Ouided Bouchamaoui. Prix Nobel de la Paix, 2015, ancienne présidente de l'Utica - Nous avons gagné la démocratie, la liberté d'expression, la liberté de presse ainsi que l'engagement de la société civile. La démocratie reste fragile s'il n'y a pas un vrai débat économique où les partenaires sociaux et les partis politiques sont impliqués. Toutefois, la démocratie restera toujours la véritable voie d'avenir á condition de répondre aux attentes des Tunisiens : la dignité et le travail ! Nous avons besoin d'une vision économique et sociale claire et adaptée à notre environnement, une classe politique plus mûre et une législation plus souple. Je suis de nature optimiste mais également réaliste. On ne peut pas naviguer dans le vide, les attentes sont grandes, les besoins sont connus mais la volonté politique est faible. Aujourd'hui plus que jamais, nous avons besoin de nous unir, de nous écouter et d'agir ensemble pour le bien du pays. Les crises que la Tunisie vient de vivre et qui se sont surtout traduites par l'exacerbation des tensions politiques, les difficultés rencontrées pour former des gouvernements et la chute de certains d'entre eux, quelques mois à peine après leur entrée en fonction, imposent à toutes les parties de réviser leurs positions et de réévaluer la situation loin des calculs étroits. Faute de quoi, elle ne manquera pas d'empirer. Régler les problèmes internes du pays ne suffira pas, il faudra aussi ouvrir la Tunisie sur de plus vastes horizons et renouer avec les principes de base qui ne sauraient être ignorés impunément. Le Maghreb arabe fut et reste aujourd'hui encore un rêve, mais un rêve qui ne s'est malheureusement pas réalisé. Je suis de ceux qui ont la conviction que sa fondation sur une base économique constituerait une solution pour tous les pays de la région. Toutes les études régionales et internationales ont en effet conclu que la création d'une entité Maghreb arabe, dotée notamment d'une dimension économique, aurait pour principales répercussions une augmentation annuelle de 2% du taux de croissance et la création de milliers d'emplois. Nous devons également être conscients des changements en cours dans le monde. L'Europe occidentale et les Etats-Unis n'ont plus en effet l'apanage de la puissance. De nombreux autres Etats sont aujourd'hui dans le peloton de tête, non par leur seul poids démographique mais par leur extraordinaire capacité à s'approprier la technologie et à développer leur force de production. Ainsi en est-il de la Chine, de l'Inde et du Brésil, entre autres. Le Maghreb arabe constitue l'un de nos horizons, mais nous devons aussi en viser d'autres, comme l'Afrique, qui suscite aujourd'hui l'intérêt du monde entier. Nous devons en outre travailler à l'établissement d'une nouvelle stratégie pour la Méditerranée, une stratégie de développement, non de simples accords de coopération sécuritaire qui nous cantonnent dans le rôle de gardiens des frontières. Je rêve d'une classe politique qui réfléchisse à ces questions qui engagent notre avenir et qui ait la hauteur de vue ainsi que l'expérience et les connaissances la rendant apte à s'attaquer à ces questions cruciales et à en débattre en toute sérénité et avec sagesse, au lieu de passer la majeure partie de son temps à s'invectiver et à s'adonner à des calculs étroits. Tunisie, Dix ans et dans Dix ans Ouvrage collectif sous la direction de Taoufik Habaieb Editions Leaders, janvier 2021, 240 pages, 25 DT www.leadersbooks.com.tn Ouided Bouchamaoui Prix Nobel de la Paix, 2015, ancienne présidente de l'Utica
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