"Dans la peau de ma maison" est le titre de la nouvelle installation de Ferdaws Chamekh. Cette artiste visuelle qui réside à Médenine se distingue et poursuit ses recherches sur le signe et le sens. C'est au Salon international de la céramique contemporaine que j'ai pu découvrir les textures qui naissent des mains de Ferdaws Chamekh. La troisième édition de ce salon organisé par l'Union des artistes plasticiens se poursuit jusqu'à la fin du mois et offre de nombreuses découvertes. Une artiste en pleine quête Si cette vaste exposition révèle une vérité, c'est bien celle qui affirme la vitalité d'un art en profonde mutation. Plusieurs artistes se sont ainsi emparés de ce jeu de la main et de l'argile pour accoucher d'oeuvres d'art parfois envoûtantes. Dans cet esprit, Ferdaws Chamekh est une artiste en pleine quête. D'abord sur le plan philosophique car elle pense son matériau dans son ontologie et sa prolongation par le geste des artistes. Quête esthétique aussi car cette artiste originaire de Médenine sait que toute argile se sublime et que toute tradition de dépasse. Quête technique aussi grâce à l'usage du verre et au recours à des fours qui ont leur part de secret dans les fusions que réalise cette artiste née. Faut-il le souligner? C'est de sa mère, femme des terroirs du sud-est, que Ferdaws Chamekh a reçu ses premières initiations. Enfant, elle modelait déjà des objets et sera toujours sensible à la magie de la création, à la capacité de faire passer un matériau d'un état à un autre. Sa pratique empirique la mènera tout droit à l'école des Beaux-arts de Tunis. Elle y recevra sa formation puis, tout en continuant à créer, elle se consacrera à l'enseignement. De l'Institut des Arts et métiers de Sidi Bouzid à l'Institut des métiers du patrimoine à Tunis, elle transmettra son savoir. Médenine, Sidi Bouzid, Tunis Convaincue qu'on ne finit jamais d'apprendre, le contact des étudiants et des artistes la poussait toujours vers l'avant. Puis ce fut le retour à Médenine où elle enseigne désormais à l'Institut supérieur des sciences humaines. Enracinée dans la terre natale, Ferdaws Chamekh ne pouvait que profiter de ce retour aux sources en bonifiant son rapport au patrimoine de toute une région. Artiste visuelle mais d'abord céramiste, elle allait se confronter à une tradition ancestrale en la sublimant de ses propres mains. Comme en témoigne l'oeuvre intitulée: Traces" avec laquelle elle participe au Salon international de la céramique contemporaine. Dans un carré presque parfait, elle quadrille de motifs carrés l'espace et le sature de signes. Parfois, elle laisse un fragment dénudé, solitaire, comme pour suggérer une évaporation. Ou alors c'est une touche de ce vert qui ne va jamais sans ocre, qui instille une tache subreptice. Quand la caresse devient un seuil interdit Cette oeuvre "Traces" préfigure l'installation intitulée "Dans la peau de ma maison". En fait, dans les deux cas, il s'agit du même dispositif à une variante près. Le support diffère mais l'approche modulaire et le récit fragmentaire découlent de la même esthétique. L'installation est non seulement spectaculaire mais aussi tissée d'une métaphore tactile. Car pour Ferdaws Chamekh, ce canevas qui porte des signes d'argile et de verre, n'est rien d'autre qu'un épiderme, une peau. La fulgurance qui a porté l'artiste est venue d'un constat d'impuissance. Depuis la pandémie, le toucher est relégué à la périphérie des sens. Comme une malédiction, on ne se touche plus; une caresse devient un seuil interdit dans un monde qui a aboli ses lexiques d'amour. Ainsi, c'est la nostalgie du toucher qui est représentée dans cette installation. Taraudée par cette perte, l'artiste compense en considérant sa maison comme une autre peau, une sorte d'épiderme protecteur et rassurant. Un corps vivant, inanimé et pétrifié Procédant par une mise en abyme, l'artiste induit ensuite que la terre comme matériau instaure un contact peau contre peau qui évolue de la main de l'artiste à la virtualisation de ce qu'elle construit. Toucher est essentiel: cette vérité saute aux yeux et structure l'argument de l'artiste. Il faut donc entrer dans la peau de la maison et l'habiter de ses propres rêves. Dans l'oeuvre de Ferdaws Chamekh, les pores respirent le souvenir et aussi les peines accumulées. Des traces de vies antérieures se glissent dans les pièces d'argile où sont celés les regrets, les nostalgies et les seuils d'une vie. Cette maison lourde est tout sauf amnésique. Elle vit de ce qui l'habite comme un corps vivant inanimé et pétrifié au sens étymologique du terme. Cette maison pétrifiée sur laquelle pèse comme un interdit tactile se transforme dès lors en une puissante métaphore du confinement. Sous nos yeux, une peau virtuelle qui ne peut se métamorphoser et reste comme suspendue dans un temps arrêté. Polyphonique, cette installation se prête à tant d'interprétations mais par essence échappe à nos mains. Une peau-maison d'argile et de talismans Actuellement exposée à la station d'art de Bhar Lazreg, cette installation est forte d'une signification globale car chacun de ses fragments est à la fois autonome et captif des autres dans une interaction fatale à laquelle nul ne peut échapper. C'est le jeu auquel nous invite le rébus que l'artiste place devant notre regard, espérant bien que nous participerons à la dissémination de l'oeuvre. C'est sur le toit de sa propre demeure à Médenine que Ferdaws Chamekh a d'abord installé "Dans la peau de ma maison". De là, elle entreprend une transhumance métaphorique à l'image des poètes de la Jahiliya. Car cette peau-maison, cet assemblage d'amour, de cendres et de talismans, nous dit aussi le lent ébranlement des caravanes, le fameux "rahil" des Mualaqats. Assurément, Ferdaws Chamekh a fait de nouveaux pas en avant dans sa pratique artistique. Au point de convergence du sens, du signe et de la forme fût-elle aberrante, cette artiste parfait son dispositif et se prépare pour sa première grande exposition personnelle. Jeune artiste de trente ans, participant à définir une vulgate artistique ancrée dans les terroirs sudistes, Ferdaws Chamekh a l'avenir devant elle. H.B