A voir les copies des élèves, il y a de quoi s'inquiéter sur l'avenir du français dans nos écoles. Le langage des blogs, les mots envoyés via MSN ou par SMS envahissent de plus en plus les productions écrites de nos élèves : des mots coupés, des abréviations, des transcriptions phonétiques et même des « néologismes » fabriqués de toutes pièces, du bilinguisme et des anglicismes à outrance... Une révolte contre les règles de la langue ! Tout cela met les profs dans un grand embarras à tel point qu'ils n'arrivent pas à déchiffrer ce « langage codé » qu'ils retrouvent fréquemment dans les devoirs des élèves ! Et pourtant, ce langage, utilisé comme nouveau code linguistique, est facilement compris entre les élèves comme si cela constituait une langue tout à fait spécifique aux jeunes, une sorte de démarcation vis-à-vis des adultes. Pauvre langue de Molière qu'on voit chaque jour se dépouiller de ses nobles règles syntaxiques et orthographiques que les puristes ne cessent de défendre ! En vain ! Ce phénomène n'est pas propre à la Tunisie, mais il existe un peu partout dans les pays francophones, y compris la France où un cri d'alarme est lancé pour sauver la langue française de ces nouveaux modes d'expression (à l'oral comme à l'écrit) qui constituent une menace surtout pour la langue académique, celle qu'on enseigne dans les écoles ! Quand on sait que la langue française connaît déjà une grave régression depuis quelques années chez nous, il y a de quoi s'inquiéter ! Alors que certains, sans vouloir verser dans l'alarmisme, voient dans ce phénomène une évolution naturelle de la langue ; d'autres, en revanche, dénoncent avec véhémence ces écarts par rapport aux normes de cette langue qui s'est imposée à travers les siècles en passant d'un statut de langue officielle de l'administration pour devenir la langue littéraire par excellence et se répandre à travers les siècles dans tous les milieux cultivés en tant que langue internationale de communication. Il est vrai que, chez nous, le français, en tant que matière enseignée dans nos écoles, s'est vu attribuer des statuts différents, d'abord considéré comme la deuxième langue officielle véhiculaire des connaissances scientifiques et techniques en passant pour une langue fonctionnelle répondant à des besoins pratiques et des situations vécues par l'apprenant pour devenir, selon les derniers programmes officiels, une langue étrangère, tout comme l'anglais ou le chinois. Ce changement de statut a été accompagné par de nombreuses réformes successives concernant les manuels scolaires et les méthodes pédagogiques relatives à l'apprentissage de cette langue, ce qui a fait de nos élèves des cobayes de laboratoire dont on se servait pour expérimenter les nouvelles réformes. Résultat : la nouvelle génération, victime de ces nombreuses fluctuations pédagogiques, souffre aujourd'hui d'une faiblesse flagrante au niveau de l'expression française (orale ou écrite). Le recours de la plupart des élèves au nouveau langage provenant de leurs communications via internet et téléphone portable explique bien cette tendance chez les élèves d'aujourd'hui à se libérer des contraintes linguistiques (grammaire, conjugaison, orthographe...) qu'ils ne sont pas capables de maîtriser et qu'ils considèrent comme des obstacles à une communication libre, rapide et plus facile. Ils se trouvent ainsi plus aisés en écrivant dans leurs blogs ou en conversant avec leurs copains à travers leurs chats sur MSN, sans aucun souci de règles ou d'exceptions établies par la langue ! Cela se fait sans doute au détriment de l'apprentissage de la langue française qu'ils reçoivent à l'école et qu'ils jugent trop livresque. Où sommes-nous des élèves des années 60 ou 70 qui employaient dans leurs écrits un registre de langue soutenu, comme celui des écrivains, et un style clair et bien soigné dans un vocabulaire assez riche, sans erreurs ni ambigüité. L'élève d'aujourd'hui n'hésiterait pas à insérer quelques graphies dans ses écrits scolaires comme par exemple « klk 1 » pour « quelqu'un » ou « coi 2 + beau ? » pour « Quoi de plus beau ? », ou encore « Con pe ton fer 7 parti ? » pour « Quand peut-on faire cette partie ? ». De telles transcriptions phonétiques de la langue pourraient certainement intéresser plus d'un linguiste pour des recherches approfondies sur ce phénomène mais ne font que hérisser les cheveux d'un enseignant de français soucieux de rectitude et de pertinence ! Ce qui fait déborder le vase, c'est qu'aujourd'hui l'emploi du langage des SMS et des MSN se présente comme un remède aux différentes carences dont souffrent nos élèves en matière de langue en créant ainsi un nouveau registre de langue beaucoup plus inférieur que les registres déjà connus (soutenu, courant, familier), c'est un nouveau jargon à part qui a ses propres outils et qui fait convertir de nombreux adeptes. Si la pratique de ce nouveau jargon, basé sur l'économie des signes, s'arrête au niveau des communications entre ces jeunes via internet, l'on peut attribuer le phénomène à la nature de la vie moderne où tout est empreint de rapidité, de ponctualité et de connivence. Mais que cela s'étende jusqu'aux devoirs scolaires (surtout les productions écrites) ne saurait être excusable, surtout qu'un minimum de fidélité et de rigueur doit être respecté dans nos rapports avec la langue. Céder à de tels écarts de la langue française, c'est porter atteinte à son intégrité, à ses principes et à son originalité. Nous ne faisons pas l'éloge de la langue de Molière ; loin s'en faut. D'ailleurs, pas mal de langues officielles, académiques souffrent de ces écarts dus à l'introduction massive par les jeunes d'un nouveau système de communication qui fait fi des règles du bon usage apprises à l'école. Et nous ne sommes pas non plus en mesure d'apporter des solutions à ce problème qui prend de l'ampleur dans le monde entier. C'est avant tout l'apanage des académies des langues et des pédagogues ! Cependant, quand on sait que le ministre de l'Education canadien, sous prétexte que l'orthographe française présentait des difficultés énormes pour les candidats aux examens nationaux, avait pris l'année dernière une mesure « draconienne » en donnant des instructions aux correcteurs des examens nationaux de ne plus tenir compte des fautes d'orthographe dans les copies des élèves, n'est-ce pas là des concessions faites pour contenter la masse d'élèves canadiens au détriment de la langue française ? N'est-ce pas là un encouragement à la déviation ? Quant à nous, en Tunisie, on a bien peur qu'un jour, une mesure semblable soit prise, sous prétexte que nos élèves sont faibles en français et que la langue française est à l'origine de l'échec de beaucoup d'élèves ! Ce serait une aberration !