L'interview, tant attendue du chef du mouvement islamiste d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, auréolé de son nouveau look « cravaté », a tenu toutes ses promesses dans le sens où elle a soulevé, illico presto, une grosse polémique et suscité un vif débat au sein de la classe politique, ainsi que chez le commun des citoyens. Il faut souligner, d'abord, le caractère direct, franc et agressif du chef d'Ennahdha qui n'a pas hésité à trancher sur certains points litigieux tout en donnant le ton aux futures éventuelles orientations de son parti et de lui-même pour l'étape prochaine de la vie nationale. Utilisant des termes du genre «doit», notamment en parlant de Youssef Chahed et de son gouvernement, Ghannouchi a voulu faire comprendre au patron de La Kasbah qu'il le traite d'en haut comme s'il était encore un mineur qui «doit» obéir aux injonctions des «Grands» ! Qu'on en juge... «Le gouvernement d'union nationale doit concentrer ses efforts sur les défis économiques de la Tunisie et des prochaines échéances électorales, au lieu de se focaliser sur l'avenir politique d'un ministre ou d'un chef du gouvernement », a ordonné, en substance le chef du mouvement islamiste. Et d'ajouter que le gouvernement «ne doit pas» se focaliser sur les élections présidentielles et législatives de 2019. Il est appelé, plutôt, à concentrer toute son attention sur les défis économiques et l'administration des élections municipales et locales prévues à la fin de l'année 2017, a-t-il «exigé», encore. «Il est encore tôt de réfléchir aux échéances électorales de 2019, pense le Cheik, car pour lui, il est nécessaire d'éviter toute instrumentalisation de la chose économique à des fins électoralistes. Et puis quoi encore. De quoi je me mêle? De quel droit il décide du sort d'une tierce personne qui jouit de tous les droits civiques et civils?! De quel droit ose t-il défier l'article 34 de la Constitution tunisienne stipulant que les droits d'élire, de voter et de se porter candidat sont garantis conformément à ce qui est prévu par la loi?!... Un chef de parti, même s'il s'appelle Ennahdha a la latitude, certes, de donner son avis, mais aucunement le droit d'exiger et d'imposer sa loi! C'est dire que Ghannouchi a commis, selon les observateurs, une grave erreur de communication en affichant ses prétentions et en dévoilant ses plans. Le président d'Ennahdha, qui se prend pour le président du pays, semble prendre son aise et se mêle de tout. Surtout de ce qui ne le regarde pas et n'entre nullement dans ses prérogatives. Surtout quand il fait des comparaisons qui n'ont pas lieu d'être. Comment peut-il se tromper à ce point et comparer le cas de Mehdi Jomâa à celui de Youssef Chahed. Le premier avait été nommé par un Quartet à l'issue d'un dialogue national avec les conditions que l'on sait à savoir pour une durée maximum d'un an, avec la mission de gérer les affaires courantes et préparer l'organisation des élections législatives et celle présidentielle. Le second est nommé par le président de la République après des élections libres. Donc, toute comparaison entre les deux cas n'est que pur raisonnement démagogique et contraire à toute logique. Et puis quelle loi interdit à un chef de gouvernement en exercice d'être candidat à l'élection présidentielle? Et puis, pourquoi soulever, dès-à-présent, une pareille problématique? Ne dit-on pas, chaque chose en son temps! A moins que le Cheikh veut se tranquilliser, lui-même, en s'assurant d'ores et déjà que M. Chahed ne va pas se présenter à la magistrature suprême! Apparemment, le Cheikh semble confondre des situations qui ne sont pas du tout analogues, puisqu'il exige le même engagement de la part des ministres du gouvernement actuel tout en le comparant avec celui de M. Jomâa. Franchement, on s'aperçoit que M. Chahed dérange de plus en plus les politiciens, notamment ceux d'Ennahdha et de Nidaa qui semblent vouloir se débarrasser de lui. En douceur. C'est ce qui a fait dire à certains que les propos de Ghannouchi constituent une sorte de putsch soyeux. D'autres, à l'imagination encore plus fertile, y voient la main de Béji Caïd Essebsi. En effet, pours les amateurs des théories de complot, ils voient dans la dernière rencontre entre les deux Cheikhs au Palais de Carthage une occasion pour un feu vert au chef d'Ennahdha en vue de poser cette vision sur la table, sachant qu'elle intervient simultanément avec la proposition de Hafedh Caïd Essebsi prônant la tenue d'un dialogue social et économique. Est-ce une simple coïncidence?! Bref, Le pays vit une situation analogue ou presque à celle ayant précédé la chute du gouvernement de Habib Essid, avec la guerre contre la corruption en plus et à l'avantage de M. Chahed. D'ailleurs, le secrétaire général adjoint de l'UGTT, Sami Tahri, estime, dans une première réaction, que l'appel de Ghannouchi à un dialogue social est une manœuvre politique dangereuse, qui peut mener à une nouvelle crise politique. «Si la coalition au pouvoir veut mettre fin à l'accord de Carthage, elle doit l'annoncer ouvertement et devant tout le monde, précise t-il encore, en assurant que ce qui peut se cacher derrière un tel appel peut être une volonté de semer la zizanie et une tentative de redistribuer les cartes. En tout état de cause, en sortant de sa réserve et en lançant tous ses messages en ces moments cruciaux, le Cheikh montre qu'il panique en usant de la tactique de la diversion : il envoie des messages absurdes, mais apparemment à polémique, pour qu'on focalise sur eux et on oublie que nombreux parmi les cadres nahdhaouis peuvent être appelés à figurer sur la liste des personnes pouvant faire l'objet de poursuites dans le cadre de cette guerre anti-corruption et peuvent être, par conséquent, jugés voire condamnés, l'objectif final étant de prouver à ses bases qu'il est encore maître à bord...