Ce n'est pas une question posée. Mais nous reprenons, en l'occurrence, l'exclamation dépitée et rageuse exprimée, avant-hier, par le ministre de la Santé dans son point de presse pour fournir aux Tunisiens ce bulletin quotidien sur l'état des lieux. Le Covid-19 continue sa progression satanique vers ce pic dont personne ne pourra prévoir l'ampleur. Une courbe exponentielle, irrépressible avec le peu de moyens logistiques dont disposent nos unités hospitalières. Cafouillages, par-dessus le marché, dès lors que des soldats de la noble armée des blouses blanches sont, eux aussi, contaminés, et c'est là la catastrophe. Médecins contaminées, personnel paramédical, personnel en charge de la maintenance et de la salubrité : un seul cas, et toute la chaine de la pandémie se met en branle. Ce qui s'est produit au CHU Habib Bourguiba à Sfax, à l'hôpital la Rabta, l'hôpital Charles Nicolle et la clinique de la Soukra révèle, à n'en pas douter, de monstrueuses carences organisationnelles. On a même vu-nécessité et désarroi obligent-un tube d'oxygène acheminé à un patient souffrant d'insuffisance respiratoire acheminé à travers une fenêtre aux urgences du CHU Sfax…. Dans la psychologie des sapeurs-pompiers En aucun cas, il ne s'agirait là, d'incriminer le ministère de la Santé, dès lors que le système de la Santé publique est ainsi fait qu'il ne pourrait réellement faire face, avec ses latentes carences structurelles, à un fléau d'une telle ampleur. En l'occurrence, redécouvre-t-on ce que l'on savait déjà. A savoir, très peu de CHU dans le pays, un nombre honteux de lits de réanimation. Il est évident que la poussée démographique de la population n'a pas induit l'implantation d'hôpitaux capables d'assurer une couverture sanitaire adéquate. Plutôt, une concentration d'hôpitaux dans la capitale, un seul CHU dans la capitale du sud, rien à Béja, rien dans le Nord-ouest et rien au sud du pays. Le Covid-19 vient confirmer cette déchirante réalité. Parce que le nombre d'hôpitaux est resté le même depuis Bourguiba, et parce qu'avec Ben Ali ça aura été l'excroissance des cliniques privées. C'est, là, le drame d'une santé à deux vitesses. Comme c'est le cas pour l'enseignement. Les plus nantis se font soigner, tandis que le bon peuple doit faire la queue, stresser le personnel médical, affluer du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest vers les hôpitaux spécialisés dans certaines pathologies (comme l'hôpital Salah Azaïez pour les tumeurs, ou encore l'hôpital d'enfants de Bab Sâadoun, idem pour la polyclinique de la CNSS qui, elle seule, dans le pays fournit les médicaments aux patients porteurs de pathologies lourdes et de maladies chroniques). Il est tout à fait normal, dans un tel contexte, que le parcours du patient doive être redessiné, que l'on procède au tri et que l'on préserve les services de réanimation et son personnel contre toute forme de contamination. Le cri de détresse des internes du CHU Habib Bourguiba à Sfax et qui travaillent au service de réanimation en constitue une forte alerte. Toute une nouvelle organisation. Une nouvelle approche. Et, déjà, l'hôpital Abderrahmane Mami de l'Ariana a été « réquisitionné » pour y installer un vaste service de réanimation, encore qu'il faille le pourvoir en nombre de lits suffisant et en nombre de respirateurs. Pour autant, le ministère de la Santé publique est, maintenant, dans la psychologie des sapeurs-pompiers qui voient le feu se déclarer partout et qui ne savent plus où donner de la tête. Relents daéchiens… Mais le « Où allons-nous ! » n'est, en aucun cas, un aveu d'impuissance de la part d'Abellatif El Mekki. Il tient à la rébellion d'une bonne frange de la population. Rébellion, c'est, en effet, le mot. A Oued Ellil, à Jebel Lahmar, des manifestations se sont dressées contre le confinement total, narguant le couvre-feu, narguant les forces de sécurité et les dispositifs de l'armée. Ils scandaient : « Allahou Akbar » dans le pur style du champ sémantique daéchiens. Une vidéo venant d'Egypte, mise en ligne par une secte obscurantiste et véhiculant des « fatwas » d'un autre âge a largement circulé sur la toile, impliquant Dieu dans une espèce de déni à l'endroit de la science. La religion musulmane, révélée au Prophète, avec ce premier commandement « Iqraâ », c'est-à-dire « Lis » est une aumône faite au savoir. Nulle autre religion que l'Islam ne glorifie autant le Savoir. Or, il n'y a pas que ces jeunes endoctrinés et, pour le moins écervelés. Bon nombre parmi nos concitoyens sont dans la superstition : « Dieu a créé ce virus en signe de rédemption pour l'Humanité. Et c'est lui qui va l'éradiquer ! ». Voilà ce que l'on déverse sur cette satanée toile. Et cela explique leur désinvolture, leur tendance marquée à la promiscuité, leurs attroupements dans les rues, leur non-respect des consignes les plus élémentaires et la violation systématique du couvre-feu. Les forces sécuritaires ont certes sévi : pas moins de mille infractions ont été enregistrées. Mais, c'est peu par rapport aux dépassements dont on s'imagine qu'ils sont légion dans les quartiers chauds du pays. Il y a donc deux aspects dans cette rébellion : l'un de type daechien et, l'autre, tenant à l'incivilité. A ces deux aspects s'invite un troisième : la superstition dont Victor Hugo dit qu' « elle porte malheur ». Au diable le Covid-19. Au diable la science. Au diable la médecine. Oui, « Où allons-nous ! »