Le tourisme a beaucoup à apprendre et à gagner en termes d'innovation et de participation, plus nombreuse, de la gente féminine, surtout à des postes de décision. «Femmes je vous aime», chante à l'envi Julien Clerc. De plus en plus de femmes prennent les commandes de leur hôtel. Sans bruit, mais avec une volonté à tout épreuve. C'est le cas de Mouna Ben Halima, cette dirigeante fonceuse et forcenée de travail, membre de la Fédération tunisienne de l'hôtellerie (FTH), qui contribue à construire le tourisme d'aujourd'hui et qui a prouvé sur le terrain ses compétences. Nous lui donnons la parole pour vous en dire plus sur le tourisme tunisien Le Temps : Quelle est la réalité actuelle du secteur ? Mouna Ben Halima : Il est clair que la conjoncture actuelle n'est pas favorable au secteur. Nous constatons que les clients européens boudent notre pays malgré une stabilité sécuritaire. Le tourisme connait une baisse vertigineuse depuis 2010. De 36 millions nuitées en cette année là, on est passé à 17 millions en 2016. Nous étions 5 millions d'européens, nous sommes à 1,5 millions en 2016. Le tourisme couvrait 56% du déficit de la balance commerciale. Aujourd'hui, il ne couvre que 20%. Ces chiffres témoignent de l'ampleur de la crise et de la chute du secteur. Ceci est lié à des causes structurelles et conjoncturelles. On paye les erreurs du passé et des choix impertinents qui ont été faits notamment à Yasmine Hammamet et ses côtes bétonnées, des zones sur 300 ha. Ce fut un échec de construire cette station touristique de cette manière. On a voulu imiter l'Espagne qui l'a fait en 1970. On ne peut pas nier la conjoncture difficile et le côté sécuritaire qui ont fait fuir les clients vers d'autres destinations La reprise est-elle pour demain ? La reprise peut être pour demain si on met en place les actions nécessaires au décollage. Nous avons multiplié les réflexions, études et consultations mais sans être passés à l'action. Cette attitude rend le chantier encore plus colossal qu'avant la révolution. Il faut tout revoir notamment ces normes de classification qui datent de 2005 et qu'on n'a pas encore entamé leur révision. Il faut le dire la Tunisie ne fait plus rêver. La reprise ne tombera pas du ciel avec des hôtels qui doivent être fermés et continuent à travailler en offrant des qualités médiocres. Le secteur a besoin d'une mise à niveau qui devra se faire le plutôt possible pour écrémer et pour qu'il y ait un équilibre naturel du marché qui doit être restauré. Ce marché a été tenu artificiellement par une clémence des autorités en charge de la réglementation du secteur. Cette clémence, sous prétexte de préserver le côté social, a beaucoup nuit au secteur. Quelle est votre position sur l'endettement des hôteliers ? La cartographie des hôtels par la Banque centrale en 2014 dans le cadre de la constitution d'une Société de Gestion des Actifs, plus communément appelée AMC (Assets Management Company) a fait sortir le chiffre de 156 unités ayant des créances classées au 31 décembre 2010. Ces hôtels en difficulté financière avant 2010 ont un réel problème de viabilité et de management. Le projet AMC n'a pas abouti pour diverses raisons. On est tous responsables si le problème de l'endettement n'a pas trouvé solution jusqu'à aujourd'hui. Je pense que le marché doit être régulé sans interventionnisme. Les unités non rentables devront disparaître du paysage touristique sinon on continue à tirer le secteur vers le bas et tout l'image du pays avec Faut-il changer la vocation des hôtels en difficulté ? La reconversion des hôtels en difficulté pourrait être une des solutions pour sauver ce secteur car il est inconcevable qu'une unité en 3ème zone à Yasmine Hammamet puisse être rentable même si on fait appel aux champions du management. Des pistes sont avancées comme celles de la santé, l'enseignement... Pour enrayer l'abandon ou une destruction de sites d'hébergement touristique, pour permettre à certains propriétaires d'hôtels d'honorer leurs échéances bancaires, la solution de transformer ces chambres vides en résidences , en lits de cliniques, en centres pour personnes âgées ou hôpitaux locaux, est envisageable. Cette reconversion devra se faire avec prudence, au cas par cas La Tunisie souhaite réaffirmer son engagement envers de nouvelles niches de tourisme. De quoi rompre avec son image de destination balnéaire pas chère. Faut –il encourager les hôtes de luxe ? Il y a de la place pour tout le monde, pour les hôtels de 2 ou de 5 étoiles. Mais toutes ces unités doivent être conformes aux standards internationaux et non pas aux normes de 2005 qui sont obsolètes. Le luxe tire le produit vers le haut en améliorant notre offre et notre image Ce tourisme de luxe a-t-il ses adeptes en Tunisie ? C'est une clientèle très exigeante. Il faut la faire rêver. Les tunisiens mais aussi les touristes étrangers sont adeptes de ce créneau. Il y a une forte demande de la clientèle locale et la cohabitation avec la clientèle étrangère ne pose pas de problème. Les tunisiens sont traités de la même manière que le sont les clients venant d'autres marchés. Le Président de la FTH appelle à la libération totale du secteur : Abolir les mots «Licence», «Agrément» et «Autorisation». Qu'en pensez-vous ? Oui je suis d'accord. Il faudrait alléger tous les freins à l'investissement. Déjà sinistré, le secteur du tourisme fait encore face à d'autres goulots d'étranglement qui entravent aujourd'hui sa bonne marche. L'administration tunisienne manque de souplesse et freine le développement du secteur et là il est temps de libérer davantage l'initiative privée pour créer la croissance L'ouverture du ciel tunisien devrait devenir une réalité début 2017, permettant à la Tunisie d'attirer une nouvelle clientèle. Sommes –nous fin prêts pour cet open sky ? Les habitudes et les besoins des clients changent. Il faut s'y adapter. Le développement du transport aérien partout dans le monde a permis à certaines destinations de se développer. L'ouverture du ciel aérien est un fait certain en Tunisie. Plusieurs clients choisissent de plus en plus leur destination en fonction d'un prix et le low cost s'impose si on veut booster la destination et consolider nos flux touristiques de l'Europe vers la Tunisie. Nous attendons l'instauration de l'open sky d'ici mars 2017 pour contribuer à résoudre la crise du tourisme. Mais cette ouverture devra être accompagnée d'une logistique. Nous devrons nous organiser au niveau général des prestations à partir de l'aéroport en instaurant des navettes régulières et des box d'accueil et d'information des clients. La route et le rail devront suivre car il est inadmissible qu'un touriste atterri à Enfida et ne trouve pas de taxis pour l'emmener à Hammamet ou à Sousse C'est dire que cette ouverture a ses exigences Comment s'annonce 2017 ? C'est le vrai départ mais tout dépend de notre plan d'action. Si on continue dans l'attentisme il n'y aura pas de touristes. C'est une question de volonté de bien faire et de passer à l'action avec les moyens adéquats. On n'a pas le choix, du tout. C'est ou bien avancer ou stagner, donc reculer. La destination doit bien évoluer pour sortir de cette impasse de manque d'attractivité touristique qui la tire vers le bas, année sur année. C'est avec un nouveau concept, voire de nouveaux concepts associés, qui cadrent avec la demande de la clientèle européenne et autres, qu'elle peut s'en sortir. Et là il faudrait revoir notre produit en mettant en valeur nos richesses, nos attraits, nos habitudes, notre art culinaire et artisanal...Le client n'est pas tatillon sur là où il va habiter. Il veut vivre une expérience originale, découvrir les spécificités de chaque région notamment la cuisine, l'artisanat, les traditions... Le client est désormais à la recherche d'une expérience inédite, authentique qui lui procurera des émotions intenses.