La dernière manifestation culturelle organisée par le théâtre El Hamra, dans le cadre du Centre arabo-africain de formation et de recherches théâtrales (ARAF), était une opportunité pour nous d'aborder, avec le directeur de ce théâtre, Ezzeddine Gannoun, la situation de la culture dans le pays. On sait très bien que le bilan de ce secteur sous le gouvernement de la Troïka était catastrophique. Mais, avec celui dit de technocrates, le dramaturge nous fait savoir que quelques décisions ont été prises par le ministère de la culture en faveur de ce secteur vital et dont le rôle est plus que jamais sollicité après des décennies de désertification culturelle et surtout dans un contexte dominé par la propagation du fanatisme religieux. Le rôle des mécènes Il s'agit de lois et de propositions assez intéressantes telles que celle relative au mécénat qui est unique dans le monde, selon lui. Les sommes versées par les mécènes sont, entièrement, retranchées de leurs assiettes d'impôts, ce qui encourage, énormément, le capital national pour qu'il intervienne dans la culture. C'est une demande qui date depuis au moins trente ans, affirme le directeur d'Al Hamra. « J'espère que le texte d'application ne tardera pas à apparaître pour que cette loi soit appliquée le plus tôt possible, car en 1981, il y avait une décision similaire qui n'a jamais vu le jour, et la culture est restée le parent pauvre du budget national. Donc, il faut activer les choses pour que les mécènes voient leurs contributions apporter des fruits aussi bien sur le plan artistique qu'au niveau des impôts », souligne Ezzeddine Gannoun. Au-delà de cette question, qui est très importante, il y a beaucoup d'autres choses qui restent à faire, à savoir l'amélioration de l'infrastructure culturelle dans le pays, ajoute-t-il. Ce qui est confortant, à ce niveau, c'est qu'il existe quelques ONG qui sont prêtes à accorder une aide importante à ce niveau. Cette condition est si déterminante d'autant plus que le projet culturel ne peut pas tourner s'il n'y a pas de théâtres, de lieux d'accueil adéquats qui soient à même d'accueillir toutes les formes artistiques, de l'art jusqu'à la projection cinématographique, en passant par le ballet, la musique et autres, d'après lui. Donc, le bât blesse concernant l'infrastructure culturelle en Tunisie, insiste le metteur en scène. « Les maisons du peuple, fondées pendant les années 60 et converties, plus tard, en maisons de jeunes, sont devenues des lieux déserts, avec une table de ping-pong et un instrument de percussion, où les jeunes se réunissent, tous les vendredis soir, pour chanter et rentrer chez eux après », rappelle-t-il exacerbé. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de programmation culturelle intéressante à cause de l'absence d'une politique culturelle régionale dans le sens de la décentralisation ce qui impose une autonomie. Pour lui, on ne peut pas parler de décentralisation si ces lieux de l'intérieur du pays restent tributaires du centre que ce soit sur le plan financier, politique ou de la programmation culturelle, etc. D'ailleurs il y a des spécificités culturelles qui rendent cette autonomie une nécessité. « Comment ne pas exploiter cette diversité ? S'interroge le metteur en scène d'Al Hamra. La ruée vers Tunis ou l'exode rural des années 70 a touché non seulement des chômeurs cherchant du travail, mais également des artistes qui s'y sont installés en quête de notoriété », poursuit-il. L'indépendance de l'artiste Pour une meilleure efficacité, Ezzeddine Gannoun propose un autre découpage régional qui ne tient pas compte des vingt-trois gouvernorats existants, en constituant une dizaine de structures régionales de production, de diffusion et d'information, dirigées par des gens compétents. Des structures pareilles ajoutées à celles existant déjà à la capitale permettraient d'avoir une animation à longueur d'année, c'est-à-dire 365j/365j. Pour pouvoir assurer cette autonomie escomptée, il faut trouver d'autres ressources et ne pas rester, éternellement, dépendant du ministère de la culture, et ce en s'adressant aux espaces privés. Toutefois, les artistes qui n'y sont pas encore arrivés, peuvent continuer à compter sur l'aide de l'autorité de tutelle dont la fonction majeure est de soutenir le secteur culturel, estime-t-il. « Il faut apprendre à compter sur soi pour faire ses propres activités et ne pas rester, tout le temps, soumis à la commission qui peut accorder ou ne pas accorder des subventions », note-t-il. Cependant, les difficultés de la culture nationale ne proviennent pas seulement de ces défaillances, mais aussi du comportement et des positions de certains artistes. « Libre à eux d'en emprunter celle qui leur convient et de soutenir le parti ou l'homme politique qu'ils veulent, mais pas n'importe quand. Car ces derniers ont tendance à choisir des moments particuliers pour les dompter et donner l'impression qu'ils leur sont inféodés, ainsi ils deviennent le bois qui sert à allumer leurs cheminées. Et s'ils espèrent en récolter quelques intérêts et décrocher un poste pour s'assurer une visibilité politique, ils se trompent lourdement, parce qu'il n'y a de visibilité que la visibilité artistique », s'indigne-t-il. Tout en ayant ses propres idées et ses propres convictions politiques, un artiste doit préserver son indépendance. Il n'a pas besoin de le crier sur tous les toits et d'être porteur de discours directs, car rien qu'en regardant son travail, on comprend de quel bord il est. Autrement dit, il peut les communiquer artistiquement. « Mais, afficher ses positions à un moment aussi délicat, à une semaine seulement d'élections décisives et historiques pour la nouvelle Tunisie altère, profondément, cette indépendance », conclut Ezzedine Gannoun.