De retour sur les planches, Abdelaziz Maherzi vient de présenter sa nouvelle création dans le cadre du festival El Abdelliya. Lucide, philosophe, railleur et jamais fataliste, Le comédien signe un texte majeur et déploie tout son talent dans un monodrame d'une cruelle actualité. Abdelaziz Maherzi ne peut rester éloigné des planches trop longtemps. Après des périodes où il laisse à ses idées le temps de la maturation, il finit toujours par revenir plus convaincant que jamais. Un personnage dans la sombre écume des jours de doute Avec " Ichad ya Layam", il crée un lointain écho qui s'inspire aussi bien de Gogol que de Boris Vian. Le titre du nouveau spectacle de Maherzi est des plus polysémiques. On pourrait aussi bien le traduire par un très littéral "C'est aux jours de témoigner" que par des variations plus poétiques et plus proches de "L'écume des Jours" ou d'un beckettien "Oh les beaux jours". Dans ce texte, il s'agit du jugement des jours sur le quotidien, du témoignage du temps qui passe sur notre vécu et, plus prosaiquement, de ce qui nous échappe, nous intrigue ou nous interpelle. Témoin d'une époque, Maherzi se contente de raconter. Mais il le fait avec le cynisme des philosophes et la distance de ceux qui ont déjà vu toutes sortes de délitements. Il s'agit de la Tunisie contemporaine, de ce qui l'agite et de ce qu'un simple individu peut entrevoir. Car, la force du texte de Maherzi réside dans sa dimension singulière, dans le fait qu'il s'agit d'une simple voix qui décline sa propre vérité, sans se soucier qu'elle soit la vérité. Maherzi se contente de raconter et, au fond, ne cherche à convaincre personne. Il dit les choses comme il les a ressenties et ne cherche aucunement à donner à son discours l'allure d'une revendication ni même d'un constat. Il raconte, et c'est tout. Un témoin lucide, une voix désabusée Toutefois, cette narration, il lui trouve les mots justes et des expressions ciselées. Il parvient à sublimer le quotidien le plus cru pour lui donner un écho profondément artistique et le parer d'une détresse qui ne dit pas son nom. Car, ce texte de Maherzi est celui d'un narrateur désespéré, d'un homme dont sa propre vie lui échappe dans les tumultes post-révolutionnaires. Très camusien, Maherzi s'attache à l'homme, au témoin lucide qui parle, à la voix désabusée qui s'exprime. Ce faisant, il brosse la chronique des jours insensés que nous avons pu traverser et brocarde à tout va ce qui est véreux en nous, ce qui fait le lit de nos défaites, ce qui constitue la trame de nos silences. Le dispositif est des plus simples: un homme parle et ce sont les jours qui s'expriment à travers sa voix. Un homme raconte et ce sont des vies rétrospectives qui s'échappent de sa langue. Cet homme nous parle dans notre langue, il caricature nos propres échecs et rien n'échappe à son regard à la fois narquois et fatigué. Une mise en scène intimiste Depuis le "Solwen" de Leila Toubel, on a rarement aussi bien porté nos errances et nos questionnements. Avec "Iched ya Layam", Maherzi revient aux racines du théâtre: sans artifices, à voix nu, il parle seul et solitaire mais dit tout un peuple, sa douleur et ses attentes. Ceux qui connaissent cet artiste savent qu'il a mis toute la fougue de ses vingt ans et toute la maturité de son âge aujourd'hui pour accoucher de ce texte puis d'une interprétation sobre et lumineuse. Une mise en scène intimiste pour un texte dont la puissance réside dans son actualité. Un témoignage précis, actuel mais savamment décalé de manière à mettre hors jeu les discours pompeux et les professions de foi mensongères. En un mot, un texte vrai, tellement vrai que même le narrateur semble s'effacer devant ces mots que nous aussi aurions pu prononcer. Du grand art!