Il y a à déplorer un snobisme de deuxième et de troisième main qui tend à se généraliser dans notre société et qui amène certains, parfois inconsciemment, à croire qu'en agrémentant leurs discours ou leurs productions écrites de quelques mots et expressions autres qu'arabes, ils ont plus de chances d'en imposer à leur entourage. Or, comme leur connaissance de la langue étrangère utilisée est plutôt limitée, ils commettent souvent des erreurs de prononciation, d'orthographe, de langue et de construction des plus cocasses, de vraies perles en fait comme nous allons l'illustrer avec des exemples vivants que vous pouvez bien entendu enrichir.
« Strictire initile » La prononciation de la voyelle « u » est pour beaucoup de Tunisiens la plus dure de toutes les épreuves qu'on puisse leur faire passer ; ils ont beau fournir des efforts et des distorsions embarrassants pour ne pas la confondre avec le « i », ils prononceront toujours « strictire » pour structure, « débit » pour début et « c'est initile » au lieu de « c'est inutile ». Pour d'autres, c'est le phonème « eu » qui leur empoisonne la vie : une infirmière que nous avons contactée pour un rendez-vous avec le médecin chez qui elle travaillait, fixa la consultation pour « le dé dé » ; elle voulait dire le 2- 2 c'est-à-dire le 2 février prochain. Un garagiste qui prétend toujours s'y connaître en « pintire », proposa à son client de lui changer la « coulère » de sa voiture pour la rendre vert « natire » après avoir longtemps été bleu « cienne » ! Il n'oubliera pas non plus de lui nettoyer le « chakmon » et de réparer le « jointe kilasse » et quand tout le « travail » sera terminé, il en informera le client par un « appène » sur son portable !
En « coulères » ! Sur les enseignes des boutiques et magasins des villes, les maladresses sont récurrentes dès que le propriétaire se prend pour un Français de souche : il écrit par exemple qu'il est « horlogier », « plonbier », « quinkailler », qu'il tient un « sallon de coiffur », sa voisine précise qu'elle coiffe seulement les « dammes ». Plus loin, un autre commerçant se trompe sur l'orthographe correcte de son propre nom et mettra en majuscules et en « coulères », L'abidi au lieu de Labidi ! A côté, on annonce une offre « promotionnel », pendant que quelques mètres plus loin, on liquide le magasin et l'on met « tous à vendre ». Une laverie située dans le même quartier rappelle à ses clients qu'on y nettoie aussi les vêtements « dain » au même moment où le lunetier d'en face apprend aux passants qu'il consent une baisse considérable sur « tous les montures ». Sur le mur d'une autre boutique, on annonce que le local est « vandit » (entendez vendu) après avoir été à « vondre » ! Un habitant de la même rue écrit pour sa part « deffonse de stationner » sur la porte du garage, tandis qu'un restaurant propose dans son menu « un steak au œuf » (c'est authentique, nous avons l'adresse pour ceux que cette grillade tente), et des « aricots » pour la sauce d'accompagnement ! Une grande surface sise à côté du bar « L'Esarcades » promet aux acheteurs « le meilleur qualité + prix ».
Théâtre « Rhomin » de Carthage ! Les affiches que l'on colle partout maintenant recèlent des trésors en matière de coquilles, mais ce qui nous a désagréablement surpris ce sont les incorrections relevées sur les avis et annonces émanant de ministères et d'organismes étatiques censés être plus attentifs aux textes placardés dans les administrations et les lieux publics : par exemple, pour annoncer l'organisation le 6 septembre dernier d'un gala réunissant plusieurs vedettes nationales et étrangères, l'Amicale des fonctionnaires et agents du ministère des Affaires sociales, de la Solidarité et des Tunisiens à l'étranger précisait que la manifestation se tiendrait au Théâtre « Rhomin » de Carthage ! Un autre affichage destiné à informer les citoyens sur la date de la Journée Nationale de Solidarité pour l'année 2008 précise en anglais que celle-ci est fixée pour « Mandey 1st december », au lieu de Monday... ! Le message écrit dans la langue de Shakespeare était-il destiné aux Tunisiens qui vivent en Grande-Bretagne et dans les pays anglophones ? Dans ce cas, il est implicitement supposé que ces derniers ne comprennent plus la langue de leurs ancêtres, et cela peut être tenu pour une offense ! A moins que l'affiche n'invite aussi les touristes anglophones à prendre part à la collecte nationale au profit des « zones de l'ombre », mais alors pourquoi pas les autres étrangers qui aiment tout autant notre pays !
Dégâts irréparables ! A propos d'étranger, nous ne finirons pas cette modeste réflexion sans évoquer une liste de recettes culinaires qui accompagne des bouteilles d'huile d'olive tunisienne dont une partie est destinée à l'exportation. Il s'agit d'un dépliant de plusieurs pages truffées de maladresses et d'incorrections dont voici un court inventaire : « procéder par couper le pain en rondelle assez fines », « battre a nouveau », « cuillère a soupe », « commencer par tromper les tranches de pain », « couper les tomates épépine » (pour épépinées), « les laisser égoutté », « à laide », car il faut « la retournéé sans faire de dégâts »... Des dégâts, il y en avait malheureusement pour la langue de Voltaire qui désormais a bien besoin sous nos cieux d'un miracle pour retrouver la place privilégiée qu'elle occupait naguère, à l'époque où le titulaire d'un simple brevet parlait et écrivait le français mieux que n'importe quel « maîtrisard » d'aujourd'hui !