En compétition officielle longs métrages documentaires, «Kinshasa Makambo» du réalisateur congolais Dieudo Hamadi. Un doc intéressant mais pour «Kinshasa Makambo» raconte la lutte de trois jeunes activistes congolais, Christian, Ben et Jean-Marie, face à la pérennité du règne de Joseph Kabila. Ce documentaire de 75 minutes n'est pas neutre et montre d'emblée le parti-pris du réalisateur Dieudo Hamadi, qui combat le régime en place par le documentaire. En filmant ces jeunes, entre fin 2015 à début 2017, le documentariste a voulu montrer qu'en République Démocratique du Congo aussi il y avait une lutte contre le pouvoir dont jeunes et moins jeunes voudraient s'affranchir, comme chez nous ou encore au Burkina Faso. Mais comparativement parlant, la RDC n'est pas la Tunisie ni le Burkina Faso puisque Ben Ali a été dégagé à l'âge de 75 ans et Blaise Compaoré (l'ancien président du Burkina) à 63 ans, alors que Joseph Kabila en 2015 avait 44 ans et en 2017 46 ans. Du côté de la superficie, la RDC (2.345.409 km2) n'est pas comparable ni à la Tunisie (163.610 km2) ni au Burkina Faso (274.400 km2), d'autant plus que ce pays connait des problèmes ethniques graves.D'autre part, en y regardant de plus près ni les Tunisiens, ni les Burkinabès n'ont fait leur révolution à l'appel de partis politiques. Cela a été spontané. De véritables mouvements citoyens. En RDC, la spontanéité n'est pas de mise puisque un parti revient souvent en avant : celui d'Etienne Tshisekedi wa Mulumba, ancien Premier ministre du Zaïre (ancien nom de la République Démocratique du Congo) sous Mobutu, et président de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS).De plus, Tshisekedi, en 2015, avait… 83 ans.Misé sur un homme qui a souvent retourné sa veste et qui n'est pas blanc comme neige de tout crime, c'est comme un peu faire rentrer le loup de la bergerie. En effet, sous Mobutu, Tshisekedi a fait exécuter, en juin 1966, trois ministres qui comptaient parmi les opposants les plus influents à la dictature. Et surtout, il aurait eu un rôle dans l'assassinat de Patrice Lumumba, considéré en RDC comme le premier «héros national» du pays. Tshisekedi a un rôle important dans le documentaire puisqu'il met en opposition deux des jeunes problèmes : l'un posele problème de l'inefficacité de cet homme politique, l'autre le glorifie en rappelant qu'il a fait de la prison. Donc, il existe des distensions au sein même des jeunes activistes ; et chacun sait que l'union fait la force et connaît la devise «diviser pour mieux régner». Le doc montre que malgré leur bonne volonté (par exemple la fabrication de masques anti-fumigène avec des bouteilles en plastique) ces jeunes ont besoin d'être structurés et encadrés, car on a l'impression que chacun se met en leader ; chacun veut être un nouveau Patrice Lumumba mais un Patrice Lumumba avec la réussite au bout.Mais chacun avec sa propre méthode : Ben souhaite l'utilisation de la force quitte à sacrifier des vies, Jean-Marie prône la contestation dans la rue et sur les marchés, et Christian fait le choix de la politique en adhérant au grand parti d'opposition, qu'est l'UDPS. Toutes ces tensions au sein de ce groupe de jeunes a donné son titre au documentaire puisque «makambo», pluriel de likambo, en lingala, signifie «problèmes», «litiges» et, par extension, «casse-têtes».Ces «makambo» ont eu pour effet que les élections présidentielles ont été repoussées jusqu'à fin 2018. Mais auront-elles vraiment lieu ? Nous avons eu des doutes sur la neutralité du documentaire quand, dans le générique de fin (et il est toujours intéressant de lire le générique de fin car on y apprend beaucoup de choses), nous avons vu les soutiens (financiers ou autres) qu'a obtenus Dieudo Hamadi pour sa réalisation : beaucoup étaient issus de représentations européennes. C'est à se demander, si, quelque part, le documentaire n'est tout simplement pas une commande, même s'il est vrai que les financements de tout film se trouvent sur le Vieux continent et ses représentations institutionnelles politiques ou non… Zouhour HARBAOUI Compétition officielle / «Fatwa» de Mahmoud Ben Mahmoud (Tunisie) Un coup de gueule contre l'intolérance "Fatwa", le nouveau long-métrage du réalisateur tunisien Mahmoud Ben Mahmoud, projeté en compétition officielle aux JCC, dénonce le salafisme jihadiste à travers une fiction qui colle à une amère réalité vécue et encore vécue par la Tunisie, à l'instar d'autres pays arabes voisins ou du Moyen Orient. Le réalisateur ne va pas par quatre chemins pour nous mettre au coeur d'une histoire triste et cruelle et énigmatique à souhait. Celle d'un père qui rentre de France pour enterrer son fils mort dans un accident de moto selon la version officielle des faits. Ce père en restera sceptique. Il mènera seul son enquête en affrontant les présumés assassins de son fils: des salafistes takfiristes et jihadistes qui l'ont instrumentalisé et mené au gouffre. Quant à la mère, députée et auteure d'un livre où elle dénonce ces éléments islamistes, elle est menacée de mort. Elle les défie continuellement en assistant aux funerailles de son fils en premier lieu. Une véritable bataille verbale et et aux coups de poing entre ces "belligérents." Des éléments importants sur les circonstances de la mort du fils ressurgissent chemin faisant. Mais le résultat reste à prouver malgré la progression positive des faits dans le sens de la découverte des vrais assassins. Est-ce une peine perdue? "Fatwa" se passe sans musique et sur un rythme quelque peu lent. Le dénouement est inattendu. La musique est servie au générique fin du film. Une musique et un chant savamment composée et interprétée par l'artiste Dhafer Youssef. Une litanie en somme avec des vocalises qui en disent long sur l'ampleur du drame. Un film coup de point et coup de gueule contre une certaine idée de l'Islam devenu sous nos cieux et après la révolution dépourvu de tolérance envers les autres religions et autres croyances.