Prenons-y garde : cette affaire de l'IPEST, par delà sa complexité, pose problème pour l'avenir de nos cerveaux. Qu'on les prive de visibilité quant à leurs perspectives d'études dans les grandes écoles françaises, est-ce là un moyen « sain » de les retenir au pays ? Pour qu'à terme ils aillent gonfler le contingent des chômeurs parmi les diplômés du supérieur ? Est-ce donc un signe de frilosité « intra-muros », sinon une technique destinée à contenir la fuite des cerveaux ? Où que vous alliez, dans les grandes instances et importantes institutions internationales, vous rencontrerez la fine fleur de l'intelligentsia tunisienne, des cerveaux, des vrais, des décideurs de premier ordre. Depuis l'indépendance, la Tunisie a misé sur le savoir. Sur « la matière grise ». Et cela a toujours été notre fierté nationale, régionale et arabe. Notre matière grise - nous a-t-on toujours dit – vaut plus cher que le pétrole algérien et libyen ; bien plus cher encore que les gisements golfiques et ceux du Moyen-Orient. Nous sommes un peuple heureux, parce que la Tunisie est fortement scolarisée. Nous sommes heureux parce que nous sommes un peuple instruit, cultivé et ouvert sur le monde. Cela, néanmoins, n'autorise guère des replis frileux de l'administration, une tentation d'autarcie, de fermeture et de renonciation à la capacité qu'ont les Tunisiens – descendants de ces grands voyageurs que sont les Phéniciens - à s'expatrier et à faire comme Prométhée. N'est-ce pas malvenu de laisser le mystère épais comme le brouillard envelopper nos établissements d'élite au nom de quotas qui ne sont jamais clairement établis ce qui est susceptible d'instaurer un climat de défiance au sein de l'université ? Si, aujourd'hui, le pays met une forte logistique au service de la réforme LMD pour, justement, consacrer la recherche de la qualité et pour qu'au terminal, la sélection ne se révèle pas être biseautée et viciée à la base, l'administration a le devoir de protéger le degré de fiabilité de celles parmi nos institutions universitaires qui sont les plus performantes. La France, demandeur en cerveaux, souffrant, elle-même, de la fuite des siens, ouvre grand les bras à nos étudiants les plus brillants. Ses grandes écoles leur sont ouvertes. Et alors, on ne comprend pas que notre administration à nous fasse – par réflexe - la sélection, elle-même, à la place des Français. Il ne s'agit pas là de conjecturer encore sur les tenants et les aboutissants de cette affaire. Ni de s'attarder sur les doléances des uns et les réponses des autres. Nous le faisons déjà chaque jour, dans nos pages proximités depuis que l'affaire a – de nouveau – éclaté. Mais ici, sur ces colonnes, il y a lieu de se rappeler toujours qu'on ne fabrique pas des cerveaux au rabais ; de garder présent à l'esprit que nos élites sont particulièrement demandées à l'étranger et que, même si nous risquons la fuite des cerveaux, à terme, le phénomène rejaillira sur l'enseignement supérieur tunisien où le « concept de l'excellence » perd, aujourd'hui, de sa sacralité avec la banalisation des 18 et des 19. Et il finira par rejaillir sur nos institutions. Où qu'ils aillent ces cerveaux seront rattrapés par le mal du pays. C'est « L'Envers et l'Endroit ».