Après Mohamed Ghariani – le dernier secrétaire-général du RCD avant sa dissolution – le chef du mouvement d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, a reçu, chez lui, l'ancien ministre de l'Intérieur au temps de Ben Ali, Abdallah Kallel. Ancien ministre de l'Intérieur de février 1991 jusqu'à janvier 1995 et de novembre 1999 jusqu'à janvier 2001, ce dernier a une réputation plutôt « douteuse » puisque certains l'accusent d'avoir été l'un des initiateurs de la torture dans les prisons tunisiennes et ce surtout à l'encontre des islamistes au cours de la lutte qui les avait opposé à l'ancien régime. Sa récente rencontre avec le chef du mouvement islamiste a suscité plusieurs réactions virulentes au sein d'Ennahdha. Quelques jours après cette rencontre, le membre du conseil de la Choura d'Ennahdha, Zoubeïr Chehoudi, a expliqué, lors d'une déclaration accordée au journal Al-Quds, qu'il n'existe aucune tendance au sein du mouvement qui irait dans le sens de la réconciliation avec les symboles de l'ancien régime. Selon Chehoudi, le conseil de la Choura envisagerait même la possibilité d'auditionner Rached Ghannouchi pour connaître tous les détails de la rencontre et de ses motivations. Et d'ajouter que, dans un premier temps, cette ‘audition' se ferait par une lettre écrite qui demanderait des explications et des mises au point. De son côté, et lors d'un passage télévisé, l'ancien ministre de la Santé publique et actuel député d'Ennahdha, Abdelatif Mekki, n'a pas manqué d'exprimer son mécontentement en rappelant les épisodes noires d'Abdallah Kallel lorsqu'il était au pouvoir. Les réactions d'insatisfaction ne se sont pas arrêtées au niveau des cadres d'Ennahdha. En effet dans un communiqué publié le 26 novembre, le parti Destourien libre (PDL)– dont la présidente est Abir Moussi – a estimé que les rencontres entre les anciens cadres du RCD dissout et les dirigeants d'Ennahdha ne concernent en rien le parti. Rejetant les analyses de ceux qui ont expliqué que ces rencontres représentent les prémices d'une réconciliation entre les deux parties, le PDL a assuré qu'il n'est pas du tout concerné par une telle démarche. Autre son de cloche de la part de Mohamed Ghariani qui a déclaré, lors d'une interview télévisée, que le rapprochement entre Ennahdha et les anciens cadres du RCD n'est un secret pour personne et que ces derniers (les représentants du RCD dissout) ont eu le temps de revoir plusieurs de leur position et qu'ils sont aujourd'hui ouverts à tout le monde. Au-delà des réactions partisanes des deux parties, ce qui interpelle le plus dans ces rencontres c'est leur timing. Que le chef d'Ennahdha reçoive chez lui Abdallah Kallel et d'autres cadres historiques du RCD à la veille du démarrage des séances d'audition publiques des victimes de l'oppression et de la torture – organisées sur l'égide de l'Instance vérité et dignité (IVD) – cela pose plusieurs questions quant à ses réelles intentions. Ghannouchi ambitionnerait-il de devenir le symbole du pardon et de la réconciliation en Tunisie ? Voudrait-il profiter de ce nouveau statut afin de faire passer la loi du repenti pour que ceux qui lui ont rappelé, à un certain moment, sa jeunesse, puissent rentrer tranquillement au bercail après leur petit tour en Iraq et en Syrie ? Tant de questions qui se posent sur ces prémices d'entente qui surviennent suite à celles qui ont été ‘imposées' par les résultats des élections législatives et qui se manifestent aujourd'hui dans la fameuse cohabitation entre le mouvement islamiste et Nidaa Tounes. Cohabitation qui a déjà provoqué la révolte de plusieurs sympathisants d'Ennahdha dont la position risque d'empirer avec le retour des symboles du régime de Ben Ali au côté de leur commandant suprême. Ce même commandant est ‘soupçonné' par certains de vouloir tout mettre en œuvre afin de pouvoir se présenter, en 2019, à la magistrature suprême. Quoiqu'il en soit, Rached Ghannouchi témoigne, encore une fois, d'une attitude politique interne unilatérale, à sens unique : après qu'il ait, lors de la tenue du dixième congrès du mouvement, refusé catégoriquement que les membres du bureau exécutif soient élus et non pas désignés, Ghannouchi semble imposer aujourd'hui à ses collègues ses nouvelles tendances RCDistes...