Dans son ouvrage publié en langue arabe aux éditions Nirvana en novembre 2024, Troisième exil : la présence palestinienne en Tunisie (1974-1994), le journaliste et chercheur Ahmed Nadhif révèle, à partir d'archives israéliennes déclassifiées, l'intérêt marqué de l'Etat hébreu pour les prises de position du président tunisien Habib Bourguiba en 1965 — au point d'envisager de soutenir sa candidature au prix Nobel de la paix. Au printemps 1965, Habib Bourguiba provoque une onde de choc dans le monde arabe. En pleine effervescence nationaliste, le président tunisien prononce un discours à Jéricho (en Cisjordanie, alors sous administration jordanienne), dans lequel il appelle à reconnaître l'existence d'Israël et à ouvrir des négociations de paix. Tandis qu'il devient la cible privilégiée des médias arabes, qui l'accusent de trahison, Bourguiba est largement salué par la presse occidentale. Ce revirement diplomatique n'échappe pas à Tel-Aviv. D'après les documents exhumés par Ahmed Nadhif, le ministère israélien des Affaires étrangères publie alors une note interne demandant à ses ambassades de souligner les aspects « positifs » du discours de Bourguiba. En avril, ce dernier précise sa position à Tunis : il n'appelle pas à une reconnaissance inconditionnelle, mais à un retour aux frontières du plan de partage de l'ONU du 29 novembre 1947. Cette proposition inclut l'évacuation de certaines zones israéliennes, notamment le nord de la Galilée, le Triangle, Jérusalem-Ouest, une partie du Néguev et Jaffa, tout en exigeant le droit au retour des réfugiés palestiniens. Malgré cette clarification, Israël adopte une posture mesurée. Le Premier ministre Levi Eshkol déclare à la Knesset, le 17 mai 1965, que son pays est disposé à envisager la paix sur la base des lignes d'armistice de 1949, avec des modifications mineures, mais sans retour des réfugiés. Fait plus étonnant encore : des informations reçues durant l'été 1965 indiquent que la Tunisie cherche à promouvoir la candidature de Bourguiba au prix Nobel de la paix. Bien que les autorités israéliennes jugent ses chances très faibles, elles envisagent de soutenir l'initiative, à condition que Bourguiba sache que le soutien provient d'Israël. Cette position est confirmée par un télégramme envoyé par Shaul Bar-Hayim, du département Moyen-Orient du ministère, à l'ambassadeur israélien en Suède. Le 12 septembre, la ministre israélienne des Affaires étrangères, Golda Meir, évoque l'initiative devant le gouvernement israélien. Elle affirme : « Il veut avancer pas à pas, revenir au plan de 1947, permettre le retour des réfugiés. Mais d'un autre côté, il ne faut pas l'attaquer, car j'ai des raisons de penser qu'il ne cherche pas à détruire Israël par étapes. » Afin de ne pas exposer Bourguiba, Israël décide de passer par un tiers. Le professeur Nathan Rotenstreich, de l'université hébraïque de Jérusalem, et l'ambassade israélienne à Washington désignent le président de l'université du Brésil pour soumettre officiellement la candidature. L'objectif est moins d'obtenir le prix que de signaler à Bourguiba que l'Etat hébreu est derrière l'initiative. Comme prévu, Bourguiba ne recevra pas le prix Nobel. Mais cet épisode, jusqu'alors méconnu, révèle l'attention extrême qu'Israël portait à une voix jugée dissidente dans le monde arabe — et les subtils jeux d'influence diplomatique de l'époque.