Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
« Décidez-vous ; osez ouvrir le débat, l'élargir et faites vite, car le temps risque de banaliser votre discours » Questions de l'heure : Le RCD et les partis de l'opposition peuvent-ils relever le défi du réformisme ? Interview de Moncef Chebbi, membre
Notre invité, aujourd'hui, est Moncef Chebbi, membre de la Chambre des Conseillers et membre du Bureau politique de l'Union Démocratique Unioniste (UDU). Jeune il a adhéré à plusieurs partis politiques et a été membre actif de l'Union Générale des Etudiants Tunisiens (UGET) à la fin des années 60. Fin observateur de la scène politique nationale, il nous parle ici du paysage politique actuel, des attentes de l'année 2008 et évoque aussi la situation du monde arabe et les perspectives d'avenir. Interview.
• Le Temps : Vous avez une longue carrière politique, décrivez-nous le paysage politique actuel ? -Moncef Chebbi : Sur la scène politique nationale l'évolution est palpable même si elle n'implique pas un renversement du rapport de force entre le parti au pouvoir et les partis de l'opposition. Si certaines structures du parti RCD ne manifestent pas beaucoup d'enthousiasme à l'égard du message réformiste du Chef de l'Etat et des rythmes qu'il propose pour une ouverture sur « les forces vives démocratiques et nationales » pour une grande cohésion des forces du changement, et une plus grande efficience de l'action politique, elles ne sont, malheureusement, pas les seules à traîner les pieds, d'autres forces habituées aux débats stériles et prisonnières de leurs penchants intellectuelles refusent de saisir les opportunités historiques qui s'offrent à elles et au pays, et demeurent cloîtrées dans un champ de revendication totale et extrême héritée des rêves révolutionnaires et complètement inapte à la moindre interactivité. Nous sommes face à trois grandes écoles qui gagneraient toutes les trois à réviser leurs démarches. Tant à l'égard du pouvoir que chacune à l'égard des deux autres. Ceux qui répètent depuis des décennies que le tableau est complètement noir, que rien n'a été fait, que la richesse nationale est accaparée par une classe, que les paramètres des services sociaux sont à la baisse, en quantité et en qualité, ceux-là devraient ouvrir les yeux et tenir compte des données réelles du contexte international au sein duquel nous évoluons avec un baril de pétrole à 100 dollars et une tonne de blé dont le prix à plus que doublé en un an. S'ils sont ultra-minoritaires à l'échelle nationale c'est à cause de cette vision anachronique dans un pays dont la population bénéficie, même si c'est à des degrés divers, d'un accès de plus en plus important à la consommation et aux services. Leur appréciation concernant les dangers qui guettent la souveraineté nationale est également excessive la spoliation de notre indépendance et de notre pouvoir de décision n'est pas à l'ordre du jour, même si les dangers qui nous entourent peuvent être l'occasion pour les impérialismes mondiaux et régionaux de manifester leur appétits vis-à-vis d'un pays qui monte, qui génère de la richesse, cette école extrême devrait se demander si par certaines démarches, elle n'affaiblit pas la marche nationale et ne crée pas des occasions, et les opportunités, pour ces prédateurs internationaux interventionnistes par essence sous des couverts légalistes et même humanitaires, d'interférer sur nos politiques. Cette école qui compte dans ses rangs des patriotes, des militants devrait se poser des questions sur son propre étiolement, son affaiblissement, son rachitisme. Cela pourrait la ramener dans un premier temps au débat dans le cercle des autres oppositions, celle qu'elle gratifie du sempiternel chapelet qui cache sa propre faiblesse. Je voudrais, également, évoquer l'école de ceux qui adoptent face aux réalisations de notre pays et ses politiques des pratiques partisanes, une attitude béate, sans le moindre discernement, ceux qui n'ont pas assez de clairvoyance pour distinguer les zones d'ombre ou qui n'ont pas assez de courage politique pour dire le fond de leur pensée. Ceux-là finissent par nourrir les questions qui se posent sur leur utilité, leur fonction, car, s'ils doivent dire que tout est bien, qu'ils sachent qu'il existe des forces qui peuvent le faire, qui le font mieux qu'elles, et qu'elles ne rendent aucun service au pouvoir à le paraphraser, à le singer, à s'insinuer dans ses tissus et à s'attarder dans ses couloirs. Leur place est ailleurs, dans l'écoute de la revendication nationale pour améliorer encore et toujours le rendement de l'Etat. Cette perspective réformiste n'est intéressante que si nous contribuons tous à en définir les termes, les objectifs, les moyens, les délais, etc... Voilà une tâche nationale à laquelle nous devrions atteler nos forces avec énergie pour contribuer à tirer vers l'avant ce train déjà en marche et non nous contenter du confort des wagons qu'il emmène. Il me paraît nécessaire de noter l'émergence d'un courant qui se désolidarise de l'école extrême sans adhérer à la démarche de la seconde école. J'ai du respect pour ses principaux acteurs mais je tiens à remarquer qu'on ne construit rien en se démarquant de tout le monde, il faut apprendre à construire ensemble. Or, ce courant émergent semble dire à l'Etat ou plutôt au pouvoir : « les uns sont des extrémistes, les autres sont des larbins et nous sommes les seuls à pouvoir t'apporter quelque chose ». Ce discours est propre aux phases de transitions. Ceux qui le portent aujourd'hui n'en sont pas les auteurs. L'histoire de notre pays pullule de telles attitudes qui, pour être sincères, n'en sont pas moins stériles. Car, si le pouvoir le prenait pour argent comptant, il serait déçu en fin de compte de se trouver face à des individus sans structures, des généraux sans armées, alors que la logique du pouvoir est d'agglomérer de forces dans la perspective de la construction nationale. Je voudrais dire aux acteurs de ce courant : « décidez-vous, osez ouvrir le débat, l'élargir et faites vite, car le temps risque de banaliser votre discours ».
• Qu'espérez-vous pour l'année 2008, justement dans ce domaine ? -Je souhaite que la réforme se poursuive, que ses rythmes s'accélèrent, sans s'emballer, (le temps de la digestion ne peut se réduire), que les débats entamés fin 2007 suivent une courbe ascendante, qu'ils s'élargissent à des forces et à des domaines plus nombreux, à tous ceux et toutes celles qui acceptent la règle démocratique, à tous ceux et toutes celles qui expriment le désir de mettre la main à la pâte, qui respectent l'effort fourni et la symbolique républicaine. Car, ce sont des débats enrichissants et prometteurs que nous voulons et non des joutes oratoires, sans rapport à ce qui a été fait, à ce qui mérite de l'être, des débats politiques guidés par le seul intérêt national cela aiderait à décrisper l'atmosphère et à soutenir l'effort de construction nationale. C'est dans cet esprit que le dernier Congrès de l'UDU, tenu à Djerba, en mars 2006, a proposé la mise en place d'un Conseil supérieur du dialogue national, un peu pour pallier à l'absence du défunt « Pacte national ». Je demeure persuadé qu'un dialogue transversal impliquant les oppositions démocratiques et nationales peut engendrer une réelle dynamique d'échange et d'interaction avec le pouvoir. C'est de là que peut naître l'équilibre dont à besoin la scène politique nationale, un équilibre générateur de stabilité et de progrès.
• Quels genres de réformes aideraient à décrisper l'atmosphère comme vous le dites ? - De nombreux groupes désirent se constituer en partis politiques légaux. 2008 pourrait bien être l'année de leur légalisation pour qu'ils se préparent aux échéances de 2009, du moins ceux parmi eux qui sont susceptibles de respecter sans les modifier les règles démocratiques, ceux, également, dont l'identité politique ne souffre aucune équivoque. J'espère que 2008 sera aussi l'année qui ouvre une nouvelle ère, après vingt ans de changement et de mise en place des bases d'une économie solide et performante, d'une grande intégration des classes sociales, des régions, des secteurs, il est permis d'espérer que nous entamions une marche résolue vers une meilleure répartition des fruits de la croissance. Nous devons achever le combat contre la pauvreté, l'analphabétisme. Nous sommes sur le point de les vaincre, faisons un dernier effort. Nous sommes, malheureusement, encore à l'époque de la domination euro-américaine et l'année 2007 n'a pas échappé à la règle de l'interventionnisme américain, partout dans le monde, par les moyens militaires ou par ceux de la pression politique. Depuis la chute de l'URSS et malgré l'émergence de nouvelles puissances, le monde est toujours sous la menace du pôle occidental, dont la gourmandise n'a pas d'égale. Telle est la marque essentielle des relations internationales. Tout est régi selon les besoins de l'Occident en matières premières, en sources d'énergie, comme si le monde devait se figer sur l'opulence d'un côté, la pénurie de l'autre, le confort d'un côté et la misère de l'autre. Et bien, évidemment, on nous sert de plus en plus fort le discours humanitaire, cette source qui agrémente le pillage des richesses mondiales, qui recouvre le sang et les larmes et prétend panser les blessures de l'humanité. Dans cette macabre mise en scène, tout le monde a remarqué le jeu en retrait de la puissance anglaise soumise à des impératifs de politique interne et le retour en force de la diplomatie française, rationaliste et agressive médiatique et crâneuse, débarrassée des entraves formelles comme si elle bénéficiait d'un blanc-seing, d'un feu vert américain. La puissance allemande qui était restée longtemps sur la retenue par rapport aux conflits internationaux, a été forcée de se mêler du marasme oriental. Liban, Afghanistan et peut-être d'autres perspectives qui pourraient coûter de plus en plus cher au contribuable allemand. La Russie et la Chine continuent de privilégier leurs objectifs de développement et de rattrapage du retard technologique et économique qu'elles ont accumulé par rapport à l'Occident et n'entendent pas se mêler de sitôt aux conflits en cours, leurs seules réactions restent limitées aux situations qui risquent de porter atteinte à leurs marches ou à leurs sources d'approvisionnement. Il serait, donc, irréaliste d'espérer que la Russie ou la Chine s'opposent, en l'état actuel des choses, à l'impérialisme américain, en Afghanistan, en Irak et même au Liban ou, éventuellement, en Iran. Par contre, la Chine n'acceptera pas facilement l'interventionnisme occidental en Afrique où ses intérêts stratégiques sont de plus en plus évidents.
• Parlez-nous de la situation dans le monde arabe. -A l'échelle du monde arabe, 2008 pourrait enregistrer comme les années précédentes, un renforcement des résistances à l'impérialisme, en particulier à l'injustice et à la gourmandise de ceux qui prétendent instaurer la paix dans le monde. J'ai parlé de résistance comme c'est le cas en Irak, en Palestine, au Liban et ailleurs, mais j'ai du mal à imaginer que nous puissions enregistrer le moindre progrès dans l'élaboration de politiques nationales, anti-impérialistes et pré-unitaires. J'espère me tromper. Nos peuples, de l'Atlantique au Golfe persique appellent ce rapprochement entre les Etats arabes, de leurs vœux. Ils comprennent l'intérêt qu'ils peuvent tirer d'un resserrement des liens, des rangs, de la création d'un marché arabe, du développement des échanges inter-arabes. Malheureusement, les actuels dirigeants sont trop préoccupés par la comptabilité des pétro-dollars, ils commencent à peine à s'éveiller à l'utilité, à l'urgence, à la rentabilité des investissements dans le monde arabe. J'émet le vœu qu'ils viennent en masse, en Tunisie, sinon ailleurs, partout dans le monde arabe, où des travailleurs, des cadres, des ingénieurs compétents, sont en chômage, qu'enfin se marient les moyens financiers énormes et les moyens humains colossaux dont dispose la nation arabe. Il y a peut être une chance historique à saisir. La Tunisie l'a compris, il faudrait que l'élite politique arabe s'attèle à la tâche pour ne pas rater le coche, pour mettre un terme à la balkanisation des forces, des moyens et même des perspectives. Interview réalisée par Néjib SASSI
* Nous sommes face à trois grandes écoles qui gagneraient toutes les trois à réviser leurs démarches. Tant à l'égard du pouvoir que chacune à l'égard des deux autres.
* Un dialogue transversal impliquant les oppositions démocratiques et nationales peut engendrer une réelle dynamique d'échange et d'interaction avec le pouvoir.
* Nous devons achever le combat contre la pauvreté, l'analphabétisme. Nous sommes sur le point de les vaincre, faisons un dernier effort.
*Les actuels dirigeants sont trop préoccupés par la comptabilité des pétro-dollars, ils commencent à peine à s'éveiller à l'utilité, à l'urgence, à la rentabilité des investissements dans le monde arabe.