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DEGAGE ! Chroniques de la révolution du jasmin
Publié dans Leaders le 19 - 01 - 2011

Depuis vendredi, je tiens une chronique où j'essaie de restituer les événements tels qu'ils se déroulent heure par heure et les témoignages des uns et des autres, personnages connus et simples citoyens.
Ecrire et pleurer, telle est ma vie depuis vendredi. C'est un devoir de mémoire. Notre histoire, il faut qu'on l'écrive nous-mêmes et qu'on ne laisse pas d'autres le faire à notre place et la déformer.
Vendredi 14 janvier 2011. Il est 18h15 et mes amis commencent à publier sur leur mur que le « président » est parti, Ben Ali 404 not found, que deux avions viennent de décoller, qu'un convoi de plusieurs voitures aux vitres teintées vient de sortir en trombe du Palais de Carthage en direction de l'aéroport Tunis-Carthage. Quelques minutes avant, on dit qu'un commandant de bord a refusé d'embarquer des membres de la famille Trabelsi. Sakhr El Matri chercherait à fuir vers la France et demande l'aide des Etats-Unis. L'armée tunisienne ne le laisse pas partir.
Nous avons allumé deux télés, l'une sur TV7 qui n'avait pas trouvé mieux que de passer un reportage... sur les robots au Japon et sur l'autre, on zappait entre Al Jazira, France 24 en arabe et Al Arabia qui passaient en boucle les images de la manifestation de ce matin qui a changé la destinée de notre pays.
Le générique des infos sur la télé nationale apparaît. Le présentateur annonce laconiquement qu'un communiqué va être présenté. Le premier ministre, entouré de deux hauts responsables, annonce que selon les dispositions de l'article 56 de la constitution tunisienne, au cas où le Président est dans l'incapacité provisoire d'assurer sa Présidence, c'est le Premier ministre qui assure l'intérim, donc lui. Quelques minutes qui annoncent l'ébranlement de tout un système. Le mot provisoire nous gêne énormément. Si la déclaration nous avait annoncé la démission du Président, on serait sortis dans la rue mais cette insistance sur le mot provisoire intrigue et laisse planer le risque d'un éventuel retour de Ben Ali.
Sur l'un des statuts d'un de mes amis sur Facebook, est indiqué l'hôtel et le numéro de la chambre qu'occupe un des éminents membres de la famille Trabelsi à Paris.
Notre ami de la ville de M'saken nous appelle par téléphone pour nous dire qu'un poste de police vient d'être brûlé.
Entre-temps, mes amis se disent Fiers d'être tunisiens et la plupart des photos de profil troquent leur noir et leurs traces de sang par ce beau drapeau rouge et blanc pour lequel tant de citoyens sont morts ces derniers jours.
Sur Al Jazira, un Professeur de droit constitutionnel trouve une faute de forme dans la déclaration du Premier Ministre … Serions nous donc sans président …
Mais le communiqué est repris par les autres télés et la Maison Blanche est la première à annoncer que le peuple tunisien est en droit de choisir ses gouvernants. Quelques minutes plus tard, Qatar exprime son respect pour la volonté du peuple tunisien et ses choix.
Les professeurs de droit constitutionnel se succèdent et se perdent en conjectures. On se rue sur Wikipédia pour comprendre la différence entre les articles 56 et 57 de la constitution tunisienne et chacun y va de sa définition et de son interprétation. Plusieurs n'acceptent pas cette solution et disent Ghannouchi=Ben Ali, après tout c'était son premier ministre. Leaders publie la biographie de ce premier ministre discret qu'on connaît si peu.
Des images surréalistes circulent sur FB, la maison d'Imed Trabelsi saccagée, sa barrière pillée et sa clôture taguée devant laquelle des automobilistes passent en rigolant, les voitures de Sakhr El Materi conduites par des jeunes en liesse qui défilent dans le Kram devant une population hébétée.
La France annonce que Ben Ali n'est pas le bienvenu chez elle et on vient d'apprendre que le jet privé de ben Ali est aux alentours de Malte, le seul pays qu'on disait avoir accepté de l'héberger.
J'appelle une amie qui habite dans l'un des quartiers populaires, elle me dit que son mari et ses voisins sont en train de protéger leurs commerces et voitures qui sont saccagés par des groupes. Comme elle, des citoyens à Hammamet veillent sur la sécurité de leur ville. Les hommes de chaque quartier sont de garde : armés avec de gros bâtons " zollat", mais aussi devant leurs commerces pour veiller sur leurs biens après la débandade de la police!
Mon beau-frère, médecin à l'hôpital, évoque ses deux nuits de folie. 15 blessés hier soir rien que dans son service, des blessés qui ont commencé à arriver à 23h, soit trois heures après le discours où Ben Ali avait assuré arrêter les tirs.
Le temps de comprendre que l'article 56 de la constitution ne donne qu'un départ provisoire, les murs de FB se remplissent d'un «Ghannouchi dégage» qui remplace le slogan crié depuis quelques jours : «Ben Ali dégage» et d'annoncer une deuxième journée de grève générale demain et une autre manifestation pour réclamer le départ de toutes les figures de l'ancien parti qui était au pouvoir. Le gouvernement français annonce une réunion d'urgence à propos de la situation en Tunisie et les murs de Facebook ironisent : « il faut que le fauteuil soit en TEFAL pour que le prochain président ne colle pas ».
« Ben Ali a capitulé », dit le reporter de France 24. Les manifestants de cette journée mémorable témoignent qu'ils en ont assez. Et les images de montrer la brutalité des policiers. Deux experts en stratégie parlent de cette situation incertaine en Tunisie. Nous ne sommes pas habitués à être le centre du monde et ces experts, on est habitués à les voir parler des autres, l'Irak, l'Afganistan, etc. «Ce qui a fait exploser le système, c'est la répression politique», affirme Antoine Basbous, un consultant franco-libanais. Hamma Hammami, emprisonné pour la énième fois il y a quelques jours est libéré et prend la parole lors du journal de France 2. « Le peuple tunisien doit être vigilant face aux manœuvres politiques qui semblent continuer ».
On suit l'avion de l'ancien président qui vient de survoler Malte. Il va en France, dit-on. Ce qui expliquerait la réunion d'urgence du gouvernement français. Le commandant de bord qui a refusé de décoller avec des membres de la famille Trabelsi est interviewé sur la chaîne El Arabia. Encore un héros, le commandant Mohamed Kilani qui confirme que tous les autres commandants de bord contactés ont refusé aussi. Cette image de ce policier qui ne peut plus retenir ses larmes est rediffusée, une image inoubliable comme tant d'autres, celle aussi de ce jeune officier saluant le passage de ce convoi funèbre d'un fils de la Tunisie tombé sous les balles aveugles des policiers.
Les photos de ce général Rachid Ammar, qui a apparemment mystérieusement disparu il y a quelques jours apparaît sur les statuts de mes amis qui le remercient d'avoir refusé de tirer sur le peuple.
Les infos se bousculent, Sakhr El Matri qu'on aurait capturé ainsi que d'autres membres de la famille Trablesi. Beaucoup d'amis font encore état de dépôts qui sont pillés à Boumhel notamment et donnent le numéro d'urgence à appeler en cas de menaces de pilleurs, alors que l'avion de Ben Ali s'approche de Paris.
Des images montrent que les militaires sont en train de décrocher les photos du désormais ancien président. Un débat sur Nessma réunit un ensemble de journalistes qui disent ce qu'on ne racontait que dans les soirées entre amis, intimes … très intimes et à voix basse et en jetant un regard inquiet sur les portables. Les Trabelsi ont volé, ils doivent être jugés, ils ne sont pas les seuls, insiste un journaliste … certains Tunisiens ne pourront pas dormir ce soir. On se demande que faire des sociétés acquises par les Trabelsi et compagnie. L'idée de transformer Ezitouna en une sorte de Grameen Bank est mise sur la table. Mais voilà que l'animateur dit que Fayçal Baatout, le diecteur de la rédaction de Dar Essabah vient d'appeler la direction de Nessma, pour dire que Sakhr Matri est à Dubaï et regarde l'émission.
La soirée continue. On est 21h15 et la France a priori a refusé d'accueillir Ben Ali qui se dirigerait vers l'un des pays du Golfe.
Les tirs continuent dans les quartiers et petites villes tunisiennes. Des citoyens paniqués appellent les chaînes de TV pour appeler au secours. On dit que les milices de Ben Ali sont à l'œuvre, une sorte de vengeance pour punir le peuple et le terroriser. Des amis rassurent sur la toile en disant que l'armée se déploie à tous les quartiers névralgiques et qu'il faut appeler le numéro qui tourne en boucle pour que l'armée se déplace aux endroits qui connaissent des troubles.
Les contestations de l'utilisation de ce fameux article 56 continuent. Et sur FB, on accuse Mohamed Ghannouchi de complicité parce qu'il aurait laissé fuir Ben Ali qui a des comptes à rendre à la Nation. Sur Al Jazira, Mezri Haddad, l'ambassadeur démissionnaire de la Tunisie auprès de l'UNESCO, qui a tant défendu le système témoigne de ses derniers contacts avec l'ancien président. Selon I-Télé, le Président Sarkozy aurait refusé d'accueillir Ben Ali.
Sur Rue 89, on parle de la fille et de la petite-fille de Ben Ali dont l'avion aurait atterri au Bourget et que 200 personnes manifestent devant l'ambassade de Tunisie à Paris. Leur journaliste témoigne de la liesse des manifestants : « Ils continuent à exprimer leur joie de voir Ben Ali parti. On parle d'un jour historique, on chante l'hymne national (...) Mais on se demande aussi ce qui va se passer dans les jours à venir » alors qu'on apprend qu'Obama félicite le peuple tunisien pour son courage et l'appelle à engager des élections libres et transparentes dans un avenir proche.
Des amis sur Facebook annoncent que Géant et Carrefour, les deux grands centres commerciaux de la capitale brûlent, la gare de Tunis aussi … mais où est l'armée ? et une information urgente défile sur El Jazira disant que dans des villes du Sud, on réclame déjà le départ de Ghannouchi. La chaîne radio de Sousse Jawhara est menacée apparemment et ses employés barricadés à l'intérieur lancent des SOS.
Un de mes étudiants en France annonce sur Facebook qu'Imed Trabelsi frappé avec un couteau depuis quelques jours et hospitalisé à l'hôpital militaire vient de décéder. Des dizaines de tunisiens sont rassemblés devant leur Ambassade en Egypte pour soutenir leurs frères en Tunisie.
Ben Ali est toujours dans les airs, Qatar le refuse. Où va-t-il passer le nuit ?
Une amie à Grenoble publie en anglais le résumé des moments historiques de notre beau pays : Tunisia - Small country, great nation: First Arab country to establish a constitution in 1861. First Arab country to abolish polygamy in 1956 and give right to vote for women in 1957 - First Arab country to legalize abortion in 1973. First arab country to kick out its dictator and this without the help of any... foreign nation, brave nation, great nation! Fiers d'être Tunisiens! Une autre traduit : » La Tunisie fut le 1er pays arabe qui a aboli l'esclavage en1846. Le 1er pays arabe à de dôter d'une constitution en 1861. Le 1er pays arabe qui a aboli la polygamie en1956.Le 1er pays arabe qui a légalisé l'IVG en 1973. Un amateur de foot rajoute qu'on a été aussi le premier pays arabe à participer à une Coupe du Monde en 1978 en Argentine, ce qui est faux, l'Egypte nous y avait précédée en 1934. Ma sœur ajoute sur son mur «La Tunisie est le 1er pays arabe qui a dit «Dégage» à son Dictateur en 2011!!
Il est 11h25. Les messages sur Facebook se calment. L'armée semble avoir pris le contrôle des quartiers après que les gens des quartiers ont assuré la sécurité. I-Télé qui a invité Ramzi Malouki assure que l'avion de Ben Ali fait escale d'urgence actuellement en Sardaigne pour faire le plein de kérosène et que les passagers n'ont pas le droit de sortir de l'avion. La destination est inconnue.
Je dois aller dormir …


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