Le phénomène de l'exode rural n'est pas nouveau : il est observé depuis la révolution industrielle, lorsque la mécanisation a poussé les paysans de nombreux pays en Europe et ailleurs vers les villes à la recherche d'emplois plus rémunérateurs que leurs maigres exploitations agricoles. Les quartiers populaires se sont créés de façon plus ou moins spontanée, dans un désordre et une anarchie démentielle. Dans d'autres zones de la ville, on a vu apparaître ce que l'on appelle une ceinture rouge, qui encercle les quartiers chics habités par les riches, qui y puisent leurs ouvriers, leurs jardiniers, leurs bonnes à tout faire... La migration s'opère donc pour la recherche d'emploi, l'amélioration des revenus et la recherche de conditions de vie meilleures. Chez nous, le phénomène a commencé avec virulence dans les années soixante, avec ce que l'on a appelé à l'époque les coopératives, sorte de collectivisation forcée, qui a ruiné tant de paysans et les a poussés vers les grandes villes. C'était à l'époque une réserve importante de main-d'œuvre docile et peu chère, mais qui allait croître et se multiplier jusqu'à créer des mégapoles qui comptent plus d'un demi-million d'âmes, essentiellement concentrées dans la zone orientale de Tunis.
Le retour de la tribu On a également vu se reconstituer un phénomène que l'on croyait définitivement éradiqué de la Tunisie d'après l'Indépendance : le retour de la tribu, avec son corollaire de mentalité sectaire, intolérante voire fanatique. Des cités entières sont accaparées par des personnes venues d'une même région et qui ont fait venir leurs proches parents, leurs amis, leurs voisins... D'après les statistiques de l'INS, la Tunisie connaît depuis quelques années une forte croissance des flux migratoires internes, suite à l'urbanisation du pays : plus de 61 %. L'exode rural semble donc s'inscrire dans un cadre régional et le mouvement intra gouvernorats l'emporte nettement sur l'exode inter gouvernorats. Ils viennent alors grossir les rangs des chômeurs qui survivent au jour le jour. Or ces nouveaux arrivants s'adaptent mal à la ville et continuent à vivre avec une mentalité tribale et un comportement inadéquat. Ils sont souvent peu disciplinés, soit par méconnaissance des règles de vie dans la ville, soit par une sorte de défi... Souvent aussi, ils veulent devenir très riches par tous les moyens et se retrouvent embarqués dans la délinquance et les imbroglios judiciaires qui en découlent. Se sentant souvent rejetés, ils ont des attitudes de bravade, qui peuvent se doubler d'agressivité lorsqu'ils se retrouvent en bande, entre jeunes désœuvrés. Et c'est surtout contre les jeunes filles que cette agressivité s'exprime. Habitués à ce que les jeunes filles des zones rurales dont ils sont issus soient aussi ternes que la terre qui les héberge, ils ne comprennent pas qu'une fille de la ville se fasse belle et arbore des tenues décontractées. Et les témoignages de jeunes filles citadines ainsi offensées ne manquent pas : « quand je vois ces énergumènes, je change automatiquement de trottoir, car ils ne se gênent pas pour dire de grossièretés ou pour faire circuler leurs mains baladeuses... » Son amie renchérit : « pour eux une fille maquillée c'est une fille facile qui cherche à les provoquer, à les exciter, alors qu'elle se maquille pour elle-même, pour être présentable à son travail. » Même les dames, pour peu qu'elles soient élégamment vêtues n'y échappent pas : « quand je les vois descendre du métro, j'ai un réflexe instantané qui consiste à agripper mon sac et à m'éloigner. » Et elle ajoute : « quand je me retrouve face à ces jeunes délurés, j'ai l'impression de n'être qu'un objet dont ils tentent de s'accaparer par tous les moyens, alors que je suis mère de deux enfants... »
Déséquilibre entre les régions L'exode rural permet certes un équilibre entre les ressources et les besoins, puisqu'il permet de réduire l'accroissement de la population dans les zones à faible potentiel économique. Mais, contrairement au phénomène de l'émigration vers l'Europe ou le Moyen-Orient, il ne permet pas d'améliorer le niveau de vie des zones d'origine, ni de participer à leur développement par les envois de revenus. Ces émigrés « internes » ne retournent dans leurs villages éloignés qu'en de rares occasions : fêtes religieuses, mariages de proches parents, décès... En outre, cette migration se traduit par des effets négatifs, à la fois sur les milieux de départ, avec la perte des ressources humaines. D'où ce déséquilibre flagrant entre les régions intérieures ou le Sud, par rapport au littoral. Certes des programmes régionaux de développement interviennent dans la création et la consolidation de l'emploi et des sources de revenus, par l'octroi de dons et de subventions, ainsi que des prêts à taux avantageux pour la réalisation de projets productifs dans l'agriculture, l'artisanat et les petits métiers. En outre, le taux d'électrification est passé à 98,5 % en 2006 en milieu rural et le taux d'accès à l'eau potable à 92,6 %. Mais tous ces encouragements ne parviennent toujours pas à endiguer le phénomène, ni à provoquer un contre exode. Les lumières de la ville continuent à les attirer, comme les papillons de nuit sont attirés par le feu qui leur brûle les ailes. La réduction de l'exode ne pourra se faire que grâce au développement rural, afin de rompre le cercle vicieux de la précarité, de la pression sur les ressources, la dégradation, la désertification et la pauvreté. La valorisation des ressources naturelles et humaines permettra ainsi d'amorcer un développement qui permette l'amélioration des revenus ainsi que les conditions de vie, en plus de la protection de l'environnement, un point rarement évoqué mais qui a son importance. Les municipalités de certaines banlieues sont également à blâmer à cause de leur laisser aller, leur laisser faire. Elles laissent des gens construire sans autorisation, ou dans des zones inondables, ce qui se solde parfois par des drames lors des grandes pluies. Un contrôle plus rigoureux permettrait de freiner cette tendance...