Dans ce roman haletant, Victor Hugo, n'est plus le poète, l'homme politique, le romancier, le plus célèbre opposant de Napoléon III, l'exilé de Guernesey, l'écrivain que tous les écoliers, les jeunes et les adultes, les spécialistes, les historiens, les politiciens, la classe ouvrière adulent ; dans ce volume hallucinant, fouillé qu'on avale d'un trait, il est élevé au rang d'une divinité pharaonique. Judith Perrignon, retrace la dernière semaine de la mort de Victor Hugo, un récit palpitant On est dans la troisième semaine du mois de mai 1885, il fait frais. Comme une trainée de poudre la nouvelle se répand à Paris, la légende du siècle, âgé de 83 ans, va rendre l'âme ; l'opinion publique apprend, par Le Figaro que le poète resta nu-tête et prit froid dans la cour de l'Académie le jour de la réception de son ami, Ferdinand de Lesseps. Les officiers de paix en faction devant l'hôtel particulier du poète, situé au 16e arrondissement, au 50 de l'avenue qui porte déjà son nom, récupèrent les bulletins de santé qui seront signés par le chef de brigade. Paris tremble, les crieurs de journaux annoncent la nouvelle, Hugo en train de mourir. Le Cri du peuple, journal de la capitale insurgée (crée par Jules Vallès), tire à des centaines de milliers d'exemplaires, les vendeurs à la criée essaiment dans la ville. Devant le domicile de Hugo, la foule est réunie devant la porte ouverte jour et nuit, un curieux mélange de personnes, tous sont venus aux nouvelles et pour les notables pour signer le registre de condoléances ; il y a là, le ministre des Affaires étrangères, « un général polonais invalide, célèbre dans tout Paris pour sa voiture traînée par deux moutons », des ouvriers tristes, des ouvrières qui ne le sont pas moins ; Le président de la République et tous les ministres font prendre des nouvelles. Les socialistes, les libres-penseurs, les anarchistes, les corporations convoquent des réunions, « ...à tous les étages de la République, on se réveille en se demandant si Hugo respire encore et si le pays ne va pas convulser ». Les journalistes se sont installés dans les cafés du quartier affutant leurs arguments ; le cours de l'Histoire pèse lourd en cette semaine ; le policier de service devant la maison de l'écrivain, fier d'accomplir cette tâche, note dans sa dépêche au préfet, la présence de 2000 personnes et beaucoup de voitures. Le député Lockroy, beau fils qui veille à l'étage où la Légende agonise, revient de l'Assemblée, la foule l'apostrophe, il feint de ne pas entendre, un cri fuse « L'agonie de Hugo appartient au monde entier, vous n'avez pas le droit de l'accaparer » Un informateur recense les faits et gestes des mendiants, des prostitués, des gavroches et des gueux, qui, en se mêlant aux anarchistes, aux socialistes et autres opposants, forment un danger social potentiel, guettant les moindres incidents pour se révolter. Quand au gouvernement de la IIIe République, il prend toutes les précautions et essaie de choisir la meilleure façon d'empêcher les débordements d'anarchistes, socialistes, radicaux et autres opposants, rappelant les engagements de l'écrivain pour la justice sociale. Une dernière supplique de Mgr Guibert, archevêque de Paris, révèle « ...Je me ferais un devoir bien doux d'aller lui porter secours et les consolations dont on a si grand besoin dans ces cruelles épreuves ». Mais dans ses derniers jours Victor Hugo a déclaré qu'il ne voulait être assisté pendant sa maladie par aucun prêtre d'aucun culte. Dans ce Paris du XIXe, peu connu des non initiés, on découvrira des fédérations influentes, des corporations actives, des cercles agissants, des partis opposés, des associations influentes et des personnages admirables, tels que Lisbonne, ancien soldat, colonel de la Commune, condamné aux travaux forcés, patron de L'ami du peuple, ou Lissagaray, directeur du journal La Bataille qui est de toutes les combats politiques et idéologiques, un opposant professionnel, qui à plus de cinquante ans n'a pas abandonné la lutte ni ses illusions, son credo « qu'il ne fallait pas prendre le temps d'être jeune, qu'il fallait être vieux à vingt-cinq ans pour ne pas être serf à trente ans. ». Hugo rend l'âme le 22 mai, dans l'heure qui suivit, les éditions spéciales remplissaient les kiosques. Honneur, honneur à Victor Hugo es funérailles ont lieu lundi, et non pas un jour férié, comme le réclamaient les ouvriers, et comme ils réclamaient aussi le passage du corbillard par la rive droite ; le cortège est à la hauteur du poète ; chaque groupe, académiciens, politiques, commerçants, communards, féministes s'organise pour occuper un rang dans l'interminable file, les rues sont noires de monde ; deux millions d'âmes, , "Le moindre balcon, la moindre marche d'escabeau se louait à prix d'or pour le défilé", note Judith Perrignon. Chacun brandit sa banderole, ou un écriteau avec ses vers préférés sur l'air de La Chanson des blés d''or, la foule chante : "Honneur Honneur à Victor Hugo". Judith Perrignon est ancienne journaliste (Libération), elle nous livre un roman enrichissant sur cette semaine exceptionnelle, où l'on apprend à travers les sources bien informées, que la police a infiltré tout le monde, elle a recruté des indics pour espionner les indics, des ouvriers pour moucharder les ouvriers, les anarchistes pour guetter les anarchistes, des journalistes pour surveiller des journalistes etc. L'auteure a épluché une somme impressionnante de documents aux Archives de la préfecture de Paris ; elle en a tiré le meilleur et nous le rend d'une plume fluide et captivante. On connaissait la gloire de Victor Hugo vivant, avec ce roman, on découvre le brillant récit de sa mort. Hamma HANACHI "Victor Hugo vient de mourir", de Judith Perrignon