Le temps des aggiornamentos a-t-il sonné au sein de la gauche tunisienne ? Plusieurs indices le laissent croire si l'on se réfère à l'intention de l'ancien ministre de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption, Abid Briki, de lancer une initiative politique visant à regrouper l'ensemble des courants de gauche.Le pari de l'ex-porte-parole et secrétaire général adjoint de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) entend ainsi créer un troisième pôle, aux côtés de la droite religieuse (Ennahdha) et libérale (Nidaâ Tounes) d'un côté et de la gauche pur et dure, voire même nihiliste de l'autre. «Je vise le rassemblement des courants de gauche qui ne se retrouvent ni dans les partis au pouvoir ni dans l'opposition », a-t-il déclaré, indiquant que le nouveau parti pourrait regrouper des syndicalistes et des formations de gauche déjà existantes comme le Parti socialiste de gauche de Mohamed Kilani et le Parti du Travail patriotique et démocratique (PTPD ). L'avant-goût du programme socio-économique du nouveau parti de gauche tel que présenté par Abid Briki démolit plusieurs dogmes de la gauche à l'instar de la possibilité de recours aux programmes d'aides et prêts des bailleurs de fonds internationaux et des institutions de Bretton Woods, Fonds monétaire international (FMI) et Banque mondiale en tête. «Il faut s'endetter, mais il faut aussi être conscient que le FMI, afin de garantir la solvabilité de la Tunisie, ne proposera pas des recommandations qui serviront nos intérêts. Donc il ne faut pas banaliser cette pratique d'endettement auprès du FMI », a-t-il affirmé. M. Briki est aussi un fervent partisan de la réforme de la caisse de la compensation à travers la mise en place d'une politique de ciblage des couches sociales les plus démunies, un mécanisme qui figure souvent dans la boite à outils du FMI et de la Banque mondiale quand ils se mettent au chevet d'un pays en crise économique ! «La caisse de la compensation bénéficient aussi bien au chômeur qu'au salarié, chose qui est contraire au principe de l'égalité. Ce mécanisme doit prendre en compte les revenus de chaque famille en faisant bénéficier les plus défavorisées de la compensation, et en levant cette dernière aux familles non nécessiteuses», a-t-il assuré. Ces positions reflètent, selon les observateurs, que l'ancien ministre de la Fonction publique, de la gouvernance et de la lutte contre la corruption cherche à constituer une alternative au Front populaire qui a choisi la voie de l'opposition radicale consistant à stigmatiser l'actuel pouvoir, en comptant sur son éventuel échec pour surfer sur le mécontentement anti-islamistes et des déçus de Nidaâ Tounes et se présenter ainsi comme une alternative crédible. Abid Briki, lui, s'en défend. «Je ne vise pas le Front Populaire dont je respecte beaucoup le travail. Aujourd'hui, il existe des politiciens de la gauche qui n'appartiennent à aucun parti. Notre initiative les accueille» a-t-il fait remarquer. Et d'ajouter : «J'ai contacté plusieurs personnalités dont des députés indépendants, des anciens ministres ou encore des jeunes du mouvement Manich Msemah, et ils ont tous affirmé qu'ils sont tout à fait prêts à se rallier à notre initiative». Rappels historiques Les tentatives de «rénovation» de la gauche ne datent pas d'hier. En 2012, le martyr Chokri Belaïd avait déjà lancé l'idée de bâtir un grand parti de gauche. Il n'a pas eu le temps de mener ce projet à terme puisqu'il a été assassiné le 6 février 2013. L'année dernière le député Mongi Rahoui a jeté un pavé dans la mare jusqu'alors en apparence calme et limpide du Front Populaire en acceptant de rencontrer le Chef du gouvernement, Youssef Chahed. La coalition regroupant une douzaine de partis de gauche s'était alors empressée de condamner les agissements d'un «camarade» indiscipliné qui ont été sentis comme une véritable trahison. Le député de gauche connu pour son franc-parler et son éloquence avait finalement décliné l'offre du Chef du gouvernement qui lui a proposé un portefeuille économique au sein de son nouveau cabinet, mais son initiative a révélé au grand jour les divergences profondes qui traversent le Front Populaire. «En acceptant le principe de négocier avec le nouveau Chef du gouvernement, je n'ai fait qu'exprimer le point de vue d'un grand nombre de militants du Front Populaire qui refusent la politique de la chaise vide qu'adopte la coalition à tout de bout de champ », avait affirmé M. Rahoui. Financier de formation, Mongi Rahoui souligne, d'autre part, qu'il est grand temps pour secouer le cocotier qu'est le Front Populaire et renoncer au choix de la politique de l'opposition nihiliste. «Je ne peux pas accepter la politique du boycott absolu (...). Le Front a plus que jamais besoin de rectifier sa ligne politique et d'en finir avec l'idée selon laquelle le pouvoir est forcément l'ennemi à abattre», a-t-il martelé. Depuis Mongi Rahoui est rentrée dans les rangs. La nouvelle tentative de Abid Briki réussira-t-elle à secouer une gauche qui paraît sclérosée et rigide au point d'installer un doute chez l'électorat quant à son sérieux et ses capacités de gouverner ? Wait and see.