Loin du langage des chiffres (mais en s'en inspirant toutefois), il est facile de remarquer que le tourisme tunisien n'a pas encore fait le saut qualitatif qu'on espère. D'ailleurs, même le volet quantitatif du secteur répond timidement puisqu'on flirte encore, et depuis des années déjà, avec les sept millions de touristes et on n'a pas encore atteint les trois millions de dollars de recettes annuelles malgré les 37 millions de nuitées passées en Tunisie et la croissance notable du tourisme à l'échelle internationale. La croissance à l'échelle locale du secteur est très timide (inférieure à 5 %) et elle est acquise auprès des nouveaux marchés de l'Europe de l'Est alors que les marchés traditionnels régressent pour la 3ème année consécutive. Britanniques, Allemands, Espagnols et Italiens préfèrent désormais d'autres cieux pour leurs vacances malgré les prix très attrayants proposés par les TO pour la Tunisie. La persistance d'une telle tendance pousse à des interrogations sur les raisons qui ont empêché le tourisme tunisien de quitter le creux de la vague et de se propulser aux premières loges d'afflux touristique, au moins au Sud de la Méditerranée, où les concurrents disposent d'une infrastructure semblable à la Tunisie, voire inférieure en nombre de lits.
L'état des lieux Vu par des yeux experts qui ne sont autres que ceux de l'agence Fitch Ratings, en décembre 2007, le tourisme tunisien est caractérisé par une surcapacité d'offre non diversifiée presqu'exclusivement basée sur le tourisme balnéaire. Cette surcapacité a amené les hôtels à dépendre de plus en plus des tours operateurs internationaux pour la vente du produit tunisien. De plus, l'émergence de destinations concurrentes (le Maroc, l'Egypte, la Turquie, etc) favorisées notamment par la baisse du coût de transport aérien (en raison de l'open sky), a renforcé la difficulté pour les opérateurs tunisiens à s'imposer, les conduisant à pratiquer des baisses de prix afin de pallier un taux d'occupation trop bas. En conséquence, les hôtels tunisiens affichent un faible niveau de rentabilité affectant leur solvabilité et la qualité de leurs services. La situation est d'autant plus préoccupante que le secteur bancaire tunisien est largement exposé à l'industrie touristique. Cette approche est confirmée sous un autre angle par une étude faite par la Facilité Euro-Mediterranéenne d'Investissement et de Partenariat "FEMIP'' : " Le tourisme dans les pays de la FEMIP : Stratégies, politiques et propositions pour son développement à l'échelle sous-régionale " au 1er semestre 2008. Les résultats montrent que la croissance prévue du secteur en Tunisie n'est que de 7 % pour la période 2006-2010, ce qui est largement inférieur au Maroc, l'Egypte et à la Turquie qui annoncent des croissances de deux chiffres (hormis 2009). La rentabilité du tourisme tunisien est également très faible, si on prend en considération les dépenses touristiques où la Tunisie n'occupe que la 5ème place en 2006, avec 2,193 milliards US $ devant la Jordanie, mais loin derrière la Turquie, l'Egypte et le Maroc. Au moment où les Marocains tablent sur un tourisme de haute gamme comme l'indiquent les ratios des dépenses (953 $ par séjour moyen de moins de 3 nuitées), les Egyptiens encouragent les croisières menant à leurs sites historiques alors que la Tunisie offre plutôt des séjours à bas prix tournant autour d'une semaine à 400 $ (300 Euros). Or, de tels prix ne sauraient sortir le tourisme tunisien de sa crise structurelle. Le rapport de la FEMIP invite la Tunisie à réinvestir et à diversifier son offre touristique et à miser sur d'autres formes de tourisme, comme le tourisme saharien ou le tourisme thermal. Ces slogans ont longtemps fait la une des projets de mise à niveau du secteur touristique sans pour autant sentir un impact retentissant sur le terrain. Le rapport de l'agence Fitch Ratings conclut par une ancienne recommandation stipulant qu'une révision stratégique profonde est essentielle pour repositionner la destination touristique tunisienne. Donc, les deux paires d'yeux experts appellent à des réformes qui tardent à se réaliser. Mais, les remarques ne viennent pas uniquement des experts.
Les requêtes des clients Loin des experts et de leurs analyses complexes, les clients ont leurs petites suggestions qui laissent perplexes de pertinence et qui dénotent que les professionnels tunisiens n'ont pas cherché à améliorer à petites doses leur produit touristique. D'abord, les visiteurs du stand tunisien dans les foires internationales remarquent que la décoration est statique et qu'elle n'a pas évolué depuis de longues années, ce qui n'encourage pas les visiteurs à s'y adresser. C'est-à-dire que les visiteurs rappellent les organisateurs de la nécessité d'innovation pour attirer la clientèle. Ensuite, plusieurs professionnels ne manquent pas de notifier que l'option " open sky " a aidé les concurrents potentiels de la Tunisie à gagner des parts importantes du marché. Sur un autre plan, les touristes, eux-mêmes, se lamentent de la qualité de la restauration dans les hôtels tunisiens : " il ne s'agit pas que l'on nous présente les mets de chez nous. Il serait préférable que l'on nous prépare de la cuisine tunisienne. On a marre des pizzas et des spaghettis ", disent-ils. Pour ce qui est de la diversité, plusieurs touristes trouvent que le tourisme tunisien n'offre aucune spécificité qu'on ne saurait trouver ailleurs : " la belle mer et le soleil n'attirent plus. On pourra les trouver au milieu d'un paysage exotique et on sera tenté d'y aller même en payant plus " Il va sans dire que les visiteurs de la Tunisie contestent également la quasi-absence de l'animation et des aires de jeux bien équipées dans les hôtels et les villages de vacances. Un tel manquement rend le séjour monotone pour le touriste et ne l'encourage pas à revenir même si son séjour lui revient moins cher que s'il reste chez lui. Les touristes auraient aimé participer à des manifestations culturelles où on ferait appel à eux en tant qu'acteurs. Ne serait-il pas possible de reconstruire les guerres entre Rome et Carthage et de faire intégrer les touristes en tant que soldats. César et Hannibal sont des personnages ayant été repris même dans les dessins animés et ils peuvent faire de l'attraction. Une autre question dérange amplement les touristes et ils n'ont pas manqué de la soulever, il s'agit de la situation des souks. L'attitude très collante des commerçants, d'une part, et le marchandage outrancier qu'ils observent et dont ils entendent parler, d'autre part, leur fait ressentir qu'ils sont toujours l'objet d'une escroquerie. De telles simples observations du premier venu auraient pues être dépassées sans l'intervention des organismes dirigeants du secteur touristique mais, les choses se sont tellement amplifiées qu'il serait utile de mettre à niveau tous les segments de l'activité touristique à commencer par le sourire d'accueil qui a intérêt à redevenir plus naturel pour refléter la bonté ancestrale des Tunisiens.