L'évolution est la loi de la nature, en ce sens que plus on avance dans le temps, plus on améliore nos conditions, c'est ce que dit la logique qui gouverne ce monde physique. Gramsci affirme que « L'histoire de l'industrialisme a toujours été(...) une lutte continue contre l'élément « animalité » de l'homme, un processus ininterrompu, souvent douloureux et sanglant, de la soumission des instincts à des règles toujours nouvelles... ». Nous n'allons pas remonter ici très loin dans le temps, à l'aube de l'humanité pour recenser ces pas géants réalisés sur le chemin du progrès, nous nous contenterons d'un laps de temps réduit s'étalant sur quelques décennies pour établir un petit bilan et voir si nos avons évolué ou non au niveau du comportement.
L'éblouissement Au temps du noir et blanc, la vie était simple, on se contentait du peu en nourriture comme en plaisirs, mais cette frugalité et cette modestie étaient compensées par une voracité intellectuelle : on lisait beaucoup, on s'informait à propos de tout, la lecture était une religion pour nous. Depuis le secondaire, bien avant le supérieur, on était déjà initiés à certains secrets de ce monde, on était assez instruits et on débattait des problèmes de la vie. Avec l'avènement des couleurs, l'homme a été ébloui par l'intensité de la lumière, il ne voit plus clair, il éprouve des difficultés à choisir parmi cette variété. Son comportement n'est plus stable comme par le passé, il est devenu perturbé, une fois, il opte pour cette couleur, une autre fois pour l'autre, le tout se mélange dans son esprit qui devient encombré d'un fatras d'idées très mal assimilées. Il perd le repère dans ce monde confus et se laisse diriger pas ses pas qui ne prennent pas une ligne droite où la vue est dégagée et dont la destination a été préalablement arrêtée, ils changent constamment de direction en fonction de l'humeur et de l'intérêt du moment. On n'avance plus suivant un plan, notre marche devient hasardeuse, elle ne dépend plus de nous mais de la conjoncture, on suit le mouvement général, celui de la foule, c'est elle qui décide pour nous, qui nous dicte notre comportement, le chemin à emprunter. La mode devient le slogan mobilisateur des gens, on fait tout pour y prendre part, peu importe si le procédé utilisé est déshonorant ou compromettant, l'essentiel c'est d'accéder à la fortune pour soigner son apparence et se faire une réputation. Les bénéfices qu'on peut récolter d'une telle position confortable méritent qu'on fasse des concessions, qu'on prenne des risques, tous les moyens sont bons pour y parvenir, puisque la seule vraie valeur c'est l'argent, il est le seul à pouvoir nous rendre importants. La toute-puissance de la matière a engendré le renversement des valeurs, cette nouvelle réalité a profondément affecté le comportement des nouvelles générations. Les jeunes d'aujourd'hui sont contaminés par cette maladie, ils en ont attrapé le virus, ils ont mordu à l'appât du lucre. En témoigne leur manière d'appréhender les études : ceux qui parviennent à décrocher un diplôme universitaire y voient un simple moyen pour s'assurer un avenir qui n'est pas certain, les autres, ceux qui s'en sont détournés, qui ont décroché ont choisi d'autres pistes plus faciles, des projets plus lucratifs : devenir star dans le domaine sportif ou dans celui de la chanson.
Des esprits calculateurs Les instances responsables de ce déclassement du savoir et de la culture sont bien évidemment l'école et les médias. La première ne remplit plus son rôle comme il se doit, elle encombre la vie de l'apprenant d'heures et de matières et ne lui offre plus les activités récréatives et culturelles qui existaient jadis. La bibliothèque également a disparu de la plupart des établissements, et dans les quelques uns qui en contiennent encore, elle n'est plus que le vestige d'un passé lointain : vous y trouvez de vieux livres poussiéreux, très limités en titres et en quantité, et des espaces exigus et mal aménagés. Mais heureusement il y a l'internet qui pallie ce manque et qui est plus pratique, il suffit de cliquer sur le souris pour obtenir l'information qu'on veut, on s'en sert quand il y a un intérêt à récolter comme dans le cas de l'exposé demandé par le professeur et qui est noté, on fait du copié collé sans avoir besoin d'en saisir le contenu ni même de le lire. L'école n'est plus cet endroit gai où on prenait du plaisir à étudier, elle devient un centre de corvées. La seule chose pour laquelle les élèves éprouvent de l'engouement et qui est leur seule motivation c'est la bonne note, la clé de réussite, la baguette magique qui va leur permettre de se frayer un chemin dans cette vie et s'assurer un bel avenir, c'est ce qu'ils pensent du moins, eux et leurs parents. Et le meilleur moyen pour le garantir, c'est de s'orienter vers une section scientifique dont les débouchés sur le marché de l'emploi sont plus lucratifs et plus prestigieux. Nonobstant, le chemin menant à ce paradis tant convoité n'est pas simple, il requiert des investissements en temps et en argent : il faut suivre des cours particuliers dans toutes les matières y compris en éducation physique pour bien se préparer au bac sport et réaliser un bon score. A l'université, on continue comme on a commencé, puisque là aussi on peut recourir aux cours de soutien pour se faire aider à atteindre son projet.
Le renversement des valeurs Les médias qui sont censés soutenir l'école dans sa mission éducative, eux aussi ont failli à ce rôle formateur. La plupart des émissions inculquent aux jeunes de fausses valeurs, elles leur enseignent le culte des stars en particulier les footballeurs et les chanteurs. Et comme à cet âge-là, notre propension au rêve nous empêche de saisir la réalité dans sa vraie dimension, on croit au père Noël, on est fasciné par le faste dans lequel vivent, ces idoles, ces privilégiés, on se dit pourquoi ne pas devenir comme eux, célèbres et millionnaires. Alors on prend un raccourci pour éviter les ennuis, on abandonne les études et on s'engage dans cette voie, et même si on n'a pas de qualités, on peut en inventer, l'important c'est d'y croire et d'user de plusieurs manières. Après tout, il ne faut pas oublier que parmi ces modèles qu'on veut imiter, il y a des chanteurs dont la voix était améliorée par des moyens techniques très sophistiqués ou par des personnes haut placées, et des footballeurs dont le talent réside seulement dans la chance d'avoir des accointances, le procédé le plus facile pour atteindre le sommet et devenir une célébrité dans toutes les activités. Donc parallèlement aux études, on vous offre deux autres options, l'art et le sport. Mais comme les perspectives se rétrécissent et que l'avenir n'est plus sûr à cause de la montée du chômage accentué davantage par la crise financière mondiale, on mise de moins en moins sur les diplômes universitaires qui ne sont plus aussi salutaires qu'avant, et on opte pour une carrière de chanteur ou de footballeur, la voie la plus facile pour faire fortune, les deux destinations les plus convoitées sont dorénavant « Star Academy » et les parcs des clubs de football. Ce sont des domaines qui ne nécessitent pas de grandes dépenses comme les études ; pour ce dernier, par exemple, même les parents les plus modestes financièrement peuvent faire des investissements qui sont beaucoup moins importants que ceux consentis dans les fournitures scolaires et les cours particuliers, ici, ils n'ont qu'à acheter une paire de chaussures, ce sont les seuls frais qu'ils ont à effectuer. Cet esprit mercantile qui s'empare de nos jeunes est encore enraciné chez eux par les jeux télévisés. Ils cultivent en eux l'amour de la matière tout en rabaissant le savoir, puisque la question est scientifique ou culturelle et la récompense est une machine à laver ou un fer à repasser au lieu qu'elle soit des livres, un voyage ou un ordinateur. Le candidat ne s'intéresse qu'au prix à recevoir, il répond au hasard en choisissant une parmi les réponses proposées sans même en connaître le sujet. C'est ainsi qu'on rend le savoir un moyen au service de la matière, qu'on inculque à nos jeunes le culte de celle-ci, qu'on fait d'eux des incultes. Cette réalité amère et décevante n'est-elle pas la preuve qu'on a régressé ?