L'interview accordée par Rached Ghannouchi, président du parti islamiste d'Ennahdha, à la chaîne de télévision Nessma, le 1er août 2017, continue à susciter la polémique et les réactions de plusieurs personnalités politiques et partisanes versant, toutes ou presque, dans la désapprobation catégorique de son «ordre» à Youssef Chahed d'annoncer, d'ores et déjà, qu'il ne se présentera pas à l'élection présidentielle de ...2019 et de sa proposition quant à la nécessité d'engager un dialogue social et économique. On relèvera, bien entendu, la réaction du premier concerné, en l'occurrence Youssef Chahed, chef du gouvernement d'union nationale qui est venue d'une manière indirecte lors de sa visite sur les lieux des derniers incendies dans le nord-ouest du pays. En effet, à une question d'un journaliste sur sa réaction auxdits propos de M. Ghannouchi, le patron de La Kasbah a dit en substance dans une réplique que certains interprètent comme étant une riposte indirecte au leader d'Ennahdha : «Est-ce une question à poser en ces circonstances? Maintenant, je suis en train de voir comment venir à bout des sinistres et d'alléger les souffrances des gens qui ont perdu leurs maisons... » Pour sa part, Afek Tounes a rendu public un communiqué dans lequel il fustige la teneur de l'interview et va jusqu'à dénoncer la proposition d'un dialogue social et économique qu'il considère comme étant un désengagement des principes et des objectifs énoncés dans le Document de Carthage. Mais la réaction la plus claire et vue comme une sorte de camouflet cinglant à l'initiative du Cheikh du parti islamiste est venue de la présidence de la République. En effet, Saïda Guerrach a clairement affirmé que le président de la République n'était pas au courant du contenu de l'interview et qu'il ne pouvait nullement cautionner une idée contraire à l'esprit et aux principes de la Constitution dont il est le principal garant d'application. Et d'ajouter qu'il n'y a pas lieu d'entreprendre un nouveau dialogue économique et social qui mettrait en doute le rendement du gouvernement d'union nationale. «C'est le chef de l'Etat qui a nommé Youssef Chahed qu'il soutient et dont le succès sera celui du président de la République», a-t-elle martelé en substance. Les images très conviviales, parues jeudi, lors de l'entretien entre Béji Caïd Essebsi et Youssef Chahed ont fini par lever tout doute sur l'entente entre les deux hommes et par annoncer, en quelque sorte, et du moins provisoirement, la fin de la récréation pour ceux qui avaient un plan de révision de la donne politique et gouvernementale. Il s'agit, en plus d'un désaveu de l'initiative qui a failli être entamée sous la houlette du tandem Rached Ghannouchi et le fiston Hafedh Caïd Essebsi qui a publié, simultanément aux propos de M. Ghannouchi, un post sur Facebook réclamant fortement l'organisation d'un dialogue social et économique. Une initiative, selon la réaction du parti Machrou3 Tounès par le biais de la présidente de son Conseil national, Watfa Belaïd, qui est destinée à déstabiliser le gouvernement. Ce qui prouve que, comme déjà indiqué, Cheikh Rached a réussi le tour de force de faire l'unanimité contre lui. Une première du genre. En tout cas, les observateurs s'accordent à dire qu'il a commis une gaffe monumentale en montant en première ligne et en prenant le risque de prendre une «veste» comme cela vient d'être le cas. D'ailleurs, le communiqué publié par le porte-parole d'Ennahdha, affirmant que la proposition de M. Ghannouchi est la position officielle du parti, a été nuancé tout en assurant que le dernier mot reviendrait au conseil de la choura. Pourtant, certains proches d'Ennahdha avaient laissé entendre que le Cheikh avait le feu vert du locataire du Palais de Carthage, mais il s'avère, finalement, que le chef d'Ennahdha a tenté un coup de force croyant pouvoir imposer ses desiderata et à en faire un fait accompli, mais ses calculs se sont révélés faux et il doit, certainement, être en train de trouver une issue de sortie afin de ne pas perdre la face. Un mot, tout de même sur cette fameuse cravate que certains ont vu comme un prélude à un nouveau look et un «pas vers l'Etat» comme l'a dit Lotfi Zitoun en personne. Tout en refusant toute forme d'exclusion, et étant donné qu'on s'approche d'une nouvelle échéance électorale municipale, il serait utile, voire indispensable que le parti Ennahdha clarifie ses tendances et son discours. On se rappelle que lors de son dixième congrès, Ennahdha a indiqué qu'il scinde ses activités en deux, à savoir celle politique et celle de prédication. Or, ceci est largement insuffisant dans le sens où il avoue le maintien des activités politiques, mais sans les mêler à celle religieuse. Et puis, Ennahdha n'a jamais nié son référentiel religieux. Pour preuve, et en parlant, justement, de cette cravate, Rached Ghannouchi a tenu à préciser, lors de la même interview, que le port de cet accessoire vestimentaire n'est pas interdit par la religion ! Autrement dit, la classe politique exige du parti Ennahdha, un engagement officiel, et pourquoi pas par écrit, stipulant sa renonciation définitive à tout lien avec le volet religieux dans son action politique. Y accèdera-t-il ? Difficile à croire et l'avenir tout proche se chargera bien de le dire. Mais d'ores et déjà, on peut dire qu'il n'en sera rien. Et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, parce que la direction a peur de ses bases trop imbues des préceptes religieux. Ensuite, s'il renonce à ce référentiel, que reste-t-il au parti pour pouvoir attirer les sympathisants sans parler des difficultés qu'il aura à maintenir ses adhérents. Il ne faut pas perdre de vue qu'Ennahdha n'a pas de programmes clairs pour gérer les affaires du pays. Son unique et principal programme, c'est l'Islam et le Coran. Et c'est ce qui séduit ses sympathisants. Et en optant pour cette ligne, le parti peut compter sur les lugubres associations dites caritatives et de bienfaisance avec leurs capacités de collecter beaucoup d'argent. Enormément d'argent. Et c'est ce qui fait la force de ce genre de partis fondés sur la religion : Il peut compter sur des gens fanatisés prêts à obéir aux ordres «sacrés» et sur une manne inépuisable d'argent dont personne ne peut cerner la provenance. Et nous lançons, d'ores et déjà, le défi aux dirigeants d'Ennahdha de lever toute ambigüité en coupant les ponts officiellement et définitivement avec le référentiel religieux ! Toute la clé d'une vie politique saine avec des règles de jeu égales pour toutes les parties prenantes du paysage partisan réside dans le respect de cette condition sine qua non pour participer au jeu démocratique. La balle est dans le camp du parti «islamiste» et de son chef.