Les rues sont désertes. Pas un chat, pas une voiture, pourtant ce n'est ni un jour férié ni un soir de tempête. Seuls, animés et pleins à craquer, les cafés qui diffusent le match de foot opposant la Tunisie au Cameroun. On connait l'effet des championnats et des coupes sur les fans du foot mais cette année, la CAN passionne encore plus de gens grâce notamment à la « sur- couverture » médiatique (tv, radio, journaux) et en raison du suspense et mystère qu'ont appris à cultiver l'équipe nationale et son imprévisible entraîneur. Des dizaines de voitures garées devant le café. L'écran plasma, l'abonnement au superpuissant bouquet satellitaire qui a souvent l'exclusivité et le commentateur hors du commun, des ingrédients qui attirent les clients. Une diffusion terrestre ou un écran de l'ancienne génération sont moins attractifs, du coup tous les cafés ont mis le paquet et se sont rabattus même sur l'abonnement réservé aux particuliers (petite astuce). D'autres cafés restos offrent carrément le spectacle avec rétroprojection géante ! Plein la vue. Cela fait longtemps que la télé dans les cafés a fait ses preuves en tant qu'élément marketing efficace, distraction idéale pour le type qui s'ennuie avec sa fiancée devant un café depuis des heures ou bonne occasion de regarder des rediffusions de matches inédits comme le championnat anglais. Les propriétaires sont emballés par cet engouement qui a doublé leur clientèle. Une heure avant le match et le café est déjà plein. A l'arrivée, on nous annonce que certaines tables sont réservées, les meilleures places. Une place ici à cette heure- ci vaut de l'or, on se contente alors de n'importe laquelle. Les discussions sont très animées et l'excitation est générale. On analyse et on critique et on se la joue un pro en tactique et un as des 4-4-2 et autres combinaisons... D'un coup, silence total comme si un ange passait, le terrain vert apparait sur l'écran. Les têtes sont vissées dans une direction unique, la concentration est au maximum. Le capucin refroidit peu à peu et les mains crispées se désintéressent des tasses. Les regards pleins d'émotion, les nerfs à vif, la tension règne. Les remarques enragées fusent d'un peu partout « mais que fait ce débile ! La passe est trop nulle ! C'est quoi ce charabia ! » A peine dix neuf minutes et les camerounais marquent un premier but qui jette une chape de plomb sur l'ambiance. La peur se lit sur les visages et les supporters craignent le pire...qui finit par arriver quelques minutes plus tard. Un deuxième but qui laisse penser que les aigles de Carthage se font massacrer et diminue l'espoir de la qualification. Les filles qui normalement « ne comprennent rien au foot et se demandent pourquoi tous ces hommes courent derrière un seul ballon » ont leur mot à dire et essaient tant bien que mal de juger la position d'un joueur ou ses réflexes. A quelques minutes de la mi-temps, les nôtres Tunisiens marquent un but. Euphorie générale et le public se lève emporté par un heureux soulagement et les cris de joie montent. La période d'arrêt est l'occasion de décompresser et souffler un peu malgré la tension et la nervosité. La reprise est marquée par le stress total, le suspense et l'espoir. Il fait chaud et les visages sont déjà rouges de pression et de ferveur. Le but d'égalisation met du baume au cœur et entraîne une grande joie auprès des spectateurs qui crient en même temps avec le bruit des chaises bousculées de leur place causant un énorme boucan. Mais les dés ne sont pas jetés. Il a fallu jouer les prolongations avec toute son incertitude pour que... le Cameroun sorte vainqueur. A peine le match terminé, le café se vide en un clin d'œil, plus personne. Les supporters ont quitté ce lieu de rencontre , tristes et déçus, en colère « contre l'arbitre qui a n'a pas été totalement impartial » selon un supporter, et en désolation pour « l'équipe nationale qui a vraiment bien joué ». Le foot est le maître du jeu et le puissant phénomène qui prend de plus en plus de place dans la société et l'espace médiatique tunisiens. Analyses et vrais débats télévisés, critiques et révélations anti langue de bois, le foot bénéficie d'un traitement de faveur. La culture footballistique des petits, des jeunes, et des adultes suffirait à rendre une équipe de la cinquième division une championne du globe !