On ne se lassera jamais de parler de ce phénomène qui prend de l'ampleur dans notre société, mais qui n'a jamais fait l'objet d'un débat national, groupant tous ceux qui sont intéressés, de près ou de loin par cette question, afin d'en décortiquer les tenants et les aboutissants. Le problème est d'autant plus compliqué qu'il entraîne l'implication de plusieurs parties (enseignants, élèves, parents et administration) et chacun voit midi à sa porte quand il s'agit de débattre de cette question très importante ! Les cours particuliers, appelés communément « étude » ne cessent de se développer, étant conçus au début comme un soutien extrascolaire destiné aux seuls élèves accusant un certain retard dans une ou deux disciplines par rapport à ses camarades de classe, pour devenir généralisés à tous les niveaux et très souvent quasi obligatoires. Pourtant, les législations relatives à l'organisation de ces cours particuliers existent, mais c'est surtout leur application qui est sujette à caution. Des dépassements par-ci, des débordements par-là ont toujours eu lieu, ce qui peut sans doute nuire au statut de l'enseignant dans la société et à la déontologie du métier et peut même remettre en question tout le système éducatif tunisien. Le 20 janvier courant, le Ministère de l'Education et de l'Emploi, a adressé à tous les enseignants de l'enseignement de base et du secondaire une circulaire leur rappelant les dispositions nécessaires relatives aux cours particuliers et le cadre légal dans lequel ils peuvent être organisés. On peut lire dans cette note : « suite aux multiples doléances émanant des parents d'élèves concernant les nombreux abus commis par certains enseignants qui ne respectent pas les règlements des cours particuliers en vigueur, ce qui porte atteinte au statut du corps enseignant et à la déontologie du métier... » Cette circulaire rappelle également aux enseignants les objectifs et les procédures relatives à l'organisation de ces cours particuliers qui doivent être soumis à un contrôle administratif et pédagogique régulier.
Par amour pour le métier C'est donc un rappel à l'ordre qui met tous les enseignants devant leurs responsabilités morales dans l'exercice de leur fonction, ô combien noble, qui consiste à éduquer, à instruire et à former. Cette fonction d'enseignant, devenue de plus en plus difficile, reste pourtant convoitée et constitue encore un débouché important pour les jeunes diplômés universitaires. Cependant, en principe, quand on choisit d'être enseignant, ce n'est ni par ambition professionnelle, ni par intérêt financier (le salaire étant ce qu'il est !), c'est plutôt par amour du métier et pour le plaisir de travailler avec des jeunes en jouissant d'un statut social digne de respect. De là, il y a toute une déontologie pour les enseignants qui leur impose un ensemble d'attitudes, de comportements et de règles à suivre dans leur métier : respecter les autres et se respecter, être toujours à l'écoute des jeunes, dispenser le cours de manière claire et correcte, traiter tous les élèves sur le même pied d'égalité, accorder du temps aux élèves en difficulté et j'en passe... Dans ce métier, c'est la conscience professionnelle qui compte le plus. Mais, comme dans tous les métiers du monde, l'enseignement n'est donc pas à l'abri des incorrections et des errements. Tout enseignant a le droit de donner des cours particuliers à condition de se conformer aux règlements en vigueur stipulés dans les circulaires y afférentes. C'est la transgression de la loi qui est à l'origine de ce chaos dans lequel vivent ces cours particuliers depuis des années. Toujours est-il que les enseignants ne sont pas les seuls impliqués dans ce problème mais la responsabilité incombe essentiellement à d'autres parties, notamment les parents, les élèves et l'administration. Je ne suis pas en train de plaider pour les enseignants, loin s'en faut. Mais, cela fait des années que ce phénomène gangrène notre société et fait couler beaucoup d'encre sans jamais oser mettre le doigt sur la plaie. Même les débats organisés parfois à la télé ou à la radio sur ce sujet ont l'air de tourner autour du pot sans apporter le remède nécessaire : les uns renvoient la balle aux autres alors que la situation empire d'une année à l'autre. Aucun niveau scolaire n'échappe aujourd'hui aux cours supplémentaires : du primaire au secondaire, surtout aux niveaux qui débouchent sur un examen national ; les parents se sentent de plus en plus obligés de payer des cours supplémentaires. Quand des professeurs de faculté se mettent à imiter leurs collègues du secondaire et du primaire en donnant des cours particuliers à leurs étudiants, il y a de quoi lancer un cri d'alarme !
Parents qui se désengagent Il y a d'abord les parents qui sont devenus incapables, à partir d'un certain niveau, d'aider leur enfant à faire leurs devoirs ou à réviser ses cours. Ils sont souvent débordés au moment où ils doivent superviser le travail de leur enfant, une tâche devenue lourde et difficile même pour les parents instruits qui se sentent de plus en plus déphasés par les nouveaux programmes et les nouvelles méthodes d'apprentissage introduits dans notre enseignement. Etant soucieux de la scolarité de leur enfant et toujours désireux de faire améliorer ses résultats scolaires pour atteindre l'excellence, ces parents le poussent à faire des cours particuliers dans une, deux ou trois matières. Kamel, père de trois enfants, consacre 20% de son salaire dans les cours particuliers de ses deux enfants : « Je n'ai pas le choix, nous a-t-il affirmé, je n'arrive plus à superviser leur travail à la maison, ils ont donc besoin de quelqu'un pour leur faire réviser les cours. Et puis, je vois que leurs résultats sont probants ! » Mais certains parents consentent à inscrire leur enfant dans un cours privé à leur corps défendant, étant convaincus que le niveau de leur enfant n'exige pas des cours supplémentaires et pensent même que les élèves subissent souvent des pressions de manière directe ou indirecte de la part de certains enseignants. A ce propos, Jamel nous a révélé sans ambages : « Certains enseignants, sous prétexte que le programme est long et difficile, font venir leurs élèves à leur domicile pour suivre des cours supplémentaires ; ces élèves se voient octroyer de bonnes notes aux devoirs, même s'ils sont médiocres, il y a même des instituteurs du primaire qui obligent leurs élèves à suivre des cours particuliers ! Pourtant, il est interdit par la loi de donner des cours à ses propres élèves ! » D'autres encore le font tout simplement par conformisme et pour frimer devant les voisins. En ce qui concerne les enseignants, la loi est claire. Le décret n° 679/1988 du 25 mars 1988, la circulaire n° 101 du 1er décembre 1988, la note n° 3539 du 09/12/1992 émanant de la Direction de l'Enseignement Primaire et la circulaire n° 6-5/83/95 du 22 novembre 1995, tous ces textes de loi fixent les conditions dans lesquelles les cours particuliers doivent se dérouler et que les enseignants doivent respecter sous peine de sanction. Et pourtant, il y a toujours un moyen pour contourner les lois ! Un prof de mathématiques, préférant garder l'anonymat, nous a confié son point de vue sur ce sujet : « Ce sont les parents qui viennent supplier les profs pour que leurs enfants puissent suivre des cours particuliers, quoique certains n'en ont vraiment pas besoin ! ». Enfin, pour les enfants, les premiers concernés par ces cours, il n'en demeure pas moins vrai qu'ils préfèrent toujours ces cours à ceux dispensés dans les salles de classes, croyant que leurs professeurs, pressés souvent par le temps, risquent de ne pas faire le cours comme il se doit ; d'où leur engouement pour les cours supplémentaires. Certains sont entraînés à ces cours, soit par peur des parents trop exigeants, soit par complaisance envers les enseignants. D'autres en profitent tout simplement pour sortir. Héla, lycéenne, nous a confié : « On n'a pas toujours besoin de ces cours particuliers, certaines filles exigent de leurs parents de les faire inscrire à ces cours supplémentaires de maths ou de physique sous prétexte que le prof fait exprès de ne pas bien expliquer le cours en classe et qu'elles risquent d'avoir de mauvaises notes, alors qu'en réalité, elles veulent en profiter pour assurer une sortie l'après-midi de vendredi ou de samedi et peut-être dimanche ! ».
Pas tout le monde dans le même sac ! Les cours particuliers en Tunisie ont pris des proportions alarmantes, n'en disconvenons pas ! Cependant, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac, il y aura toujours des enseignants intègres, scrupuleux et consciencieux qui refusent l'idée même des cours particuliers. Le Ministère de tutelle doit se pencher davantage et plus sérieusement sur ce phénomène qui risque de détruire l'image de notre enseignement et la valeur même de nos diplômes. De nouvelles lois doivent voir le jour, car le phénomène des cours particuliers prend ces derniers jours d'autres formes nouvelles : des sites spécialisés en cours particuliers sont en train d'apparaître progressivement dans nos contrées, à l'instar de ce qui se passe en France ou dans d'autres pays européens ; il suffit de s'inscrire et d'avoir un micro et une Webcam pour accéder à ces cours donnés par des professeurs en ligne, payés selon les services rendus (matières choisies, nombre d'heures, cours, exercices...) Tout semble évoluer dans ce monde, même les cours particuliers !