«Le théâtre tunisien et la décentralisation », tel est le titre du premier colloque de la 20è session des Journées Théâtrales de Carthage qui se déroule du 08 au 16 décembre courant. Ce colloque de deux jours a ouvert ses travaux ce dimanche 09 décembre à Tunis. Trois séances ont été consacrées à cette première journée : la première a abordé la politique centrale du théâtre et de ses relations avec les acteurs, la deuxième a soulevé la question des centres d'arts dramatiques et scéniques et le souci de la décentralisation entre la spécificité culturelle locale et la subordination de l'administration centrale ; alors que la troisième s'est penchée sur le rôle des initiatives théâtrales privées dans la concrétisation de la décentralisation culturelle. Lors de la première séance, présidée par Dr Mohamed Madiouni, les intervenants ont mentionné la première expérience de décentralisation du théâtre (1967-1968), en soulignant les impacts de la décentralisation et la manière dont l'autorité politique de l'époque la considérait. En outre, ils se sont interrogés à quel point les détenteurs du pouvoir ont le désir réel d'autoriser aux régions la liberté et la décentralisation, non seulement après l'indépendance du pays, mais aussi après la Révolution, quand bien même la nouvelle Constitution stipulerait à consacrer la décentralisation (chapitre 14) et à examiner le principe de la discrimination positive au profit des régions. L'universitaire et l'homme de théâtre Ezzeddine Abbasi a présenté, statistiques à l'appui, une analyse de la situation des institutions théâtrales en Tunisie, appelant à venir en aide au reste du théâtre régional. Il a donné un aperçu historique au cours duquel il a parlé de l'intérêt, malheureusement éphémère, qu'on accordait au théâtre dans les quartiers, en particulier avec le célèbre discours de l'ancien Président Habib Bourguiba en novembre 1967, qui appelait à la création de troupes théâtrales dans toutes les régions. « Ce qui n'est pas fait aujourd'hui, ajouta-t-il, il n'y a pas de présence légale d'un théâtre régional, et il n'existe aucune loi relative au théâtre régional depuis 1954. Même la Troupe de la ville de Tunis n'a aucune présence légale puisque ses membres sont des employés de la municipalité de Tunis… » Il a estimé en outre que le Théâtre national avait vidé le contenu du théâtre régional en attirant les talents théâtraux des régions pour travailler dans la capitale. Il n'a pas nié l'existence de certaines des expériences brillantes de création d'un certain nombre de jeunes pour des espaces spéciaux dans des régions telles que Madenine, Bani Khadech, Kasserine et autres, mais il a estimé que ces centres culturels régionaux constituaient une forme de résistance culturelle, quoique les autorités politiques ne soient pas conscientes de leur importance. Il a appelé enfin à accorder une indépendance administrative et financière aux directeurs et responsables des centres en leur accordant les moyens nécessaires pour les affranchir de toutes les restrictions et en leur permettant de travailler librement. Quant au chercheur Mohamed Abaza, il a estimé que la décision de créer des troupes théâtrales régionales ou des centres d'arts dans les régions a été prise hâtivement car elle ne s'accompagnait pas de la promulgation des lois nécessaires à cet égard, comme en témoignaient le manque d'équipements et le manque d'espaces conçus pour fournir des représentations théâtrales conformes aux normes internationales. Par ailleurs, il a estimé que l'absence de liberté et de démocratie au cours des dernières années et le strict contrôle exercé par l'Etat sur les troupes théâtrales les empêchaient de jouer un rôle de premier plan dans la création d'un mouvement théâtral. Le dramaturge et universitaire Ridha Boukadida a parlé dans son discours de la décentralisation en Tunisie et sa relation avec le modèle français, faisant référence à la relation entre le système politique et le théâtre. Il s'est interrogé sur la possibilité de parler de la décentralisation d'une pièce de théâtre en l'absence de décentralisation administrative, soulignant un certain nombre d'obstacles empêchant la décentralisation. Il s'est demandé à la fin de son intervention si la décision de réaliser la décentralisation dépendait des responsables tunisiens ou il fallait l'intervention du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale qui déterminent aujourd'hui les orientations et les choix du gouvernement tunisien. De son côté, le grand dramaturge Kamal Alaoui a mis en avant la question de la centralisation et de la décentralisation, en s'appuyant sur sa propre expérience de la supervision des troupes théâtrales au Kef, à Sfax et Mahdia, estimant que la décentralisation signifie essentiellement «théâtre populaire». À cet égard, il a évoqué les circonstances de la fondation du Théâtre du Kef par feu Moncef Suissi, homme de théâtre, influencé par les défenseurs de la décentralisation. Il a estimé que la période de diffusion du théâtre scolaire, à la suite du célèbre discours de Bourguiba, est la seule qui incarne la décentralisation du théâtre. Il a posé une série de questions sur la relation entre le public et les types de théâtres, affirmant que la coexistence de types de théâtre (classique, vaudeville ...) avait concouru au grand succès du théâtre français. Il s'est demandé s'il était possible aujourd'hui de parler d'un théâtre régional en l'absence du public lors des spectacles proposés dans les régions. Les participants au débat ont souligné la nécessité d'accorder une indépendance financière et administrative aux troupes régionales et de ne pas les confiner à la Capitale. De même, un certain nombre d'invités arabes ont estimé les efforts de développer le théâtre en Tunisie, en soulignant le fait que l'Etat devrait accorder davantage une marge de liberté culturelle et créative aux troupes régionales.