Un nouveau roman de Taoufik Ben Brik vient de paraître chez Sud Editions. Mots ciselés, soliloque en spirale et style débridé sont au rendez-vous d'un texte savoureux qui épingle bien des conventions. A découvrir pour apprendre comment un écrivain devient un "bandit des lettres"... Après "New York, banlieue de Tunis", Sud Editions vient de publier un nouveau roman de Taoufik Ben Brik. En fait, ce livre est une réédition d'un ouvrage paru en 2004 sous le titre "The plagieur" chez Exils éditions. Ce texte reparait ainsi sous un nouveau titre, dans une édition tunisienne qui permettra certainement au public de découvrir cette oeuvre peu connue d'un auteur qui a fait ses preuves littéraires et iconoclastes en langue française et aussi en arabe. Né en 1960 à Jérissa, Ben Brik est en effet l'auteur d'une dizaine d'ouvrages dont plusieurs sont parus chez Sud Editions. Citons notamment en arabe "Kawasaki" et "Ikhwan Hamlet" respectivement publiés en 2014 et 2016. Avec "Le Bandit", nous retrouvons la plume déliée et le style lapidaire et toujours enthousiaste de Ben Brik qui joue avec les mots, jongle avec les expressions et plante un décor improbable peuplé d'êtres imprévisibles. Le personnage central de ce roman est un bandit des lettres, une sorte de voleur de paragraphes qui combat un pouvoir injuste à travers la littérature et la justesse des mots. Comme un Don Quichotte en goguette Ici c'est l'imagination au pouvoir, à l'image du verbe fleuri et parfois outrancier d'un Charles Bukowski ou d'un Cavanna. Introduit par une préface de Edward Said intitulée "Le Bandit arabe", le livre se déguste comme on lirait un San-Antonio ou un Chester Himes. Dans le registre de la Série noire, avec un vocabulaire qui va dans tous les sens, Ben Brik laisse aller sa plume dans un délire verbal jubilatoire. Rien ne semble pouvoir l'arrêter et il parvient à vite entraîner son lecteur dans une spirale de mots, entre imprécations et jurons. Dans sa préface, Edward Said écrit: " Autour de Ben Brik, les bouteilles volent, les coups pleuvent. Ah! comme il se bat bien! et surtout comme il aime se battre". Comme un Don Quichotte en goguette, l'auteur multiplie les clins d'oeil et les digressions, cultive un parler voyou qui peut heurter mais se trouve au coeur du propos. Car, malgré sa légèreté apparente, ce livre est un pamphlet qui reste d'actualité, une diatribe qui pourfend les pouvoirs usurpés et un texte qui se croque savoureusement. A chaque page son envolée! Et voici un lyrisme des tréfonds qui s'impose et banalise le verbe majeur, celui qui établit les pouvoirs, celui de la norme et de la convention. Un sublime trafiquant d'alphabet Très oulipien, Ben Brik joue à faire de la littérature et n'adopte en aucun cas la morgue de certains auteurs. De fait, il place l'anticonformisme comme matrice de sa démarche et ne marchande pas avec le mot qui jaillit. Il en découle un flot verbal irrépressible qui peut être assimilé au cri sans fin de tous les opprimés. Mieux, dans une verve célinienne, Ben Brik semble s'amuser à faire renaître ces brigands de grand chemin de la poésie arabe qui avaient le verbe haut et téméraire. Poussant le lecteur dans ses derniers retranchements, l'auteur confesse: "Je parle mal. J"écris mal. Ma phrase est invalide, morne, lugubre, sans ailes". Toutefois, c'est le contraire qu'on découvre au fil des pages de ce soliloque impertinent qui cherche à retrouver le livre de la vraie vie de son auteur. Bourré de références, écrit comme un journal à vif, "Le Bandit" est un régal pour qui aime être surpris et ne ressemble à aucune autre oeuvre tunisienne contemporaine. L'auteur y flirte avec le vide, s'y oppose à un dictateur et revient toujours vers les lettres dont il s'avère être un sublime trafiquant. En 130 pages, Ben Brik nous balade dans "une vie sans sel" où l'on retrouve coincés entre les pages de l'histoire des visages connus et de vagues profils fuyants. Au fond, ce livre révèle un auteur tourmenté par l'écriture et ses finalités mais pour lequel la langue qui voltige, décrit et se recrée est bel et bien l'arme ultime pour faire vaciller des piédestals toujours illusoires.