Une représentation immersive et troublante dans les méandres de l'âme humaine, là où l'obscurité fait progressivement place à la lumière lorsqu'elle fait part des émois d'une femme qui se libère à travers les mots ... Un texte contient sa propre théâtralité ; que dire alors d'un poème en prose qui fait tout le texte d'une pièce de théâtre qui subjugue par la beauté de son côté lyrique , empathique , bien ficelé , agencé à souhait pour suivre une intrigue et pleins de rebondissements qui donnent plaisir à voir et à entendre ! Et c'est tout ce qui fait cette pièce de théâtre inédite écrite par Fahmi Balti produite par El Teatro et mise en scène par Walid Ayadi. « Les fantômes de Salma » est un théâtre du poème et de la hantise des mots qui libèrent. Lorsque la lumière de la salle s'amenuise, il faut s'attendre à voir surgir ces fantômes des nuits troublées par les souvenirs entêtées qui hantent les esprits. Un médecin jonché dans son fauteuil de psychiatre, occupe une partie de la scène. Il feuillète des textes, dans une gestuelle répétitive dans un théâtre qui se joue de la répétition, la reprise, la hantise. Mais la scène n'est pas vide. Elle est occupée par le souvenir d'une femme, Salma, une patiente qu'il a connue, et examiné de près son histoire traversée par les fantômes qui la hantaient matin et soir. Une atmosphère irréelle, hors du temps s'installe. Chaque mot résonne à l'infini, chaque cri éclate comme une malédiction contre les forces maléfiques qui s'en prennent de cette femme au corps frêle. Arborant une robe blanche immaculée, Salma dont la chevelure longue et aérienne couvre tout le visage symbolisait la pureté d'une âme qu'on maltraite en la jetant dans les méandres du mal être, du vivre dans un monde hypocrite et cruel. Cette femme s'exprime en poèmes qui ne sont autres que l'expression pure et spontanée du monde qui l'entoure. Toute la fragilité humaine est là, bouleversante et infiniment riche de tous ces mots qui fusent et s'égrènent en poèmes en prose charriant peur et méfiance... Théâtre en liberté Ici le politique et le social viennent s'immiscer dans l'intime de cette femme qui vomit son existence mais qui s'affranchit de ses peurs et mal être à travers l'écriture. Les mots s'articulent et disent le monde, ses désillusions, ses émerveillements et nous allons de rebondissement en rebondissement pour suivre une intrigue qui consiste à rendre justice à cette femme jetée dans les méandres de l'incompréhension. Salma, à travers l'écriture, rêve, construit ses propres réalités, se délivre des carcans du réel et nous conduit de l'autre côté de la vie, dans des coulisses d'ombre d'où l'on ne revient pas. Dans sa réalité les fantômes sont bien là. Ils sont habillés en troubadours ou en tenue de gitane. Ils sont les diseurs de la bonne aventure, qui dans un temps révolu ont transformé les mentalités de leur amour courtois et de leur poésie jubilatoire qu'ils prononçaient au rythme des sons d'un instrument de musique à corde. Un autre clin d'œil à cette époque, puisque Salma aussi joue du Ud ( luth oriental) quand elle retrouve ses mots perdus, enfouis au fin fond de sa mémoire. Un intermède musical qui alterne le langage des mots avec finesse. Sa poésie est, par ailleurs, une poésie sur notre rapport à l'amour, amour de l'écriture qui libère, amour charnel et ses feux ardents qui brûlent ceux qui s'y approchent... son médecin, bien entendu, qu'elle aime d'un amour passionnel. Les « fantômes de Salma », son texte addictif est, au final, une invitation aux corps déliés à alterner langage corporel, sensuel à la fois énergique et vivant. C'est notre coup de foudre de cette période de retour à la vie culturelle. M.B.G.