Après l'installation des nouveaux conseils municipaux, quelle sera la place de la culture dans les programmes des nouveaux maires? Allons-nous vers un retour à la vie culturelle ou bien d'autres priorités vont-elles la supplanter? Un enjeu crucial pour la culture de proximité... Depuis 2011, seules la capitale et quelques grandes villes ont pu préserver leur action culturelle, tout en révisant à la baisse des budgets déjà parcimonieux. En effet, la mise à l'écart des conseils municipaux et la nomination de délégations spéciales avaient suscité une relégation de la culture, devenu le cadet des soucis de communes aux abois et manquant cruellement de financements. La politique culturelle de la ville de Tunis fait figure d'exception mais le restera-elle? Tunis et certaines de ses banlieues nord ont maintenu leurs investissements culturels et parfois fait preuve d'innovation, comme ce fut le cas à Sidi Bou Said ou la Marsa. Dans ces deux villes, les présidents en charge des délégations spéciales ont en effet mis un point d'honneur à enrichir les infrastructures et poursuivre la programmation. On a ainsi vu naître des manifestations de proximité et aussi des rencontres d'envergure internationale, notamment en matière de poésie et d'arts plastiques. Pour la capitale, le maire Seifallah Lasram a également préservé l'essentiel et veillé à ce que les équipements soient rénovés, comme pour le Théâtre municipal qui a connu une cure de jouvence ou la médersa de Bir Lahjar, actuellement en restauration. La ville de Tunis a probablement le dispositif le plus important en termes d'action culturelle. Outre le Théâtre et quelques médersas, la municipalité entretient la Troupe de la Ville de Tunis, une bibliothèque spécialisée à Dar Ben Achour, un centre culturel au boulevard du 9 avril tout en animant le Festival de la médina et en appuyant de nombreuses associations. Dans les grandes villes, les municipalités provisoires ont aussi paré au plus pressé en ne maintenant que l'essentiel et en abandonnant des pans entiers de leur activité. Cela a généré un vide culturel palpable, surtout dans les villes moyennes où les communes mènent de nombreuses actions de proximité. Ainsi, le tableau général n'est pas vraiment reluisant et se caractérise par un incontestable recul en matière de culture. Ces sept dernières années, les municipalités lui ont accordé de moins en moins de budgets et ont, pour les plus volontaristes, maintenu un semblant d'activité. La question se pose désormais de savoir si l'embellie culturelle sera au rendez-vous des nouveaux conseils municipaux ou bien si, faute de moyens ou de volonté politique, le statu quo va être maintenu et l'appauvrissement culturel confirmé. Comment combler les inégalités municipales dans le domaine culturel? Dans cette optique, il convient de relever trois points essentiels. En premier lieu, les conseils municipaux qui viennent d'être élus et installés comprennent en général une commission culturelle et à tout le moins un responsable de la vie culturelle. En soi, ce fait souligne que la vocation culturelle est bien inscrite dans le tissu institutionnel. Toutefois, elle se dilue souvent à cause du manque de budgets et risque d'être amoindrie par les urgences qui attendent les nouveaux maires. Ensuite, il est fondamental de rappeler que les villes tunisiennes diffèrent par leur taille et que ce sont en général les plus importantes ou les mieux nanties qui investissent dans la culture. D'une certaine manière, ces villes se défaussent sur le réseau du ministère des Affaires culturelles, celui du ministère de la Jeunesse et aussi sur le tissu associatif culturel. Ainsi, les villes souffrent d'une inégalité évidente dans le budget qu'elles consacrent à la culture et ce handicap risque d'aller en se creusant. La question désormais est de savoir comment seront affectées les ressources destinées à la culture. Iront-elles à des artistes et des associations ou bien financeront-elles les jardins d'enfants et les prix scolaires? Autre point essentiel, beaucoup de nos villes ne disposent pas de personnel culturel spécialisé qui soit salarié et par conséquent, ce sont trop souvent les membres des commissions municipales qui, sans consultation préalable avec des experts, attribuent les rares budgets selon leur bon vouloir. Enfin, le nouveau Code des collectivités locales ainsi que la multiplication du nombre des communes bouleversent la donne antérieure. En effet, au niveau des textes, la dimension culturelle est désormais inscrite en bonne place et cela devrait rejaillir positivement sur le secteur. Pourtant, il faudra attendre la finalisation de ce code et aussi subir le probable contrecoup de toutes les années d'immobilisme. Quant à l'augmentation du nombre des communes, elle devrait à moyen terme apporter l'action culturelle à des régions rurales ou des cités populaires auparavant confinées dans l'ennui et ne disposant pas d'équipement adéquats. Notons au passage que, dans plusieurs pays de tradition anglo-saxonne, il n'existe pas de ministère de la Culture, laissant ainsi le champ libre aux communes pour gérer leur action culturelle. Il n'en reste pas moins que, malgré les discours prônant plus d'autonomie pour les communes, c'est au niveau budgétaire que le bât blesse, renvoyant toutes les professions de foi généreuses au rang de voeux pieux. Eviter les bricolages politiciens et les querelles stériles sur la définition du culturel Dans ce panorama global, il existe aussi des craintes concernant l'action culturelle municipale. Ce que redoutent de nombreux observateurs, c'est que ces soucis budgétaires et l'ordre actuel des priorités ne servent à durablement enterrer l'action culturelle communale. Cela reviendrait, malgré les textes et les discours, à ne pas investir harmonieusement dans la culture et aurait pour conséquence de priver les beaux-arts ou le théâtre des maigres ressources dont ils pourraient disposer. Une telle démarche impliquerait une forme de normalisation culturelle qui, tout en maintenant de trompeuses apparences, liquiderait le tissu culturel ou détournerait son essence formatrice ou ludique. Il s'agit d'un enjeu de taille pour nos municipalités et, pour le moment, nul ne sait vraiment quelles pourraient être les priorités culturelles d'une commune dominée par un parti islamiste. A ce titre, même inaccompli, le Code des collectivités locales devrait servir de référent pour que l'on n'entre pas dans une ère de bricolage politicien et de débats stériles sur la définition de ce qui est culturel. En attendant que les nouvelles municipalités s'installent, il est important de poser les termes de ce débat, tout en souhaitant une bienvenue transparence budgétaire dans le domaine culturel. Chaque ville devrait ainsi publier son programme culturel, ses plans pour le mandat à venir et sa stratégie pour les réaliser. Sans cela, l'élection du 6 mai dernier n'apportera rien de nouveau en matière culturelle et, dans certains cas, la nouvelle donne pourrait constituer une menace pour les acquis antérieurs et accompagner l'émergence de nouveaux discours qui ne cachent pas leur volonté de mettre au pas la vie culturelle à tous les niveaux.