Avec son roman "Une nuit en Tunisie", Fabrice Gabriel écrit une chronique de la ville alors assoupie de Sidi Bouzid dans les années 1990. Avec en fond musical le standard de jazz composé par Dizzy Gillespie en 1942... Depuis ses romans antérieurs, "Fuir les forêts" et "Norfolk", Fabrice Gabriel s'est fait connaître du grand public grâce à une plume incisive et un stylé épuré. Avec son nouveau roman paru aux éditions du Seuil, Gabriel écrit une oeuvre tunisienne inspiré de la vie d'un coopérant dans le Sidi Bouzid des années 1990. Intitulé "Une nuit en Tunisie", ce roman paru en mai 2017 raconte la jeunesse de Janvier à travers la parenthèse d'un service national actif effectué dans la région. Un narrateur entouré par les fantômes du passé C'est "A Night in Tunisia" que le jeune Janvier écoute dans sa voiture en arrivant à Sidi Bouzid. Personne ne connait alors cette ville agricole du centre de la Tunisie qui allait devenir le berceau de la révolution tunisienne et des révoltes dans plusieurs pays arabes. Cette pièce musicale est un standard de jazz composé par Dizzy Gillespie en 1942. D'innombrables musiciens ont ensuite repris ce thème et donné leur propre version, à l'image du pianiste Bud Powell, génie précoce, tabassé par la police et rendu fou par les électrochocs censés le soigner. C'est Bud Powell que Janvier écoute en arrivant à Sidi Bouzid à l'automne 1990. Dans "Une nuit en Tunisie", le personnage principal qui baigne en pleine autofiction va projeter le lecteur à l'époque de la première guerre du Golfe. Le jeu auquel se prête Gabriel consiste à convoquer la mémoire d'oeuvres musicales, cinématographiques et littéraires qui donne son atmosphère à ce roman Entouré de fantômes insaisissables, l'auteur joue avec les correspondances et renvoie son lecteur à la recherche de sa propre mémoire et aussi de la présence diffuse de Georges Perec, un autre écrivain français ayant lui vécu à Sfax en tant que coopérant. Rythmée, construite, labyrinthique, la narration se débride peu à peu, un peu comme lorsque le jazz est là. Les références se multiplient, se dévoilent, s'enchevêtrent au point où les réminiscences successives renaissent "dans l'invisible des voix" ou un lointain opéra de Purcell dont la reine Didon est l'héroine malheureuse. Fabrice Gabriel écrit de manière fragmentée mais en se souciant à chaque instant de la limpidité de sa construction. On l'imagine volontiers comme un mosaiste qui, une tesselle après l'autre, affirme la cohérence de son oeuvre. On l'imagine tout aussi volontiers penché sur un puzzle de ceux que ne renierait pas le grand Perec. La présence subtile du grand Georges Perec "Une nuit en Tunisie" est pour plusieurs raisons un roman attachant. D'abord, c'est la première oeuvre importante à paraître sous la plume d'un romancier français après la révolution tunisienne. Ensuite, par le biais de Janvier, l'autur y tisse beaucoup de tendresse pour une Tunisie qu'il découvre "l'avenir ouvert sur le paysage pourtant tourné vers l'hiver". Enfin, ce roman se laisse écouter, porte en lui des saveurs jazzy, des ruptures et des reprises, un souffle profond et des envolées lyriques. Disponible chez quelques libraires depuis sa sortie, ce livre devrait être présenté par son auteur au printemps 2018. En effet, l'Institut français de Tunisie invitera cet auteur pour qu'il puisse rencontrer le public littéraire, rendre compte de sa démarche et retrouver un pays qu'il porte dans sa mémoire et maintenant, sa littérature.