Si dans Mythe se trouve une part d'imaginaire, alors le mot ne peut s'appliquer étymologiquement à notre sujet, car l'Espérance est une réalité intangible. Un corps vivant qui, après l'enfantement, a connu la progression lente au prix de l'effort avec ses joies et ses peines. Il y a dix ans, on lui a compté déjà 110 titres en seulement quatre disciplines sans prendre en considération les consécrations en athlétisme, cyclisme, boxe, natation et sports martiaux notamment. Pour un club sportif, le témoignage des chiffres suffirait largement pour entériner sa consécration. Mais l'Espérance n'a pas seulement été un collectionneur de trophées. Elle a été l'accompagnateur, tout au long du siècle, des mutations de toute une société. Elle fut son témoin et son reflet. Un acteur qui a rempli son rôle que son destin lui a imposé. Depuis sa naissance dans l'obscure impasse Oun Hani de la rue El Marr, elle s'identifia à l'itinéraire que la société tunisienne a parcouru à travers les générations. Avant de connaître ses triomphes, que de drames elle a dû subir, quand le pays cherchait à sauvegarder son identité. Que d'épreuves elle a dû traverser quand dans les creux de vague elle s'est débattue. Que de fois elle fut l'enjeu de calculs cruels ou sournois qui l'ont vue même dans une situation tragique. Elle a su quand même traverser son siècle avec ses heures sombres et ses moments de joie. Retracer aujourd'hui son histoire exigerait des tomes, car son existence n'a pas renfermé que des chiffres ou des records. Comme d'autres clubs sportifs à travers le pays, peut être avec plus d'acuité vu son âge, elle est vite devenue une institution dont les principes ont depuis longtemps, dépassé le rêve nourri par ses promoteurs. Son droit d'aînesse ne lui pas seulement donné des privilèges mais lui a imposé l'obligation de montrer le chemin. Le premier de ses devoirs fut de former des hommes non seulement pour briller dans les compétitions, mais pour devenir des responsables dans les domaines divers que la société exigeait. Que de hauts personnages ont regardé avec émotion, de vieilles photos les montrant, enfants ou adolescents vêtus des couleurs qui dans leur première jeunesse, ils avaient choisies. Certains n'ont pas oublié leur premier amour de jeunesse et ont à leur tour, perpétué l'esprit. Responsables actifs ou sympathisants positifs, ils ont pu rendre à l'Espérance un peu de ce qu'ils lui devaient. Quelques uns ont eu même l'honneur de la présider. Ces privilégiés ont été quinze en tout avec pour chacun une durée plus au moins longue, et des fortunes diverses, tributaires de l'époque au cours de laquelle ils ont exercé. Tous, néanmoins, ont laissé une trace assez profonde pour que de leur passage on s'est souvienne. Les nommer serait inutile tant les générations les connaissent. Mais cette élite a eu un symbole qu'on ne peut omettre. Si Chedly Zouiten a incarné l'Espérance sans lui donner beaucoup de titres, c'est qu'il fut le premier à lui tracer sa ligne de conduite et inspiré son esprit. Sa longévité à la présider et sa fin tragique en ont fait un symbole pour l'éternité. Ses successeurs ont été dignes de perpétuer son œuvre, commencée avec tant d'anonymes qu'on risque de se tromper si on s'aventure à énumérer des listes que le frontispice de l'Espérance ne pourrait contenir. Chaque époque a procuré ses héros, et chaque génération a produit sa part pour que l'histoire de l'Espérance soit une légende vivante. Un mythe dénué d'imaginaire. Si des hommes ont, jour après jour, fait l'Espérance, c'est en fin de compte l'Espérance qui les a faits. Certes, l'Histoire de l'Espérance reste encore à écrire. Une histoire qui, au-delà des noms et des chiffres vibre depuis près d'un siècle au rythme des mutations humaines que seule la science de la sociologie peut expliquer. 90 ans sont passés depuis cet hiver d'un froid rigoureux quand une poignée d'hommes rassemblés à la lisière de la Médina avaient projeté de créer le premier club sportif tunisien dont leurs sentiments avaient besoin. Le destin que le seul hasard ne peut entièrement expliquer leur a fourni, alors,par la grâce de l'enseigne du café où ils étaient réunis, le nom qui va porter leur rêve à se concrétiser. De l'hiver glacial de 1919 vont alors s'égrener quatre vingt-dix printemps jusqu'à aujourd'hui. Les pionniers grelottant de froid à la lisière de la Médina ne soupçonnaient guère que la réalité allait dépasser la fiction de leur projet. Que l'arbrisseau qu'ils tentaient de planter va devenir un vieux chêne et qu'à l'orée de la dernière décennie de son centenaire, il continue, plus que jamais, d'être jeune et de se projeter vers l'avenir, à force de se renouveler.