Tanit d'Or du meilleur court métrage aux Journées Cinématographiques de Carthage de 1994, «Le franc», moyen métrage (44') du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty, est le premier volet de la trilogie d'«Histoire de petites gens». Cette fiction tourne autour de la dévaluation du franc d'une manière burlesque à travers le personnage de Marigo. Le réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty avait décidé de réaliser trois moyens métrages sur les petites gens dont il faisait partie. Intitulée «Histoires de petites gens», cette trilogie n'a pas été bouclée suite au décès du cinéaste. Il n'a pu tourner que «Le franc» (1994) et «La petite vendeuse de Soleil». Il ne faut pas croire qu'avec ce deux moyens métrages, Mambéty fait dans le drame de la misère des humbles gens. Au contraire, il utilise l'humour, la fantaisie et le fantastique. Ainsi les aventures de Marigo, héros de «Le franc» sont assez burlesques. Marigo vit dans un taudis. Il doit de l'argent à sa logeuse. Cette dernière décide de lui prendre son instrument de musique, un congoma, en gage. Après avoir récupéré un billet de 1000 francs cfa (monnaie de certains pays d'Afrique de l'ouest) qu'un passant avait fait tombé, et, quelque peu, contraint par un nain vendeur de billet de loterie d'acheter un ticket. Ne sachant où le mettre dans sa masure, jusqu'au tirage au sort, Marigo le colle sur la porte, caché derrière le portrait de Yaadikoone Ndiaye, surnommé «le Robin des bois sénégalais», son héros. Le billet est gagnant. Marigo n'arrive pas à décoller le billet de la porte et décide de retirer cette dernière pour l'emmener à Lonase pour recevoir son prix. Mais là, on lui dit qu'il doit décoller le billet. Il se rend, suite à un songe dans lequel il voit Yaadikoon, qu'il assimile à un marabout protecteur, à l'océan pour y plonger la porte et décoller le ticket. A travers l'histoire de Marigo, Mambéty a mis différents sujets en exergue. D'abord, et avant tout, il rend hommage aux petites gens vaquant à leurs diverses occupations. L'on pourrait penser à un documentaire sur la vie d'une partie de la population dakaroise, celle la moins bien lotie : des vendeuses à la petite fortune, un jardinier, des gens sortant de la gare de Dakar, des personnes vaquant à leurs occupations, des cars rapides, etc. C'est une sorte d'hommage que le réalisateur le rend, lui qui les a côtoyés. C'est, aussi, d'une certaine manière montrer la réalité des lieux, de la vie, des gestes quotidiens qui se répètent indéfiniment. Une sorte de documentation. C'est parler aux spectateurs : d'abord à ceux qui connaissent ou qui font partie de ces gens, de cette réalité ; puis faire découvrir aux autres -aux étrangers- les réalités d'une certaine catégorie de la population d'un pays. L'on peut écrire que cette manière de penser, de voir les choses et de les filmer est une appropriation africaine des écrans africains à une époque où les films français et américains avaient la cote. Une manière de dire pour Mambéty, à l'instar de son personnage du nain : «Dévaluation. Consommez africain!». L'importance du nombre «555» Mambéty a opté pour une narration où l'on retrouve la tradition orale. «Le franc» est raconté comme un conte dans lequel le héros, miséreux et misérable, pourrait devenir riche ; un mélange de fantastique et d'irrationnel. Pour accentuer ce côté conte, il y a le personnage du nain ; un nain qui n'est pas sans rappeler Kouss, un lutin qui peut apparaître devant nous une calebasse remplie de richesses et si on arrive à lui prendre cette calebasse, à nous la fortune ! Ce nain qui vend le billet à Marigo lui conseille le ticket portant le nombre «555». Nous pensons que ce nombre «555» n'est pas fortuit. Ce sont trois chiffres 5 mis à la suite les uns des autres. Il n'est pas sans rappeler «666», le nombre de la Bête dans l'Apocalypse de Jean de Patmos. Mais là où «666» est maléfique, le «555» du moyen métrage est bénéfique. Beaucoup considère ce nombre comme un «chiffre angélique», bénéfique. Le chiffre 5 correspond aux sens, au corps de l'homme, mais aussi au monde occulte. Marigo est un mélange de cela : un corps d'homme, des sens en éveil malgré son air un peu perdu, et un monde occulte. Ce monde mystérieux et, à la fois, mystique se retrouve plusieurs fois dans «Le franc». Dès l'entame du moyen métrage, on voit les vague de l'océan puis on entend le muezzin. Marigo, après s'être lavé, rend hommage à Yaadikoone, qu'il considère tel un marabout protecteur, comme s'il rendait hommage à Dieu. Il va même jusqu'à cacher son billet de loterie derrière le poster de son idole, comme s'il voulait protéger son ticket et apporter sur ce dernier la bénédiction du «Robin des bois sénégalais». Quand il entend l'appel à la prière, le héros met une tunique, prend un chapelet, ouvre la porte de sa chambre, et égrène son rosaire comme s'il allait prier. Ce qui fait rire sa logeuse tant le parallélisme entre le poster de Yaadikoone et Marigot est burlesque. Ce qui est intéressant dans cette image c'est la mise en avant d'un phénomène qui perdure encore au Sénégal : l'attachement à un marabout -même si Yaadikoone n'est pas marabout, mais aux yeux de Marigo, il l'est. De nombreux de Sénégalais musulmans sont rattachés à des confréries qu'elles soient mouride, tidjane ou encore ibadou. Il n'est pas rare qu'ils se réfèrent aux représentants de ces confréries au lieu de se référer à Dieu. Par exemple, au lieu de dire «au nom de Dieu», ils diront «au nom de Sérigne (suit le nom du chef religieux)». Ils ont substitué ces personnages à Dieu. Cela fait partie du quotidien sénégalais ; un quotidien mis à mal par la dévaluation du franc cfa. Une dévaluation dont souffre le peuple. D'ailleurs, dans la séquence avec le car rapide, l'on peut entendre une chanson qui parle de la situation du pays après la dévaluation, appelée par certains «ajustement structurel», et par d'autres «dévalisation». Une dévaluation qui a touché tout le monde, et qui a fait empirer la situation des artistes ; un peu comme la Covid-19 actuellement. Chacun son époque ! Z.H