*La femme ne pouvait pas se défendre étant dominée par l'homme, qu'il s'agisse de son père ou de son époux. Elle n'avait pas d'ailleurs le droit de choisir son mari et devait accepter celui que lui imposaient ses parents. En outre ce dernier avait tous les droits de l'admonester et de l'envoyer sur requête au Cadhi (le juge charaîque à l'époque) à « Dar Jwed » une prison de correction féminine, pour les manquements aux obligations familiales. Le professeur Baccar Ghérib ex-doyen de la faculté de droit de Jendouba, a fait paraître un ouvrage sur Haddad intitulé : « Tahar Haddad, une pensée de l'émancipation » dans lequel on peut lire entre autres : Le chapitre « Historiciser l'islam pour émanciper la femme » présente l'une des idées phares de Haddad : l'Islam a dû composer avec l'Histoire. L'Islam vise la liberté, l'égalité, la justice, mais il est arrivé dans un contexte, l'Arabie du 7ème siècle, où il a dû faire des concessions pour se faire accepter. Il a donc gardé l'esclavage alors qu'il est foncièrement contre, accepté la polygamie en la limitant et accordé à la femme un héritage, mais seulement en moitié. Pour Haddad, l'Islam se manifeste progressivement. Pendant les 22 ans de la révélation, il y a des versets qui ont été abrogés par d'autres. Si les mentalités évoluent, on peut faire accomplir la volonté vraie de l'islam, même en allant au-delà l'encontre du texte sacré. C'est l'idée de génie que Bourguiba a ensuite utilisé très intelligemment en 1956, avec le code du statut personnel. Pour Haddad, l'Islam est la révolution et la Jahiliya (ère préislamique) est le conservatisme. Dans la deuxième partie du livre figure une analyse du vécu social de la femme Tunisienne et de la domination masculine qu'elle subit. L'idéologie qui défend cette domination est l'Islam. Comment la femme peut-elle se défendre si le mari peut à tout moment la répudier ou se marier avec une deuxième femme ? Elle est désavantagée. Malgré cela, il y a des femmes rebelles, et Dar Joued (une prison de femmes) existe bien pour les "rééduquer". Cette partie rassemble des articles publiés depuis 1928 qui n'ont posé aucun problème et ne gênaient pas les cheikhs. Ce qui a posé problème est surtout l'introduction, et l'idée que l'Islam a composé avec l'histoire, donc qu'on peut dépasser la charia et même le texte sacré pour faire advenir sa volonté. Il frappe part là le cœur des cheikhs de la Zitouna, ainsi que leur intérêt matériel, leur aura… Ce scandale n'est pas seulement religieux : il s'agit aussi d'une lutte des classes et des générations. Par ailleurs, une grande partie des critiques relèvent du « chkounek enti » : d'où viens-tu, qu'est ce qui te légitime pour parler de ça ? Il est le plus grand intellectuel Tunisien du 20ème siècle. Tahar Haddad a résisté face à l'adversité et notamment face à l'opposition du clergé de la Zitouna, ce qui n'est pas le cas d'autres penseurs comme Ali Abderrazak en Egypte face à Al Azhar. Haddad nous apprend que pour réussir une réforme progressiste dans un pays, il faut qu'il y ait du local, un appui de la population. C'est ce qu'il apprend lors de la fondation du syndicat et ce qu'il applique dans "Notre Femme" : il faut que le projet paraisse interne à la société, sans sembler étranger à l'Islam ou à la société : il doit émerger de son legs. L'œuvre de Haddad, cheikh de la Zitouna, penseur de la réforme et de l'émancipation, pose une question intéressante: pourquoi la modernisation est-elle pensée et prise en charge par un traditionnel ? Pourquoi est-ce souvent le cas à travers le monde » ?