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Les dernières heures de Bourguiba : Un témoignage exceptionnel du Dr Saida Douki
Publié dans Leaders le 03 - 04 - 2011

Psychiatre, alors Chef de Service à l'hôpital Razi, le Dr Saida Douki était appelée en grande urgence, fin mars 2000, au chevet de Bourguiba, transféré de Monastir à l'hôpital Militaire de Tunis, pour une ultime tentative de lui faire retrouver le sommeil. Elle y parviendra et se verra désignée, pour le raccompagner à Monastir et le suivre jusqu'au dernier soupir. Un témoignage exceptionnel que le Dr Douki, aujourd'hui établie à Lyon, a bien voulu livrer en exclusivité à Leaders.
La mémoire nous joue de drôles de tours. Je garde un souvenir intact du jour où j'eus l'immense privilège d'être appelée au chevet du Président Bourguiba mais je ne peux me rappeler la date, ni celle de son décès qui devait suivre quelques semaines plus tard, comme si mon cerveau refusait d'enregistrer cette date. Il ne vous étonnera guère d'apprendre que j'ai également totalement oublié la date du décès de mon père.
Je me dirigeai vers la Coupole pour assister à une cérémonie commémorative de je ne sais plus quoi, (a posteriori, il s'agissait du 20 mars) à laquelle j'avais été conviée. Il était moins de huit heures, j'étais au carrefour d'El Menzah VI quand mon portable sonna. Mon collègue et ami, le Pr Mohamed Gueddiche était au bout du fil. «Saïda, me dit-il, où que tu sois, change de destination et rends-toi à l'hôpital militaire où le Zaim (texto) est hospitalisé et il faudrait que tu le voies». Et me voilà à Montfleury en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. J'étais totalement dépersonnalisée ! Moi, aller voir le grand Bourguiba qui avait été ravi à la vue de son peuple depuis tant d'années ?
Je suis attendue par le Pr Gueddiche dans son service, introduite et mon regard se porte (pour la première fois, en vrai) sur ce monument de mon histoire, de notre histoire, allongé sur un lit d'hôpital. Mes premières impressions furent : comme il est petit et comme il est grand ! C'est curieux, mais il est vrai qu'autant son corps était rapetissé autant sa tête était toujours aussi imposante que de coutume. Une tête d'empereur romain ! Un regard toujours perçant bien que voilé par la cataracte. Il souffrait à l'évidence, il geignait, il grognait, il grommelait, faute de pouvoir s'exprimer du fait de l'évident effondrement de ses capacités cognitives. Il ne dormait plus, ne s'alimentait plus, m'a-t-on dit et ne cessait de s'agiter, de crier, depuis qu'il avait contracté une pleurésie. Il fallait impérativement le soulager, le calmer.
Je m'enquis du traitement qu'il prenait et me contentai de le prescrire, littéralement terrorisée par ma responsabilité et en me croisant les doigts, par voie parentérale en augmentant légèrement la posologie. Et miracle, dans les minutes qui suivirent, les médicaments firent leur effet. Il s'endormit paisiblement.
J'ai oublié de vous dire que j'avais essayé d'entrer en contact avec lui en l'appelant avec un respect affectueux: si El Habib, vous m'entendez ? Et je me fis rabrouer par Mohamed Gueddiche, manifestement scandalisé par ma « familiarité » : Appelles-le Saïd El Zaïm, Saïda ! Et je remarquai à ce moment que son dossier médical portait ce titre en français: Le leader Bourguiba. Il n'avait apparemment plus droit au titre de Président (ce qui eût été légitime car tous les anciens présidents y ont droit) mais personne ne pouvait lui ôter celui qu'il affectionnait tout particulièrement d'ailleurs.
Je compris aussi rapidement qu'on attendait de mon intervention la possibilité de le ramener au plus vite à Monastir, de crainte probablement que la population, informée de son séjour à l'hôpital ne s'y précipitât. J'ai quand même demandé et obtenu un sursis de 24 heures pour m'assurer de la stabilisation de son sommeil, le problème de la pleurésie ayant été réglé.
Comme il avait passé une bonne nuit et était retombé dans une stupeur tranquille, on procéda à son transfert dès le lendemain, au grand dam de son fils. Mais il me fut demandé (à mon grand bonheur) de l'y accompagner, en toute discrétion. Cà tombait bien, nous étions à la veille de l'Aïd El Kebir et d'un très long week-end.
Ainsi fût fait, et je débarquai, en voiture spéciale, dans la fameuse villa du gouverneur local qui abritait le Président depuis des années. Une villa moderne sans prétention mais où j'eus l'agréable surprise de découvrir une chambre à coucher parfaitement médicalisée, un bureau totalement reconstitué avec meubles et photo de Mendès France tels que vus à la TV, une équipe (cuisiniers, valets, secrétaires, gouvernantes etc.) tout droit venue de Carthage en même temps que le Président. C'était une marque indéniable d'égards mais que pesait-elle face à l'isolement qui lui avait été imposé jusqu'à ses derniers jours ? Certes, il est important, pour les personnes âgées, de leur garantir des repères physiques. Ce fut fait. Mais il est encore plus important de leur offrir un environnement affectif, de continuer à les solliciter à ce niveau où le cerveau ne s'use uniquement que quand on ne s'en sert pas. Et on a infligé à l'avocat la pire des sanctions, celle de ne pas parler.
Et mon séjour monastirien commença. Pourquoi m'avait-on choisie plutôt qu'un psychiatre militaire (tenu au secret), d'autant qu'il en existait d'éminents ? Probablement parce que j'étais une femme (hommage à Bourguiba) et parce que j'étais originaire de Monastir et donc aussi suspecte que tous mes concitoyens de loyauté indéfectible envers le plus illustre des natifs de la petite ville. Car l'heure était grave et la fin à l'évidence approchait.
Je me joignis à l'équipe médicale locale en charge de la santé du Président mais j'avais l'avantage d'être totalement disponible sur place. Je pus observer les accès d'oscillations erratiques du moniteur cardiaque et me résolus à faire part du pronostic fatal au Gouverneur qui nous rendait visite quotidiennement et à la famille qui, avec une dignité exemplaire, approuva ma proposition de mettre fin à l'acharnement thérapeutique. Car ses médecins continuaient avec un dévouement digne d'éloges à vouloir multiplier les explorations et mettre en œuvre de nouveaux protocoles thérapeutiques voués à l'échec. C'est alors que la surveillance se relâcha et que de nombreux proches, parents et amis, furent autorisés à lui rendre une dernière visite.
C'est ainsi que je reçus (car j'étais devenue l'hôtesse de la demeure) mon maître, le Pr Amor Chadli et M. Mohamed Sayah et que je recueillis des confidences émouvantes et historiques sur leur relation avec le Président. C'est ainsi que le jour de l'Aïd et pour la première fois depuis son exil, la table fut dressée pour une vingtaine de personnes parentes, amies ou alliées. Dans l'intervalle, je passais de longues heures seule et en profitai pour remonter le cours de mon histoire. Je m'asseyais à son chevet et le regardai longuement pour me repaître de la vue de ce personnage qui avait transformé mon destin de femme et de tunisienne. Je n'ai jamais vu un aussi beau vieillard, aussi dément fût-il ! Je regretterai toujours de ne l'avoir jamais rencontré de son « vivant ».
Son magnifique visage aux yeux bleus étincelants et au sourire ravageur se superposait au masque figé par l'âge et la maladie. Je discutais aussi longuement avec le personnel et fus confondue par leur dévotion envers le Président Bourguiba, qu'eux appelaient d'ailleurs « El Raïs ». Il en était de même du personnel paramédical qui se relayait pour lui prodiguer les soins nécessaires.
Je savais que Bourguiba n'avait laissé personne indifférent, même après son éclipse involontaire, mais je pris la mesure de l'attachement et du respect hors normes qu'il avait inspirés. Je connus de grands moments d'émotion. Quand le majordome me montra le cercueil et surtout son épitaphe inscrite sur une petite plaque dorée et rédigée par Si El Habib lui-même : « Habib Bourguiba, Fondateur de la République Tunisienne, Emancipateur de la Femme Tunisienne … », je ne pus retenir mes larmes de gratitude, d'admiration, pour l'Homme qui avait résumé en deux phrases l'ouvrage accompli et qui est encore revendiqué par tant de nations.
Le moment le plus bouleversant fut la préparation de ses funérailles alors qu'il gisait sur son lit d'agonie. Je fus associée à la discussion entre Junior et le Gouverneur qui faisait part des instructions de Zine El Abidine Ben Ali. Il était question d'organiser des funérailles nationales auxquelles « tous les amis de Bourguiba » pouvaient être conviés, y compris les grands de ce monde qu'il avait côtoyés à leur égal. Il était également question de faire porter le cercueil sur épaules d'hommes jusqu'à sa dernière demeure.
Pendant que les deux hommes discutaient des détails, je pleurai, bouleversée, en silence, pour ne pas les déranger. C'est ainsi que j'appris que Bourguiba ne possédait aucun bien et que son compte en banque n'avait jamais enregistré que ses salaires de Président de la République. Conscient de mon profond chagrin, Junior me promit de m'adresser une invitation et nota immédiatement mon adresse. Quelle ne fut pas ma déception attristée de ne rien recevoir ! Quelle ne fut pas ma consternation d'attendre en vain, devant des documentaires animaliers tournant en boucle, la retransmission télévisée de l'enterrement ! Et quelle ne fut pas ma stupéfaction horrifiée d'apprendre par la suite le traitement qui avait été réservé au Zaïm dont le catafalque avait été transporté dans la soute d'un avion ! Je ne pardonnerai jamais à ceux qui ont commis ce suprême outrage.
Et je compris dès lors que le sort de Ben Ali était scellé à plus ou moins court terme car le peuple tunisien ne pardonnerait jamais non plus l'offense faite au Père révéré. La mort dans notre culture doit effacer tous les griefs possibles. Et Bourguiba qui reste le seul Président de ce pays, puisque son successeur s'est déchu de ce titre par ses multiples trahisons, sera toujours aussi grand mort que vivant. Vive Bourguiba et Vive la Tunisie.
Dr Saida Douki
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