Les stratégies obliques de la géostratégie laissent planer la hantise - chez l'Occident – d'un rapprochement entre la Russie et l'Iran, contre-poids, selon Jean Daniel, aux flirts entre les Etats-Unis et la Chine. Autant d'extrapolations, de spéculations sur les motivations réelles de la Russie après la foudroyante démonstration de force en Géorgie. Un besoin récurrent, étouffé dix neuf ans durant de reconquête ? Le premier conseiller de l'Ambassadeur de Russie à Paris, a eu cette formule symptomatique, crûe : « L'Ukraine c'est nous », sur le plateau de « Mots croisés », avant-hier soir. Il a aussitôt cherché à l'assouplir dans la forme, mais dans le fond, cette formule reflète le sentiment diffus chez les Russes et la conviction profonde de l'oligarchie poutinienne au pouvoir. Peut-être bien, vraisemblablement même, soutenu par Washington, le président géorgien paie cher une témérité pour le moins suicidaire. Et par surcroît, il offre le prétexte providentiel au duo Poutine-Medvedev, de déclencher, sinon, une deuxième guerre froide, du moins de rappeler aux deux Occidents que la Russie n'entend en rien renoncer à son aire d'influence. Avec l'avènement de Poutine à la présidence, il était clair que la Russie se préparerait calmement à reconquérir sa place de prédilection sur l'échiquier international. Car il y a toujours eu comme une blessure saignante dans l'âme russe depuis l'éclatement de l'Empire. Un orgueil écorché, une stature réduite au rôle de spectateur dans une planète unijambiste. Avec le coup de la Géorgie, les Russes renouent avec leur leitmotiv de jadis : « L'impératif géographique ». Et forts du conforts que leur procure la manne énergétique, voilà qu'ils risquent de diviser des deux Occidents (l'Europe et Amérique). Les Etats-Unis accusent Moscou de « réminiscences belliqueuses », alors que durant les 19 dernières années, l'effort militaire russe est pratiquement le 1/10e de celui des Américains. De leur côté, les Russes ne sont pas très inspirés en accusant les Américains de nettoyage ethnique, car ce qu'ils ont fait en Tchétchénie en est un. Mais pour l'Europe, la donne change. Il est établi que la super active diplomatie française a fait reculer une guerre froide d'un type nouveau. Sarkozy a eu le mérite de brandir des arguments qui ne laissent pas les Russes indifférents. Ceux-ci ont, peut-être, raison de s'inquiéter que le bouclier de l'OTAN se creuse de plus en plus vers l'Est, jusque dans leur aire d'influence. Du coup, les spéculations majeures tournent autour de l'Ukraine, là où se trouve le véritable arsenal nucléaire de l'ancien empire... Et c'est là que le président français a subtilement expliqué aux Russes que leurs intérêts sont dans l'Europe Occidentale, dans le cadre d'un véritable partenariat, et non plus dans la logique coercitive d'une dépendance énergétique vis-à-vis de Moscou, et de la méfiance mutuelle caractérisant les rapports entre les deux blocs. Brezinski, l'ancien chef de la diplomatie de Carter, tient mordicus à sa thèse de toujours et qui veut que l'objectif de la Russie se confond dans celui de l'URSS de jadis : s'ouvrir un accès aux « mers chaudes », c'est-à-dire, l'Océan indien et le golfe Persique ». L'Europe Occidentale n'est pas de cet avis. On craint plutôt la résurgence de l'ancien empire quoique sous une nouvelle configuration. Et c'est dans ce sens que les Démocraties Occidentales révèlent toute l'acuité de leur myopie politique. Elles n'ont pas su soutenir Gorbatchev. Elles ont laissé Eltsine enfoncer la Russie dans un marasme social sans précédent. Elles n'ont pas compris qu'une Russie trop faible est aussi dangereuse pour l'Occident qu'une Russie trop forte.