Diffusé le 17 décembre par la chaine qatarie Al Jazeera, le documentaire « Est-ce que les assassins fabriquent le remède ? », censé alerter et alarmer l'opinion publique, n'a pourtant pas eu l'effet escompté par sa réalisatrice et ce pour deux raisons principales. D'abord parce que le sujet n'a pas été largement médiatisé puisqu'il a déjà été traité en avril dernier suite à la parution d'un article à ce propos. Ensuite, parce que les yeux des Tunisiens étaient rivés sur Sfax et leur attention concentrée sur l'étonnante histoire de l'ingénieur Mohamed Zouari dont le meurtre aurait été commandité par Israël. Quel impact aura donc eu ce travail journalistique ? Quelles vérités aura-t-il dévoilées ? Enfin, quelle a été la réponse de l'Institut Pasteur de Tunis (IPT), principal organisme incriminé dans cette affaire ? Le film documentaire proposé par la réalisatrice tunisienne Imen Ben Hassine s'est principalement focalisé sur les essais cliniques réalisés sur de jeunes enfants de la zone de Sidi Bouzid, de Kairouan et de Gafsa dans le but d'expérimenter un nouveau traitement de la leishmaniose cutanée, un onguent dermatologique, en remplacement de l'ancien se présentant sous forme d'injections, jugées coûteuses et contraignantes. Les faits remontent à 2002. Ces essais auraient été menés jusqu'en 2014 par des équipes de l'IPT en partenariat avec l'Institut Pasteur de Paris, approuvés à l'époque par le ministère de la Santé Publique. Le traitement en question est une pommade, produite à base d'antibiotiques, mise au point dans le cadre d'un projet de recherche internationale dont le promoteur est l'Institut de recherche militaire Walter Reed, placé sous la tutelle du Département américain de la Défense. Outre cette collaboration avec les USA, les dirigeants de l'IPT sont accusés d'avoir lancé la production de ce traitement chez un industriel pharmaceutique israélien, à savoir les laboratoires TEVA. Enfin, il leur est reproché d'avoir mis en danger les enfants et enfreint la loi interdisant les essais cliniques sur des mineurs. Ils auraient, dans le même contexte, « soudoyé » les parents avec une somme d'argent équivalent à 50 D. D'ailleurs, la réalisatrice n'a pas hésité de qualifier ces essais thérapeutiques de complot qui se trame contre les Tunisiens. USA, Israël et quoi d'autre ? Ayant estimé que la réputation de l'IPT avait été entachée à tort et qu'une campagne de dénigrement et de diffamation était orchestrée pour nuire à cet organisme de recherche en santé publique, l'actuel directeur de l'Institut, Hechmi Louzir a organisé une conférence de presse pour rétablir certaines vérités. Il a d'abord tenu à rassurer l'opinion publique et les Tunisiens quant à l'absence de tout danger lié à l'utilisation de ce traitement toujours en phase expérimentale. Concernant la première accusation, à savoir une douteuse collaboration avec les USA en matière de santé, Pr Louzir s'est dit, au nom des chercheurs de l'IPT, fier d'avoir collaboré avec des sommités mondiales, dans le cadre d'un programme de recherche internationale, afin de produire et tester un traitement qui améliorerait la qualité de vie des patients souffrant de leishmaniose. Il a ensuite affirmé que le traitement en question est toujours en phase d'expérimentation internationale. Il n'est donc pas encore fabriqué par un industriel et ne fait pas partie de la liste des médicaments de la compagnie TEVA. Il a toutefois expliqué que comme dans tous les essais de phases 2 ou 3, les échantillons du médicament servant à la recherche clinique, sont produits en petites quantités sous la responsabilité du promoteur du programme selon sa formule (Institut Walter Reed). Pour la phase 2 de la recherche, la production de ces échantillons a eu lieu à l'Université d'IOWA, Etats-Unis. Pour la phase 3 de l'essai, le promoteur a commandé les lots cliniques aux laboratoires TEVA aux Etats-Unis. L'IPT a eu la garantie que ces échantillons respectaient les normes de qualité et de sécurité suite au contrôle effectué par un laboratoire indépendant en France, avant toute utilisation de ces échantillons. Les tests thérapeutiques ayant prouvé l'efficacité de ce traitement dans plus de 90% des cas. L'âge en question Pr Louzir affirme aujourd'hui que l'IPT espère après clôture de cet essai à l'échelle internationale, obtenir l'accord de fabriquer ce médicament en Tunisie. Autre point polémique, l'âge « des cobayes humains » ayant expérimenté le traitement avant l'obtention de son certificat de mise en vente sur le marché. Au nom de l'IPT, Pr Hechmi Louzir ne nie pas le fait que des tests thérapeutiques aient été pratiqués sur des enfants, mais il se défend d'avoir mis leur vie en danger. Il ajoute : « En Tunisie, la leishmaniose cutanée est apparue dans les années 80 suite à la construction du barrage Sidi Saâd. A cause de l'humidité et le développement des parasites, cette maladie cutanée est apparue et s'est proliférée principalement à Kairouan, Sidi Bouzid et Gafsa. Les chercheurs ont alors constaté que plus de 50% des patients étaient des enfants et des jeunes de moins de 18 ans. Il aurait alors été anormal et contraire à l'éthique de proposer un traitement curatif de la leishmaniose sans tester son efficacité sur les enfants qui sont les principaux concernés. » Revenant sur l'interdiction par la loi, jusqu'en 2014, de pratiquer des essais cliniques sur des mineurs, Pr Louzir a affirmé que l'ancien texte de loi interdisait certes ces essais tout en autorisant certaines exceptions décidées par des experts, faisant ainsi primer l'intérêt des enfants. Les expérimentations réalisées entre 2002 et 2014 se sont donc basées sur cette autorisation exceptionnelle. Depuis, la loi a été abrogée et la Tunisie s'est alignée sur les standards internationaux en matière de tests thérapeutiques. Enfin, évoquant la contrepartie financière remise aux parents, Pr Louzir a affirmé qu'il s'agissait là d'une somme très modeste, ne dépassant pas les 50 dinars, servant à rembourser les frais de transport.