Par Salah Hannachi - Quelles sont les pâquerettes qui ont souffert ou souffriront le plus de la crise ukrainienne? C'est d'abord le peuple ukrainien. Les maisons détruites, les familles disloquées et/ou endeuillées, les réfugiés fuyant les bombardements, vivant sous les tentes ou errant sur les chemins de l'exil, etc. Nordstream II est une autre grande victime du conflit. Etait-ce la victime ciblée? Pour combien de temps? La question de l'OTAN était-elle un alibi? Quoi qu'il en soit et même si c'est seulement pour un temps, les agriculteurs français, espagnols et italiens, les industriels allemands etc., les ménages verront leur facture d'énergie doubler ou même plus. Les ménages européens souffriront aussi d'une inflation déjà importante. L'Europe vivra, encore une fois, les problèmes de l'immigration qui la divisent et dont sont protégés les protagonistes qui en sont responsables. Les pays importateur de blé, d'énergie, et de produits européens, dont la Tunisie, souffriront aussi. Mais les victimes probables, les plus spectaculaires, ce seront l'économie mondiale, les chaînes de valeurs et d'approvisionnement, les flux et la fluidité du système de paiement international basé sur le dollar et le système de Bretton Woods, i.e, la Banque Mondiale, le FMI, l'OMC, etc. En effet, la Chine qui est l'un des stakeholders les plus importants de ces systèmes critiquait déjà depuis longtemps la mainmise de l'Occident sur ce système et l'abus dont il est fait dans les relations et les disputes internationales. Elle ne manquera pas de tirer les leçons de la coupure de la Russie du système SWIFT. Elle pourrait rapidement accélérer la mise en place d'un système de remplacement. La Chine a déjà mise en place l'AIIB, Banque Asiatique d'Investissement dans l'Infrastructure, avec la participation de plus d'une centaine de pays dont toutes les puissances économiques asiatiques, l'Allemagne, le Royaume Uni, le Brésil, et la plupart des pays africains, asiatiques et européens, sauf les USA et le Japon. Elle peut compléter l'AIIB par la mise en levier de son vaste réseau d'échanges commerciaux, et son programme Marshall universel, le BRI, Belt and Road Initiative, aussi largement et depuis quelque temps mis en place, pour mettre en place une alternative au système de Bretton Woods. Les gagnants ne sont souvent pas ceux que les médias célèbrent triomphalement. Quel que soit sa suite, le conflit ukrainien prend la forme d'une guerre de l'indépendance du Donbass. En effet, l'accord de Minsk gelé depuis sa conclusion en 2015 aura été mis en vigueur et le Donbass, déjà reconnu indépendant par la Russie, ira peut-être plus loin que l'autonomie. Il fera ce qu'a fait la Crimée, et rejoindra la Fédération russe. La Crimée sera ainsi connectée au corps continental de la Fédération Russe dont elle est actuellement isolée. La Russie vendra à la Chine et à d'autres demandeurs le gas qu'elle devait vendre par NordstreamII à l'Allemagne et à l'Europe. Les USA auront fait avorter Nord stream II, même si c'est pour un temps seulement, un projet auquel tous les acteurs américains, tous partis et tous acteurs confondus, publics et privés, state et non-state, étaient opposés. Ils vendront plus cher le gas que l'Europe devait acheter à la Russie. Ils auront aussi retardé le rapprochement, par ailleurs inéluctable, entre l'Europe et la Russie, entamé par l'Allemagne, pour laquelle la Russie est géographiquement ce que le Canada est pour les USA. Enfin un grand gagnant est la Chine. Le conflit renforce la position de la Chine vis-à-vis de toutes les puissances de la place et de tous les acteurs sur la scène internationale. La Russie a eu et continuera d'avoir besoin du soutien de la Chine sur la scène internationale et aux Nations-Unies. Elle a besoin de la Chine pour vendre son gaz et pour remplacer les fournisseurs et les mécanismes de paiement que les sanctions et la coupure du SWIFT lui auront fait perdre. La proposition d'intermédiation de la Chine dans le conflit actuel est une donnée nouvelle. Elle consacre le statut d'acteur sur la scène européenne, fondée sur ses relations économiques et commerciales avec l'Allemagne, l'Italie, la Hongrie, etc., et les ports qu'elle contrôle déjà, en particulier en Grèce. La Chine verra sa position avec les USA renforcée, en particulier sur la question de Taiwan, Hong Kong, l'Indopacifique, et la Mer de Chine. Le précédent ukrainien donnera beaucoup à réfléchir aux plaideurs, aux USA et surtout à Taïwan, d'une diplomatie agressive de soutien à l'indépendance de Taiwan. De même verra-t-elle ses voisins du de l'Asie de l'Est, tirer les leçons concernant la tentation d'adhésion à l'AUKUS, Australia-United-Kingdom-United States, l'OTAN du Pacifique Sud que les USA ont mis en place et pour lequel ils accueillerait volontiers de nouveaux adhérents comme l'Inde. Il y a enfin lieu peut-être de noter que la Chine, dont l'économie est au moins 10 fois plus grande que celle de la Russie et dont le commerce avec les USA est extrêmement important, dispose d'une gamme de moyens non-militaires de négociation avec les USA dont la Russie ne dispose pas. De même, son initiative BRI et son commerce très important avec l'Asie de l'Est, en particulier avec les 15 pays du nouveau RCEP, Regional Comprehensive Economic Partnership, avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Europe, l'Afrique du Sud et le continent africain, avec le Brésil et les pays de l'Amérique latine et du Sud feront avorter les tentatives de l'isoler ou de la minoriser au Conseil de Sécurité ou à l'Assemblée Générale des Nations Unies.