christ, la flatterie du peuple par les dirigeants politiques, soit en vue de lui procurer des avantages réels (politiques, économiques, sociaux), soit pour l'instrumentaliser politiquement sans véritable contrepartie. La deuxième acception que nous désignons de nos jours par le terme péjoratif ‘'populisme'' ne doit pas faire oublier la première, plus ‘'neutre'', chez les Grecs, mais fondée, elle aussi, dans un régime démocratique, sur les flatteries adressées au peuple par des dirigeants qui voulaient arriver au pouvoir et/ou s'y maintenir.
Les innombrables facettes du populisme
Entendue comme la conduite du peuple par les dirigeants aristocrates de la cité qui lui procurent des avantages divers en contrepartie de leur leadership, l'apparition de la démagogie est à situer vers 480 avant Jésus-Christ, soit une génération après la naissance de la démocratie athénienne. Cette apparition coïncide avec la naissance de l'empire d'Athènes, mis en place au lendemain de la bataille de Salamine qui se termina par une retentissante victoire navale contre la marine perse.
La première figure du démagogue est celle de Cimon, qui a été élu stratège une première fois en 478 avant Jésus-Christ. et qui a été réélu, pendant une quinzaine d'années, pour exercer cette charge. Grâce à sa très grande fortune, Cimon a pu gérer de nombreuses liturgies, ces prises en charge de dépenses au profit de la communauté, dont la plus importante était la triérarchie qui consistait à armer des navires de guerre (des trières) grâce auxquels Athènes a pu exercer sa domination sur de très nombreuses cités grecques de la mer Egée dans le cadre de la Ligue de Délos. Pour gagner la faveur du démos, Cimon ouvrait volontiers ses domaines à tous ceux qui voulaient s'y servir. Ainsi, il inaugurait le clientélisme politique en démocratie.
Aristocrate mais bien moins riche que Cimon, Périclès ne pouvait pas concurrencer ce dernier en matière de générosité envers le démos. La solution, selon Aristote, fut la création, au profit du démos d'une rétribution étatique quotidienne (misthos) pour l'exercice des charges étatiques. Après avoir rétribué l'appartenance au tribunal populaire, la mistophorie a été étendue à la plupart des magistratures et a fini, au IVe siècle avant Jésus-Christ, par profiter à tous ceux qui assistaient aux réunions de l'Assemblée du peuple. Dans la deuxième moitié du IVe siècle avant Jésus-Christ, Aristote évaluait le nombre de bénéficiaires des misthoi à 20.000, soit à peu près la moitié des citoyens athéniens. Le financement venait essentiellement du tribut versé à Athènes par les cités qu'elle dominait dans le cadre de la Ligue de Délos. Ainsi, la mistophorie, inaugurée par Périclès pour servir son ambition personnelle, débouchait sur un véritable populisme d'Etat. Elle devenait un salaire étatique qui rétribuait ce que l'historien Claude Nicolet a désigné comme ‘'le métier de citoyen''. Mais la générosité de l'Etat athénien envers le démos ne se limitait pas à la mistophorie. L'exploitation des ‘'alliés'' d'Athènes dans le cadre de la Ligue de Délos a donné lieu à des expropriations de terres agricoles qui ont été attribuées, sous forme de lots, aux soldats athéniens qui y tenaient garnison. Ces colonies militaires qui assuraient et symbolisaient la domination d'Athènes étaient appelées clérouquies. Leur multiplication, qui a profité aux pauvres, a assuré, à Athènes, pendant près d'un demi-siècle, le prestige de plus d'un dirigeant démocrate, de Thémistocle à Alcibiade en passant par Cimon et Périclès. Il s'agissait là de personnages qui ont pratiqué une politique populiste basée matériellement sur l'impérialisme et qui étaient par conséquent au cœur du système politique démocratique.
La mort de Périclès en 429 avant Jésus-Christ, alors que la Guerre du Péloponnèse était encore à ses débuts, a été suivie de l'arrivée de Cléon à la tête de l'Etat. Le successeur de Périclès était un ‘'homme nouveau'' à tout point de vue. Il n'appartenait pas au milieu aristocratique qui avait dirigé la cité pendant près de trois quarts de siècle. Sa richesse était basée sur l'exploitation d'une tannerie, activité artisanale méprisée par les aristocrates et les intellectuels de l'époque qui ne tenaient pour noble que l'activité agricole et qui considéraient que le travail artisanal devait être réservé aux esclaves. Il n'en fallait pas plus pour que Cléon fût ridiculisé par tous ceux qui critiquaient la démocratie d'Athènes, du moins dans ce qu'ils considéraient comme des excès. Dans ‘'Les cavaliers'', il est représenté par Aristophane, le grand poète comique, comme un esclave dépourvu de toute bonne éducation, qui guidait son maître appelé ‘'démos'' et qui sentait mauvais. Ainsi, Cléon a inauguré, au dernier tiers du Ve siècle avant Jésus-Christ, l‘avènement d'une longue série de dirigeants athéniens démocrates considérés comme des démagogues au sens péjoratif du terme.
Après Cléon, Hyperbolos, qui charmait le démos par ses prises de position en sa faveur, tirait ses revenus d'un atelier de poterie où il employait de nombreux esclaves. Ses adversaires allaient jusqu'à lui trouver une ascendance servile. Cléophon, qui était fabriquant de harpes a aussi gagné les faveurs du peuple et faisait partie de la myriade des démagogues de la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ. De la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ, date la gloire de Nicias dont la richesse était basée sur l'exploitation des mines d'argent du Laurion situées dans le territoire d'Athènes et de la location des esclaves aux autres exploitants du même secteur d'activité. Sa richesse, mal vue par ses détracteurs, lui a permis de remplir plusieurs liturgies et de se montrer généreux envers le démos qui n'a pas oublié de l'élire comme stratège à plusieurs reprises.
Au IVe siècle avant Jésus-Christ, les deux grandes figures de la démagogie furent Chabrias et Eubule. Le premier commémorait, chaque année, la victoire qu'il a remportée à Naxos en 376 avant Jésus-Christ, en tant que stratège, en offrant des réjouissances au peuple. Ce dernier se montrait reconnaissant en l'élisant de nouveau en tant que stratège, des années durant. Le second s'est imposé, vers le milieu du IVe siècle avant Jésus-Christ, comme premier dirigeant de la cité en tant que chef de la commission qui gérait la caisse du Théorikon. La nouveauté était de taille sur la scène politique athénienne parce que jusque là, le haut du pavé était tenu par les stratèges. Le Théorikon, qui était alimenté par les excédents budgétaires, jouait un rôle très important dans la distraction du peuple et son éducation politique. Dans un contexte où les revenus de l'impérialisme avaient baissé considérablement, il assurait le versement des indemnités grâce auxquelles les Athéniens assistaient aux représentations théâtrales très fréquentées par les habitants de la cité antique. La prise en charge des chœurs, qui participaient aux représentations théâtrales, constituait une liturgie très populaire appelée ‘'chorégie''. Au final, le peuple s'amusait aux frais des riches et de l'Etat. Cette construction politico-sociale préfigurait ce qui allait prendre une plus grande ampleur à l'époque hellénistique puis à l'époque romaine sous l'appellation d'évergétisme : les riches, qui donnaient à la cité (sommes d'argent, monuments, spectacles …), faisaient de leurs concitoyens des obligés. Ces derniers leur confiaient les charges municipales considérées comme des honneurs qui méritaient des hommages publics exprimées par l'élévation de statues avec des dédicaces élogieuses. Le cadre restait toutefois purement civique et n'avait rien à voir avec la charité qui sera inventé par le christianisme.
Critiques et remèdes anciens contre le populisme
La démocratie athénienne n'a pas eu que des partisans. Ses adversaires politiques n'attendaient que l'occasion de la renverser, ce qu'ils ont réussi à deux reprises pendant et au lendemain de la Guerre du Péloponnèse (411 et 404 avant Jésus-Christ) avec l'aide de Sparte. De manière plus continue, elle a suscité des critiques qui se sont amplifiées au fur et à mesure qu'elle se radicalisait en accordant plus de pouvoir et d'avantages matériels au démos, à partir de la fin du Ve siècle avant Jésus-Christ.
Au siècle suivant, outre les critiques virulentes d'Aristophane, grand détracteur des démagogues, des théoriciens ont exprimé l'opinion qu'ils se faisaient de la démocratie. Si Platon, qui ne croyait qu'aux vertus du gouvernement du philosophe, s'est opposé sans ambages au fondement de la démocratie en récusant la souveraineté du démos, son élève Aristote était hostile à la démocratie athénienne dans la version de son époque même s'il n'a pas refusé ouvertement le principe de la souveraineté du démos. Condamnant les excès du régime, il estimait que la démocratie avait tort d'accorder aux artisans et aux commerçants le droit de participer à la vie politique qui devait être restreinte aux paysans. Il reprochait aussi à la démocratie de corrompre les citoyens par les salaires versés en contrepartie des charges et estimait qu'elle « remettait le pouvoir de décision entre les mains d'une foule ignorante, versatile et prête à suivre ses mauvais conseillers, les démagogues qui ne pensaient qu'à la flatter''.
Un contemporain d'Aristote, le Pseudo-Xénophon, appelé aussi le Viel oligarque n'a pas hésité à décrire la démocratie comme ‘'le gouvernement des pauvres et des méchants dans l'intérêt des pauvres et des méchants et au détriment des riches et des bien-nés ».
A Athènes, quelques grands hommes d'Etat démocrates n'ont pas hésité à s'en prendre à la démagogie. Le meilleur exemple est certainement celui de Démosthène qui s'est dépensé jusqu'à sa mort pour redresser la situation de sa patrie et des cités grecques en général face au danger représenté par la politique hégémonique de Philippe II, le roi de la Macédoine. Dans sa ‘'Troisième Olynthienne'', discours prononcé en 349 avant Jésus-Christ, il a proposé d'affecter les revenus du Théorikon à l'effort de guerre contre Philippe II, s'opposant ainsi au démagogue Eubule qui dirigeait la cité en supervisant la gestion de la caisse et qui était soutenu par Eschine, le grand adversaire de Démosthène. Ce dernier a fini par obtenir gain de cause mais à une date où le sursaut des Athéniens s'est révélé tardif et inefficace.
Les Athéniens ont mis en place, dès le début de leur révolution démocratique, un système de contrôle institutionnel en vue de garantir la pérennité de leur régime et d'éviter l'abus du pouvoir qui pouvait venir des dirigeants aussi populaires fussent-ils. Ils ont trouvé, grâce à l'exercice collégial du pouvoir et à la durée des mandats, limitée à une année, une garantie contre le pouvoir personnel durable. Grâce à la ‘'dokimasie'', l'examen préalable auquel était soumis tout citoyen appelé par le vote ou le tirage au sort à assumer une charge publique, la communauté des citoyens s'assurait de la moralité de l'intéressé et vérifiait si sa situation vis-à vis du service militaire et du fisc était régulière. La reddition des comptes à la sortie d'une charge visait à dissuader et, éventuellement, à sanctionner, ceux qui n'avaient pas de compétences réelles ou avaient des velléités de prévarication. Toute proposition de loi contraire à l'esprit de la législation en vigueur pouvait être attaquée devant les tribunaux grâce à la procédure de la ‘'graphè para nomon''. Ce filet protecteur, aux mailles de plus en plus serrées, a certainement protégé la démocratie athénienne et lui a permis de durer près de deux siècles mais il n'a pas empêché les démagogues d'accéder au pouvoir et de le garder parfois pendant longtemps car ces politiciens jouaient sur des fibres dangereusement efficaces : ils promettaient et, autant qu'ils le pouvaient, mettaient en œuvre des mesures qui permettaient au peuple de satisfaire des besoins souvent primordiaux qui lui faisaient oublier toute autre considération.
Comme chez les Grecs anciens, le populisme a en Tunisie une longue histoire. Sans remonter très loin dans le temps, contentons-nous de rappeler le récent populisme d'Etat, à l'origine de la création des ‘'sociétés de l'environnement, des plantations et d'horticulture'' qui ont plombé des entreprises phares de l'économie tunisienne telle que la Compagnie des Phosphates de Gafsa, au lieu de résoudre efficacement le problème réel du chômage des jeunes diplômés. Dans le même registre, on peut citer le populisme si omniprésent, ces dernières années, dans la politique culturelle qui a labellisé, ici et là, sans critères transparents ni activité palpable, des ‘'Places des arts'', et des ‘'Villes des civilisations''. La même politique a réduit la vie culturelle régionale à des ‘'Journées des régions'' organisées dans la capitale et a substitué à la mise en valeur réelle du patrimoine archéologique de lugubres et risibles reconstitutions de vestiges archéologiques et de monuments historiques en plein centre-ville de Tunis alors que les originaux sont très souvent dans un piètre état.
Puissent les vrais contre-pouvoirs que sont le contrôle institutionnel, la vigilance des médias et la mobilisation de la société civile prémunir la Tunisie du malheur incommensurable qui pourrait s'abattre sur elle par le bais du populisme déjà existant ou à venir ! La démocratie, qui est certainement le moins mauvais des régimes politiques, est aussi le plus fragile de tous parce qu'il est exposé tant aux menaces des ses adversaires qu'à la malfaisance de ses partisans ou prétendus tels.


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